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Sort des femmes et des enfants de djihadistes : plongée dans l’enfer des camps de Al-Hol et Ain-Issa en Syrie
©BULENT KILIC / AFP

Bonnes feuilles

Marie Dosé publie "Les Victoires de Daech" aux édtions Plon. Les victoires de Daech sont d'abord les échecs de notre République. La justice antiterroriste est devenue une machine à transformer les justiciables en ennemis. Extrait 2/2.

Marie Dosé

Marie Dosé

Avocate au barreau de Paris depuis 2001, Marie Dosé est spécialisée dans les affaires pénales. Conseil des victimes de l’attentat de Karachi en 2002, elle est connue notamment pour être l’avocate de la famille du ministre Robert Boulin, de celle de Sophie Toscan du Plantier, assassinée en 1996, ou encore des membres du groupe dit de Tarnac. Elle est également l’auteure, avec Pierre-Marie Abadie, de Cour d’assises : quand un avocat et un juré délibèrent (Dalloz, 2014).

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La chute du dernier réduit de Daech, en mars 2019, a entraîné la fuite puis l’arrestation de milliers de djihadistes, emmenés par les Forces démocratiques syriennes dans des camps du nord-est syrien. Femmes et enfants se sont rapidement entassés dans les camps de Roj, Al-Hol et AïnIssa, et l’afflux de nouveaux arrivants a bientôt submergé leurs geôliers : en moins de six mois, le camp d’Al-Hol est passé de cinq mille à quatre-vingt mille détenus. 

Ces femmes et ces enfants sont sortis de l’enfer de Baghouz dans un état de délabrement physique et psychologique que l’on peine à imaginer. Très peu parviennent à en parler, et chaque mère sait que son enfant porte déjà les traces, probablement indélébiles, de ce qu’il a vu et vécu. Pendant des semaines, des mois parfois, ces femmes et ces enfants sont restés terrés dans des fossés ou des tunnels, en proie à la soif, à la faim et à un froid parfois glacial, sous les balles, les bombes et les tirs de mortiers ; certaines femmes ont assisté à l’agonie de leurs enfants, certains enfants à celle de leurs mères. 

Je pense à Romy, sortie de Baghouz orpheline et gravement blessée. J’ai conservé dans la mémoire de mon téléphone le dernier message écrit de sa mère : « Je demande à ce qu’Allah me reprenne. Longue vie… j’en veux plus. Tellement fatigante, cette vie. » 

Je pense à Mara, qui a pu profiter d’un cessez-le-feu de quelques heures pour s’enfuir de Baghouz, son enfant de deux ans dans ses bras et sa fille adoptive de cinq ans sur le dos. « C’est comme un jeu vidéo à l’intérieur, c’est un enfer », disait-elle. 

C’était en mars 2019. 

Depuis, Romy, Mara et des centaines d’autres femmes et enfants français croupissent et périssent dans les camps du nord-est syrien. 

Anne V. vient de quitter mon cabinet. 

De nouveau, je m’oblige à regarder le visage de ces femmes sur mon écran d’ordinateur. Les seules que l’on voit s’exprimer face à la caméra lèvent le doigt au ciel, consacrant leurs dernières forces à vilipender les Kurdes et à défendre haut et fort le rétablissement du califat. Elles ne parlent pas : elles éructent. Et je sais bien l’impression désastreuse qu’elles produisent en invectivant de la sorte la coalition internationale en général et la France en particulier. Les objectifs zooment sur la seule parcelle de leur peau à découvert : à la commissure de leurs paupières, on distingue des larmes de colère. Une fois encore, je m’impose de lire les commentaires laissés sur Internet par tant de ces braves et intrépides anonymes qui, tous, aspirent à les voir « crever », « prendre une balle » ou « mourir comme des chiennes ». Un peu lasse, je m’efforce d’en sourire et imagine une Française sortie de l’enfer de Baghouz qui, se ruant sur les caméras du monde entier tout en déchirant son niqab, clamerait haut et fort : « J’ai survécu aux bombes, aux tirs de mortier et aux frappes de la coalition inter  nationale qui ont tué mes enfants sous mes yeux, et je tiens à la remercier de m’avoir ainsi libérée. Après avoir passé trois années en Syrie à éviter vos bombardements et deux mois à tenter de ne pas mourir dans un tunnel à Baghouz, je salue fraternellement la France pour m’avoir arrachée à l’emprise où je me morfondais et pour m’avoir fait prendre conscience, au fond de mon tunnel, du bien-fondé de son intervention. Enfin je remercie les Kurdes, qui ont eu raison de combattre le rétablissement du califat et de tuer mon mari au combat. » Et de monter, cheveux au vent, majestueuse, dans le camion la conduisant droit au camp d’Al-Hol, entourée de voiles noirs… 

Certaines Françaises ont été faites prisonnières par les Forces de libération syriennes (FLS) en 2017, quand beaucoup d’autres, n’ayant pu fuir Daech par leurs propres moyens, se sont volontairement rendues. Ces dernières m’ont immédiatement demandé d’officialiser leur demande de rapatriement auprès du Quai d’Orsay et de la présidence de la République – acceptant dès lors de voir leur responsabilité pénale engagée en France. En ralliant la Syrie en effet, et quelle que soit la date de leur départ, toutes, sans exception, se sont rendues coupables d’association de malfaiteurs à caractère terroriste ; elles encourent une peine de dix années d’emprisonnement lorsqu’elles sont poursuivies pour une infraction correctionnelle, et de trente années de réclusion criminelle lorsque l’accusation d’association de malfaiteurs qui les vise est criminelle. 

Car si au sein de l’État islamique autoproclamé les femmes n’ont pas le droit de combattre aux côtés des hommes, leur rôle n’en est pas moins essentiel, voire décisif : elles doivent peupler Daech, donc procréer afin que l’idéologie se perpétue, soutenir leurs époux combattants et, pour certaines, attirer de nouvelles recrues. Et ce n’est pas chercher à faire d’elles des victimes à tout prix que de définir avec précision la fonction que Daech attribue à ces femmes venues grossir ses rangs, contrairement à ce que voudrait faire accroire Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, lorsqu’il déclare, le 31 mars 2019 : « Je note avec attention la forme de compassion qui existe de la part d’un certain nombre d’avocats de femmes djihadistes, mais ce sont des combattantes […]. Elles doivent donc être traitées comme telles. » Pour  tant, même la documentation opérationnelle de la DGSI consacrée à l’engagement des femmes dans le djihad et à leur rôle au sein de l’État islamique fait expressément référence au fait que « par principe, les cadres de l’État islamique s’opposent à la participation des femmes aux combats ». Je n’avais certes pas oublié que Jean-Yves Le Drian fut l’un des seuls ministres socialistes de François Hollande à défendre l’extension de la déchéance de nationalité pour les binationaux nés Français et déclarés coupables de terrorisme, toutefois je me suis longuement interrogée sur les motivations qui le conduisaient à tenir de tels propos et à répandre des informations aussi mensongères sur le rôle de ces femmes – qui plus est en se croyant fondé à caricaturer leurs avocats. Quelle peur étrange et singulière pétrifiait ce socialiste nouveau genre pour qu’il s’empressât de qualifier notre appel à rapatrier des enfants innocents et à juger des femmes coupables de « compassionnel » (1) ? Quel était et demeure son intérêt à faire de ces femmes des combattantes qu’elles n’ont jamais été ? Pourquoi s’obstiner à conforter le peuple français dans l’illusion qu’il sera d’autant mieux protégé qu’on laissera ces femmes et leurs enfants mourir dans les camps de fange du nord-est syrien ? Jean-Yves Le Drian redoute probablement que soit révélé au grand jour ce que la plupart des acteurs judiciaires et de terrain savent déjà, à savoir que nombre de ces femmes se sont contentées de porter le niqab, de procréer et d’être traitées comme du bétail par leurs époux successifs. 

Tout cela en dit finalement moins sur elles que sur l’échec de nos sociétés qui n’ont su ni les retenir, ni empêcher Daech d’exercer son emprise. À cette aune, les rapatrier et les juger en France, c’est – ce serait – aussi faire le procès d’un échec républicain dont tout un chacun fuit la responsabilité. Pour beaucoup en effet, il est préférable qu’émergent dans la conscience collective – c’est-à-dire médiatique – des troupeaux de niqabs entassés dans des camps plutôt que des visages et des mots qui permettraient de jeter un pont entre leur départ et notre histoire. 

Le président de la République et le ministre des Affaires étrangères n’ignorent rien des conséquences catastrophiques que font peser sur la sécurité des Français leur inertie et leur refus obstiné de rapatrier nos ressortissants.

(1). À mon initiative et avec le soutien de mon confrère Henri Leclerc, un appel au rapatriement des enfants français détenus au Kurdistan syrien a été publié le 11 mars 2019 dans le journal Libération. Signé par huit mille citoyens et nombre de chercheurs, professeurs, artistes et écrivains, cet appel fut rejoint et relayé par des personnalités politiques de droite comme de gauche ainsi que par de nombreux praticiens du monde judiciaire et des victimes du terrorisme. À titre d’exemples : Marc Trévidic (magistrat), JeanPierre Rosenczveig (magistrat, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny), Josiane Bigot (magistrat honoraire), Georges Fenech (ancien juge d’instruction), Louise Roze et Emmanuel Domenach (rescapés du Bataclan), Éric Ouzounian (père d’une victime de l’attentat du Bataclan), Nadine Ribet-Reinhart (mère d’une victime du 13 Novembre), Sébastien Pietrasanta (député et rapporteur de la commission d’enquête relative aux moyens pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 et du projet de loi sur la lutte contre le terrorisme), Nicolas Hénin (retenu en otage par Daech et fondateur d’Action Résilience), Martine Laroche-Joubert (grand reporter)

Extrait du livre de Marie Dosé, "Les victoires de Daech", publié aux éditions Plon 

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