Autisme : l’obsession pour le syndrome d’Asperger se retourne contre les neuroatypiques<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Autisme : l’obsession pour le syndrome d’Asperger se retourne contre les neuroatypiques
©FRANCOIS GUILLOT / AFP

Prise en charge et considération

Cédric Villani a été questionné par Quotidien au sujet du supposé autisme du mathématicien, ce qui a soulevé une vague d'indignation dans l'opinion et sur les réseaux sociaux. Pourquoi la société française a-t-elle une telle fascination pour les autistes ?

Lise  Malézé

Lise Malézé

Lise Malézé est psychologue, spécialisée dans la prise en charge des personne autistes et l'accompagnement de leurs familles. Elle est directrice d'un Lieu d'Accueil Enfants Parents, et exerce au sein du centre Happy Families à Paris ainsi que pour l'association Asperger Amitié.

Voir la bio »

Atlantico.fr : Cédric Villani se trouve malgré lui au centre d'une polémique. En cause : une question posée par un journaliste de Quotidien au sujet du supposé autisme du mathématicien, question qu'une grande majorité de l'opinion a condamné.

Que pensez-vous de cette séquence ?

Lise Malézé : Cédric Villani a bien sûr fait une réponse très juste. Est-ce que le journaliste aurait osé lui poser une question sur son orientation sexuelle, sur une maladie, sur un aspect de sa vie personnelle, sur des problèmes psychologiques ? L'autisme reste à l'heure actuelle reconnu comme handicap, même si cela est controversé et que certains préfèrent parler de neuroatypie ou de différence, cela reste soumis à un diagnostic pour être identifié. Cela relève donc du secret médical. Au delà de cela pourquoi faudrait-il qu'une personne supposée autiste le martèle et se définisse comme telle pour faire campagne ?

Pourquoi la société française a-t-elle une telle fascination pour les autistes (notamment Asperger) ? 

La France a accumulé pendant des années un grand retard dans la prise en charge et la considération des personnes autistes. Et ce retard n'est pas encore comblé. Ce sont les familles et les personnes autistes qui ont réussi à faire bouger les choses en médiatisant leur cause. Grâce aux médias et aux réseaux sociaux les personnes concernées réussissent à toucher l'opinion et les politiques. Elles se battent ainsi pour obtenir plus de moyens face à des institutions souvent trop lentes ou aux pratiques archaïques. L'autisme est donc bien plus médiatisé que d'autres causes, ce qui donne cet effet "l"autisme est à la mode".

On parle actuellement de Troubles du Spectre Autistique : cela recouvre une très grande variété de réalités et de problématiques. La surmédiatisation va très souvent de pair avec les cas les plus extrêmes : les autistes sévères ou les "asperger génies". L'image de l'autisme que la plupart des personnes ont en tête c'est soit un enfant totalement renfermé dans sa bulle, qui ne parle pas, se balance seul dans un coin, soit le génie qui est capable de faire des calculs surhumains. La très grande majorité des personnes autistes ne ressemble ni à l'un ni à l'autre de ces clichés.

Et pour beaucoup de personnes, l'autiste asperger, c'est le "fou sympa, excentrique, rigolo". Il y a de plus en plus de personnages autistes dans les fictions. Les gens n'ont pas le même regard sur les personnes schizophrènes ou bipolaires par ex qui restent sources de peur et de méfiance.

Beaucoup pensent que l'autisme va de pair avec une intelligence exacerbée. Cette fascination vous semble-t-elle aider les autistes ou est-elle au contraire un poids ?

C'est un cliché qui a la peau dure... Les personnes autistes n'ont que très rarement une intelligence exacerbée, mais c'est une autre forme d'intelligence, de raisonnement et de perception de leur environnement ce qui amène très souvent à des difficultés car le monde n'est pas conçu et organisé pour eux. Ca n'aide pas les personnes autistes qui pour la plupart sont dans des demandes simples d'accès à des droits et une qualité de vie comme tout un chacun : pouvoir aller à l'école, travailler, réussir à avoir une autonomie dans la vie quotidienne, des relations sociales et amoureuses etc. Beaucoup ont de réelles difficultés cognitives et sensorielles, ce qui déroute les employeurs par ex : ils peuvent avoir un bac+5 et être brillants dans leur domaine mais ne pas réussir à être autonome, à s'organiser dans leur travail, à supporter un openspace, à communiquer avec ses collègues... Ou pour certains qui ont des aptitudes exceptionnelles dans un domaine, cela n'a malheureusement pas toujours d'application concrète dans leur vie, ça ne peut pas toujours se transformer en métier ou en passion qu'ils peuvent partager avec d'autres personnes par ex. Enfermés dans ce genre de clichés, on pense qu'ils n'ont pas besoin d'accompagnement ou d'aménagements, alors que nombre d'entre eux les réclament pour réussir à être ensuite autonome dans tous les aspects de leur vie.

Les croyances autour de l'autisme n'empêchent-elles pas, dans une certaine mesure, de comprendre et de prendre en charge les neuroatypiques en général ?

Ces clichés peuvent être un frein au diagnostic et à la bonne prise en charge des personnes autistes. L'autisme est encore très mal diagnostiqué en France. La majorité des professionnels en première ligne (médecins, psychologues...) ne sont pas assez formés.  Quand on n'est pas formé on se réfère à des clichés, aux cas les plus extrêmes recensés dans les manuels, ou on va glaner des informations sur internet. Il y a depuis quelques années une vague d'articles, de chaines youtube sur le quotidien des personnes autistes. Cela amène d'autres personnes à les regarder et se questionner "suis-je moi-même autiste ?", "mon enfant est-il autiste ?". Il y a beaucoup d'auto-diagnostic de personnes qui pensent se reconnaitre dans ce qu'ils lisent sur internet, c'est néfaste. Et en même temps avoir un diagnostic fiable est un parcours du combattant, quant aux prises en charge, elles sont souvent difficiles d'accès, peu remboursées. Il n'y a heureusement pas que des difficultés à être autiste, la neuroatypie est aussi une richesse, et les choses bougent il y a de plus en plus d'inclusion des enfants autistes à l'école, à terme c'est le meilleur de faire changer les mentalités sur ces questions et d'éviter les clichés.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !