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Greta Thunberg-Donald Trump, le match : avantage à...
©Fabrice COFFRINI / AFP

Davos 2020

Le forum économique mondial de Davos s'est ouvert le 20 janvier. Greta Thunberg et Donald Trump ont prononcé un discours et exposé leur vision du monde, notamment sur les questions environnementales. Donald Trump a fustigé "les prophètes de malheur".

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico.fr : Ce mardi, le forum économique mondial de Davos a débuté. Les acteurs majeurs de l'économie mondiale se sont retrouvés. Greta Thunberg et Donald Trump y sont les invités les plus médiatiques et se sont opposés indirectement dans leurs discours. Voit-on ici un symbole de la fracture qui oppose nos sociétés vis-à-vis de l'avenir ? 

Greta Thunberg a rappelé la phrase désormais célèbre "notre maison brûle". Cette rhétorique de la peur et de l'urgence est-elle bien reçue dans l'opinion publique ? A-t-elle des effets auprès des décideurs politiques ? 

Vincent Tournier : Jouer sur la peur n’est pas toujours une bonne stratégie de communication. Par exemple, la peur n’a pas eu les effets escomptés sur le tabagisme ou l’insécurité routière. Au contraire, elle a pu provoquer des résistances ou des stratégies d’évitement. La dernière réglementation sur les paquets de cigarette, qui rend plus visibles les photos et les slogans sordides, n’a pas eu un impact fort sur la consommation, en tout cas pas aussi fort que le prix du tabac fixé par les taxes. Tout dépend en fait du degré de réceptivité du public. La peur a surtout tendance à renforcer les opinions de ceux qui sont déjà convaincus. Quant aux autres, elle peut avoir un effet inverse car elle est vue comme un discours paternaliste et infantilisant, et on peut penser que ce sera encore plus le cas avec Greta Thunberg. Quant aux décideurs publics, ils sont surtout sensibles à ce que pensent les électeurs. Cela étant, pour les leaders politiques, il peut y avoir un impact sur leurs stratégies, non pas parce que Greta Thunberg joue sur la peur, mais simplement parce qu’elle prend toute la place. C’est flagrant avec ce duel au sommet entre Trump et Thunberg. D’une certaine façon,  cette jeune fille vole la vedette à des gens comme Emmanuel Macron ou Justin Trudeau qui aimeraient bien être perçus comme les anti-Trump dans le camp des démocraties. Evidemment, ils partent avec un handicap car, contrairement à Greta Thunberg, ils exercent le pouvoir, donc ils sont contraintsd’assumer la gestion des affaires économiques avec tout ce que cela impliquer de contradictions et de défenses des intérêts marchands. On l’a encore vu ces derniers jours lorsqu’Emmanuel Macron, lors du sommet Choose France organisé à Versailles, a déployé toute son énergie pour inciter les entreprises internationales à investir en France. Il est difficile après cela d’avoir un message purement écologique. Mais il sera intéressant de voir comment, dans les mois qui viennent, Emmanuel Macron va tenter de se repositionner comme le chef de file des anti-Trump. Pourquoi pas en nommant Greta Thunberg ambassadrice des pôles à la place de Ségolène Royal ?

Donald Trump, quant à lui, a accusé la jeune suédoise de jouer au prophète de malheur. Le président américain représente-t-il ici une part de l'opinion occidentale qui croit qu'au fond le réchauffement climatique se résoudra de lui-même ? 

Ce qui est amusant, c’est que Trump renverse les postures. Jusqu’à présent, c’étaient surtout les leaders dits populistes qui étaient accusés de jouer sur les peurs. Leurs adversaires ne se privaient pas de leur reprocher de surfer sur les peurs : la peur de l’immigration, de l’Autre, de l’insécurité, de la diversité, du changement, etc. Pendant la campagne de 2016 aux Etats-Unis, on a même vu Hillary Clinton exploiter sans vergogne l’argument de l’apocalypse nucléaire en cas de victoire de Trump. Naturellement, Trump fait pareil de son côté et il n’hésite pas à dire que si les démocrates venaient à gagner, ils allaient transformer les Etats-Unis en Venezuela. Bref, chacun joue sur les peurs de l’autre. Mais comme la gauche a abusé de cette corde dans le passé, elle ne peut plus se plaindre aujourd’hui. C’est même le démocrate Lyndon Johnson qui a donné l’exemple en jouantsur la crainte de la guerre nucléaire, dans un clip célèbre diffusé pendant sa campagne contre le républicain Barry Goldwateren 1964. Donc, non seulement la gauche est mal placée pour faire des reproches à la droite, mais le problème est surtout qu’elle a contribué à discréditer le thème de la peur ou de la dramatisation. C’est dommage car les enjeux environnementaux sont bien réels, et les menaces ne sont pas à prendre à la légère, comme d’ailleurs il ne faut pas prendre à la légère les menaces concernant l’immigration. En fait, c’est probablement là que se trouve le vrai défi de la politique aujourd’hui : c’est d’arriver à faire en sorte que chaque camp prenne au sérieux les peurs de ses adversaires. Tant qu’on n’en sera pas là, les uns et les autres pourront s’accuser mutuellement de jouer sur les peurs sans faire avancer les choses. Pourtant, il devrait être possible de trouver des points de convergence. Par exemple, la question des réfugiés climatiques, dont le flot risque de s’accroître, pourrait constituer un motif commun de lutter contre le réchauffement.

Est-ce que par défaut, le monde économique ne finit-il par suivre Trump et ses volontés de transformer l'ordre international, en préférant l'innovation à l'écologie punitive ?

Il est évident que les Etats-Unis représentent un acteur majeur dans le monde d’aujourd’hui, que ce soit sur le plan économique ou sur le plan géopolitique. Donc, les entreprises peuvent difficilement faire la fine bouche à l’égard de Trump. Il y a plus de chance que le monde de demain soit modelé par Trump que par Greta Thunberg. 

Pour autant, la situation est plus complexe, comme le montre d’ailleurs la présence simultanée de Greta Thunberg et de Donald Trump à ce fameux sommet de Davos. Greta Thunberg incarne incontestablement un phénomène avec lequel il faut compter. Les entreprises en savent quelque chose puisqu’elles tentent de se plier aux attentes environnementales de leurs clients. De ce point de vue, le monde marchand est assez souple, ce qui est normal parce qu’il n’est pas guidé par des valeurs. On vient de voir, par exemple, que la firme Ferrero a obtenu un brevet de respectabilité de la part de l’ONG World Wide Fund (WWF). Cela étant, il ne faut pas se leurrer : les préoccupations environnementales de certains consommateurs sont contrebalancées par les désirs frénétiques d’achats d’une grande partie de la population. Le consumérisme constitue le moteur de notre société, et ce n’est donc pas le marché qui peut amener les réponses à la crise environnementale qui nous attend.  Et les consommateurs sont aussi des électeurs, ce qui rend les choses encore plus complexes. 

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