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Pourquoi les citoyens de la Convention sur le climat pourraient se montrer bien plus raisonnables (et efficaces) que nombre de militants pour l’environnement
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Société civile

Face aux 150 citoyens tirés au sort pour proposer des mesures de lutte contre le réchauffement climatique dans le cadre de la Convention citoyenne pour le climat, Emmanuel Macron a ouvert la voie à un possible référendum.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Emmanuel Macron répondait ce vendredi aux questions des membres de la Convention citoyenne pour le climat, tous issus de la société civile.  Les attentes de citoyens en matière de lutte contre le réchauffement climatique sont souvent bien moins radicales que celles proposées par les militants écologistes. Si la question du réchauffement climatique intéresse les Français pourquoi sont-ils souvent en désaccord avec les militants écologistes ?

Vincent Tournier : Le réchauffement climatique est un sujet grave et important. Il lance un défi totalement inédit, pour lequel notre système démocratique apparaît mal adapté. Les mouvements écologistes sont portés à faire des propositions radicales, souvent naïves ou irréalistes. C’est ce qu’on trouve par exemple chez Greenpeace, qui formule trois grandes propositions : « passer à 100% d’énergie renouvelable », « interdire tout nouveau projet climaticide » et « désinvestir des énergies fossiles ». Non seulement ces propositions manquent de rigueur (qu’est-ce qu’un « projet climaticide » ?) mais surtout elles restent très générales puisque Greenpeace ne donne aucune indication sur la façon de procéder ni sur le rythme des réformes. C’est donc une posture facile et stérile, ce qui explique en grande partie pourquoi les partis écologistes n’arrivent pas à percer électoralement alors qu’ils ont le vent en poupe.  

De l’autre côté, on a une opinion publique qui est désormais consciente du réchauffement climatique mais qui dispose d’un niveau d’information assez rudimentaire, en grande partie parce que les médias n’ont pas les compétences requises, et plus généralement aussi parce que les enjeux sont difficilement traduisibles dans les termes du débat démocratique. On le voit notamment dans les sondages d’opinion, qui sont ici de bons indicateurs de l’état des débats. Ceux-ci proposent une approche très superficielle. Prenons par exemple un sondage de l’IFOP d’octobre 2018, mais on pourrait en prendre beaucoup d’autres. Ce sondage  montre d’abord que 85% des Français sont inquiets (29% très inquiets, 56% assez inquiets), ce qui confirme que l’information est bien passée, mais par la suite il se contente de demander aux Français s’ils sont prêts à accomplir les actions suivantes : trier ses déchets, baisser son chauffage, utiliser des énergies renouvelables, manger moins de viande, prendre les transports en commun ou encore utiliser le covoiturage. Or, s’il y a bien une chose qui est sûre, c’est que même si les Français suivaient à la lettre toutes ces recommandations, cela n’aurait aucun impact sur le réchauffement climatique. On peut d’ailleurs aller plus loin : même si tous les habitants de la planète faisaient la même chose, cela n’aurait probablement qu’un impact minime pour la simple raison que les causes du réchauffement sont beaucoup plus profondes. Par exemple, on se polarise actuellement sur l’interdiction des sacs et des bouteilles en plastique mais on oublie que notre société repose massivement sur le plastique. Or, extirper le plastique de notre environnement risque d’être un enjeu d’une tout autre ampleur que le simple bannissement des sacs.  

Le problème est donc qu’il y a une réelle difficulté pour intégrer les enjeux environnementaux dans le cadre du processus de décision démocratique : soit on se situe dans le registre des groupes militants, et dans ce cas on en reste à des solutions impraticables ; soit on se situe dans le registre démocratique où il s’agit de moraliser ou de culpabiliser les individus, et dans ce cas on se condamne à agir à la marge des problèmes. 

Les solutions proposées par le pouvoir en place, souvent anecdotiques, ne semblent guère convaincre les Français. La population française est-elle généralement plus pragmatique sur ces questions que ses représentants politiques ? 

C’est plutôt le contraire. L’opinion publique n’est pas pragmatique, elle est surtout contradictoire : d’un côté les Français se disent désireux de lutter contre le réchauffement mais de l’autre ils ne sont pas prêts à mettre en œuvre les mesures qui risquent de leur causer d’importants préjudices, ce qui est du reste assez logique car chacun a bien compris que les mesures de lutte contre le réchauffement climatique ne peuvent que se traduire par un appauvrissement généralisé, donc par des inégalités sociales encore plus fortes. Du coup, l’opinion a tendance à lancer des injonctions contradictoires : sauvez la planète mais sans toucher à mon mode de vie, et même en l’améliorant si possible, ce qui paraît difficile. Lorsque le gouvernement socialiste a voulu instaurer l’éco-taxe, il s’est heurté aux bonnets rouges ; et lorsque le gouvernement actuel a voulu augmenter les taxes sur l’essence, il s’est retrouvé face aux Gilets jaunes : imaginons donc quelles seraient les réactions si on interdisait d’avoir une seconde voiture ou de prendre ses vacances à plus de cinquante kilomètres de chez soi, ou encore si on limitait drastiquement les espaces de stockage de la mémoire sur les appareils numériques. 

En fait, si on est objectif, c’est du côté du gouvernement que se situe le pragmatisme, mais c’est bien là qu’est le problème. Tous les gouvernements, et celui-ci comme n’importe lequel, sont pris dans des contradictions insolubles. Il doivent tenir compte de multiples paramètres qui ne sont pas compatibles : respecter les engagements européens et internationaux, satisfaire les différentes sensibilités au sein de la majorité, éviter de fâcher les lobbys (à la fois économiques et écologistes), réduire la dette, éviter d’accroître les tensions avec les impôts, limiter le chômage, le tout dans un contexte d’intense compétition économique internationale, avec des pays comme la Chine ou l’Inde qui n’ont pas nos scrupules en matière environnementale. Au bout du compte, les leviers sur lesquels les gouvernements peuvent agir ne sont pas énormes. Finalement, si on voulait vraiment lutter efficacement contre le réchauffement, il faudrait se doter d’un gouvernement autoritaire à l’échelle de la planète, ce qui n’est pas une perspective très crédible, ni très réjouissante. Mais il serait peut-être plus judicieux de partir du principe que, comme le réchauffement climatique va avoir lieu quoique l’on fasse, il vaut mieux se focaliser sur la manière d’en limiter les effets politiques et sociaux. 

Cette Convention, dans la mesure où les citoyens seraient réellement écoutés, peut-elle faire émerger une certaine sagesse sur la question du climat et de la lutte contre le réchauffement climatique ? 

Cette convention citoyenne a quelque chose d’assez étonnant. Si on part du principe que les problèmes écologiques sont aussi importants qu’on le dit, au point que le monde risque de plonger dans le chaos pour les siècles à venir, pense-t-on vraiment pouvoir les régler avec un tel dispositif ? On pourrait faire une comparaison avec la Révolution française puisque la « convention » lancée par Emmanuel Macron reprend le nom de l’assemblée qui a siégé à partir de 1792 : qui peut sérieusement croire qu’on aurait pu résoudre les problèmes de l’époque en invitant 150 citoyens tirés au sort à venir discuter sagement ? 

Ce genre de « conférence citoyenne » relève d’abord d’une stratégie politique pour tenter de sortir de l’impasse. Cela risque d’être un épiphénomène. D’ailleurs, en aurait-on parlé si le président n’avait décidé d’y faire une intervention cette semaine, sans doute pour essayer de tourner la page de la réforme des retraites en rappelant qu’il existe d’autres agendas ?
Les conférences de citoyens, ou quel que soit le nom qu’on leur donne, ne sont jamais qu’une façon de répondre à la crise de la représentation politique qui émane notamment de l’insatisfaction des milieux urbains et diplômés. C’est au fond le populisme du cadre sup. Mais on voit mal comment des citoyens tirés au sort vont être capables, en l’espace de quelques réunions, de sortir de leur chapeau des solutions auxquelles personne n’a pensé jusqu’à présent, ni comment ils pourraient proposer des mesures qui soient à la fois efficaces et consensuelles, puisque telle est bien la grande difficulté actuelle. Il aurait été certainement plus judicieux (et sans doute moins coûteux) de créer une task force composée d’universitaires avec pour mission de dresser un bilan de toutes les options envisageables (puisque le GIEC a refusé de le faire), puis de les soumettre à la discussion publique et, éventuellement, à un référendum. 

Est-ce à dire que cette convention ne servira à rien ? Pas forcément, parce que, même si les propositions qui vont émaner de ces échanges ont de fortes chances d’avoir déjà été mises sur la table, cela pourrait leur assurer un regain de visibilité et de légitimité. Mais gardons à l’esprit que, dans tous les cas, le pouvoir politique va garder la main sur la suite du processus. Le président a eu l’honnêteté de le dire. Il a en effet indiqué qu’il y aurait trois situations à l’issue de cette convention : soit les propositions ne conviennent pas à Emmanuel Macron, et dans ce cas elles passeront à la trappe ; soit les propositions ne seront pas assez précises, et dans ce cas il les reformulera ; soit enfin les propositions seront pertinentes et le président se réserve alors la possibilité de les faire adopter par référendum. Bref, avec cette convention, le président a plutôt bien joué. Il a su reprendre l’initiative en matière d’agenda et de communication et, tout en court-circuitant le parlement, il a trouvé le bon équilibre entre la délégation et le contrôle : d’un côté, il donne le sentiment de consulter le peuple, de l’autre il se réserve la possibilité de faire le tri. Et si au final les 150 citoyens ne sont pas contents, ils pourront toujours aller râler dans les médias : leur parole pèsera beaucoup moins lourd que s’il s’était agi de parlementaires.

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