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L’impact de l’appel du 18 juin 1940 sur les ralliements et l’entourage du général de Gaulle
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Bonnes feuilles

Jean-Paul Cointet publie "De Gaulle, Portrait d’un soldat en politique" aux éditions Perrin. De l’arme blindée à l’arme atomique, de l’appel du 18 juin à la constitution de la Ve République, de Gaulle, incomparable dans l’art de commander puis de gouverner, a voulu que la France recouvre et tienne son rang. Extrait 1/2.

Jean-Paul Cointet

Jean-Paul Cointet

Professeur émérite des universités, Jean-Paul Cointet est un spécialiste reconnu de la Seconde Guerre mondiale. 

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« Quant à moi, qui prétendais gravir une pareille pente, je n’étais rien au départ. À mes côtés, pas l’ombre d’une force ni d’une organisation. En France, aucun répondant et aucune notoriété. À l’étranger, ni crédit ni justification. » 

On connaît ces lignes fameuses des Mémoires de guerre. Au moment où il lançait son appel, de Gaulle se situait dans la perspective (la sienne ou celle du gouvernement britannique ?) de voir se constituer à Londres un gouvernement français de guerre formé d’hommes politiques, de diplomates et de grands chefs militaires. De là ses appels initiaux aux généraux Noguès et Catroux, au résident général Puaux, faisant écho aux espoirs que plaçait Churchill dans les Herriot, Lebrun, Mandel ou Reynaud. 

Ses appels demeurés sans réponse, quel espoir lui restait-il avec les Français de Londres, d’Angleterre, de métropole ou de l’Empire – militaires ou non? 

L’appel du 18  juin n’a éveillé aucun écho parmi les membres de l’ambassade de France à Londres, pas davantage les suivants, sinon silence ou réprobation, au mieux sympathique compréhension. 

Du côté de la colonie française de Londres, attitude comparable. Elle était formée de trois catégories distinctes : 10000  personnes présentes de longue date, personnes en transit, personnes venues de France. Les Français notables sur place, tels Jean Monnet, Henri de Kerillis, Alexis Leger, ne tardent pas à quitter Londres. Avant de partir faire des conférences aux États-Unis, André Maurois déclare à de Gaulle : « Faites une Légion, mais non un gouvernement. » De Gaulle eut cette formule adressée à Gaston Palewski : « Les Français venus à Londres se divisent en deux catégories : ceux qui sont déjà en Amérique et ceux qui vont y partir. » 

Jean Monnet lui adresse une lettre le 23 juin 1940. On peut y lire : « Je considère que ce serait une grande faute que de constituer en Angleterre une organisation qui pourrait apparaître comme une autorité créée à l’étranger sous la protection de l’Angleterre. […] Ce n’est pas de Londres en ce moment-ci que peut partir l’effort de résurrection. » 

Peu après, le chef de la mission économique à Londres remettait sa démission à Churchill, qui le nommait derechef à Washington. 

Et les militaires ? 

L’Angleterre accueillait nombre de soldats français. Environ 150000 hommes de l’armée de terre s’y trouvaient en transit, arrivés de Dunkerque et de Norvège. Il y avait 20000  marins dans une vingtaine de ports britanniques, sur une centaine de navires jaugeant 100000 tonnes. Enfin une centaine de pilotes. 

L’écho des appels successifs devait se révéler très faible. Dans ses Mémoires de guerre, de Gaulle rappelle que huit jours après l’appel du 18 juin le nombre de volontaires campés dans la salle de l’Olympia prêtée par les Anglais ne dépassait pas quelques centaines. 

Les raisons de ce faible écho? 

Les autorités britanniques ne firent rien pour faciliter les ralliements, pour ne pas dire qu’elles y firent obstacle, poussant même à l’obéissance aux autorités en métropole. On ne saurait écarter leur crainte de l’infiltration d’éléments indésirables, qui nécessitait une vérification des identités. C’était la fonction de la fameuse Patriotic School. Du côté des militaires français, l’emportèrent, avec l’absence d’écho du nom de De Gaulle, une tradition d’obéissance et l’inquiétude pour les familles restées en France… quand ce ne furent pas les craintes de devoir affronter la nourriture anglaise (elles s’exprimèrent parfois). Il y avait encore la séparation d’avec les familles.

On a pu souligner encore l’influence des scrupules devant l’acte d’engagement que devaient signer les volontaires. Engagement de servir « pour la durée de la guerre actuellement en cours plus trois mois ». S’y ajoutait un engagement personnel à l’égard du Général. 

Des ralliements isolés s’opérèrent depuis la France. Celui de Pierre Julitte –  futur compagnon de la Libération  – est éclairant. Chef de la mission française de liaison près de la 3e  brigade blindée britannique, il est de ceux qui ne voulaient pas abandonner le combat. Après avoir quitté difficilement Cherbourg le 19  juin (tout départ serait assimilé à une désertion), il se retrouve à Southampton, accueilli par des officiers de la mission militaire française qui lui conseillent de ne pas « donner aux Anglais » le spectacle de notre « indiscipline » et de regagner la France le plus tôt possible. Parvenu à rejoindre les Britanniques, il réussit à être reçu quelques jours plus tard par de Gaulle, qui ne répugnait pas, dans son isolement, à recevoir personnellement tout arrivant de France. 

Son propos : la guerre est mondiale. « Dans les forces qui s’affronteront, de quel poids pèsera avant longtemps la contribution militaire française ? Bien peu, croyez-moi. Ce qu’il faut, c’est assurer la garde du drapeau. Cela fait, ce qui importe, c’est de défendre les intérêts de la France. Contre nos alliés jusqu’à la victoire. Avec eux, contre l’ennemi, jusqu’à ce qu’il soit vaincu. […] Il faut bien que je m’y colle, puisque personne ne s’en charge. » 

Il reste à se poser une question. En cas de ralliements de dignitaires de l’Empire, quelle eût été l’attitude de De Gaulle ? Source d’une légitimité nouvelle, l’appel du 18 juin lui avait conféré une primauté qui excluait toute remise en cause ou tout partage.

Dans l’immédiat, il importait à de Gaulle de faire la démonstration de ralliements de quelque notoriété pour faire reconnaître la représentativité démocratique de son mouvement. Chez les militaires, ces ralliements furent alors très peu nombreux. On pourra citer le général Legentilhomme, commandant des troupes de la Côte française des Somalis. Thierry d’Argenlieu, officier de marine, l’a rejoint le 29  juin. Et, beaucoup mieux, le général cinq étoiles Georges Catroux. Ancien gouverneur général de l’Indochine, il vient d’être remercié par Vichy, officiellement pour avoir trop cédé sur l’ultimatum japonais relatif au passage de leurs forces dans la péninsule. C’est après une escale à Singapour, où il a rencontré les responsables anglais, qu’il a pris le chemin de Londres. Le général Weygand lui a fait savoir de Bordeaux qu’aucune fonction ni compensation ne l’attendaient en France. 

Quelques jeunes officiers ont pu quitter la France. C’est le cas de Christian Fouchet et de Claude Hettier de Boislambert. 

De Gaulle peut bien évoquer alors « un universel abandon ». 

Le 14  juillet 1940, c’est un effectif squelettique de 3000 hommes que de Gaulle peut passer en revue. Le temps est loin où le jeune de Gaulle se rêvait à la tête d’une armée de 200000 hommes.

Eu égard à la faiblesse du nombre des premiers engagés, une approche sociologique sérieuse n’est envisageable que si l’étude s’élargit à l’ensemble des Forces françaises libres. On peut ainsi avoir quelque idée de l’origine des compagnons de combat du Général. 

Le plus grand nombre des volontaires vient de Bretagne et de la région parisienne et, dans une moindre mesure, du Nord et du Nord-Est. La zone occupée a donc fourni le plus grand nombre d’engagés, pour des raisons qui tiennent à la géographie et à l’engagement patriotique, fouetté par la présence de l’occupant. S’il n’y a nulle surprise à relever la jeunesse et le célibat des engagés, on a la confirmation du caractère populaire du mouvement : plus de la moitié des engagés sont des ouvriers ou des employés. Étudiants, fonctionnaires et militaires sont surreprésentés par rapport à leur place dans la société française. 

Ces hommes ordinaires n’étaient pas ceux que l’on attendait. 

Quant au premier entourage, il est composé d’hommes le plus souvent inconnus de De Gaulle et frappe par l’absence de notables de la politique, de l’administration, de la diplomatie ou des affaires. On relève l’absence de tout grand écrivain. De Gaulle en fait le constat amer dans ses Mémoires. Faisant allusion à ces « recrutements hâtifs » des premiers jours, il mentionne « l’esprit aventureux de certaines personnalités ou simplement leur inaptitude aux règles et obligations d’un service public ». 

« Au total […], cette abstention presque générale des personnalités françaises ne réhaussait certes pas le crédit de mon entreprise. […] Moins il venait de notables, moins de notables avaient envie de venir. » « Je me sens parfois bien seul », pourra-t-il écrire à sa femme. 

De Gaulle a cruellement relevé la quasi-absence des « élites ». À la fin de la guerre, trois semaines après son arrivée à Paris, il s’adresse au palais de Chaillot à des élites rassemblées. Il n’est pas sans relever « le dosage des applaudissements, les jeux de physionomie calculés suivant [s]es propos ». Et d’ajouter : « Plus que jamais, il me fallait donc prendre appui dans le peuple plutôt que dans les “élites” […] car, à l’opposé de ses élites, jamais la masse des Français ne tint la défaite pour acquise. » 

C’est bien l’expérience de la guerre qui lui a fait découvrir le « peuple ». On sait le mot de Malraux, disant que de Gaulle ne pouvait pas le connaître, n’ayant jamais partagé des repas avec des ouvriers. 

Ses premiers appels de Londres dans l’été 1940 s’adressent en priorité aux élites militaires, mais aussi aux ingénieurs ainsi qu’aux dirigeants de l’Empire susceptibles de faire basculer celui-ci dans le refus de l’armistice. On est certes alors dans un contexte particulier. Mais à remonter aux années 1930, c’est bien à un ressaisissement et à un renouvellement des élites qu’en appelle de Gaulle. Vers l’armée de métier se présente bien comme un manifeste de cette volonté de changement. Cette déception de l’été 1940 a cruellement et profondément marqué de Gaulle. On en retrouvera l’écho dans les années de la Ve   République, jusqu’au fameux « Aidez-moi » adressé aux électeurs. 

Le premier entourage de De Gaulle se trouve ainsi très limité et circonscrit, et d’une extrême diversité. C’est René Cassin, professeur de droit, radical, militant des Droits de l’homme. C’est Pierre-Olivier Lapie, socialiste, échappé de Dunkerque ; Georges Boris, ancien collaborateur de Léon Blum. C’est aussi Adrien Tixier, syndicaliste et socialiste ; Jacques Soustelle, ancien militant du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes. C’est encore René Pleven, second de Jean Monnet à la mission économique franco-anglaise ; Maurice Schumann, militant démocrate-chrétien; Gaston Palewski, qui a été directeur de cabinet de Paul Reynaud. 

Les hommes de ce premier entourage ne sont pas représentatifs de groupes particuliers ou de telle ou telle catégorie de la population française. Ils ont réagi selon des réflexes qui leur sont propres. Ils sont, à cet égard, les acteurs d’un tournant dans l’histoire des mentalités. 

Pour la plupart d’entre eux, fonctionnaires ou militaires, ils avaient été formés au respect de l’obéissance, à la soumission au pouvoir légal. Ces axiomes devaient pourtant, après l’armistice de 1940, se trouver privés de toute portée et de toute justification. Comment distinguer ce qui était loyauté et ce qui était rébellion, alors que, par l’emploi contradictoire qui en était fait, ces termes se trouvaient vidés de leur ancienne signification? Pour le fonctionnaire – le soldat en particulier – la question d’un choix à faire, d’un parti à prendre, entre des devoirs opposés. 

Le temps ne fera qu’alourdir le débat quand s’opérera le choix, après le débarquement de novembre 1942, entre les appels de Vichy, de Londres et d’Alger. 

Épreuve souvent tragique pour des hommes entraînés à se tenir en dehors des factions politiques. C’est chez les militaires que le débat devait être le plus angoissant – quand on n’est pas habité, comme de Gaulle, par un souffle exceptionnel. Un combattant de cette guerre, le commandant d’aviation Jules Roy, a évoqué ce drame : « Il n’y avait plus de mon temps de vertu qui pût s’appeler discipline. Mais j’étais condamné du même coup à ne plus jamais reposer sur personne. Il n’y avait plus de discipline mais il n’y avait plus d’armée. » 

Et il n’est pas surprenant sans doute que l’on ait pu voir renaître, durant la confusion de ces années, tant de vieilles notions militaires que l’on croyait depuis longtemps oubliées : le vieux rite du serment prêté à la personne du chef, le vieux terme de « compagnonnage », les vieilles pratiques d’allégeance et de fidélité personnelles.

Extrait du livre de Jean-Paul Cointet, "De Gaulle, Portrait d’un soldat en politique", publié aux éditions Perrin

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