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Pourquoi les compléments alimentaires peuvent souvent faire plus de mal que de bien pendant un cancer
©JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Faux amis

Les compléments alimentaires d'origine végétale (gingembre, ginseng, ail etc.) font polémique dans le milieu médical. De nombreux médecins alertent sur les effets néfastes de ces produits et sur l'efficacité de ces médicaments supposés lutter contre les cancers.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Des produits comme le ginseng ou l'ail contreraient les effets des chimiothérapies et interféreraient sur les hormones. Pouvez-vous nous expliquer en quoi les compléments alimentaires d'origine végétale nuisent aux médicaments ?

Stéphane Gayet : Il existe une forte tendance actuelle à l'autothérapie. C'est l'ensemble de toutes les pratiques de soins non prescrites par un professionnel de santé et qui sont mises en œuvre par des personnes non professionnelles de soins. Elle comporte plusieurs volets, dont celui de l'automédication qui par définition ne concerne que l'emploi de médicaments et d'une façon là encore non prescrite. L'automédication utilise en général des médicaments vendus sans ordonnance ou des reliquats de traitement ou encore des médicaments obtenus de façon illicite.

Autothérapie, pharmacothérapie, phytothérapie et aromathérapie

À côté de la pharmacothérapie dont la population se méfie de plus en plus, il existe la phytothérapie, l'homéopathie et l'aromathérapie. La phytothérapie est le fait de se soigner par des plantes (des préparations à base de plantes qui sont des extraits ou des concentrés, parfois simplement des résidus séchés). La phytothérapie est la thérapie la plus ancienne : cela fait des siècles et des siècles que les thérapeutes de tous pays et de toutes cultures utilisent ce réservoir infini de ressources thérapeutiques que constituent les plantes. On essaie de se soigner avec toutes les parties des plantes et sans exception : racines, bulbes, tubercules, rhizomes, écorces, troncs, sève, tiges, feuilles, fleurs, fruits, peau de fruits, pépins de fruits, etc. Initialement, l'immense majorité des médicaments de la pharmacopée vient de plantes. Ensuite, on s'est mis à produire des molécules chimiques identiques aux substances actives des plantes -ce qui suppose de les avoir identifiées- par synthèse ou par hémisynthèse. On voit que l'on est passé tout doucement de la phytothérapie à la pharmacothérapie. Il est naïf de se dire que la phytothérapie est une médecine complémentaire douce, car de nombreuses plantes peuvent tuer à la condition qu'elles soient suffisamment concentrées (la plupart des poisons historiques proviennent de plantes).

Avec l'homéopathie, il n'y a pas d'effet pharmacodynamique en raison d'une concentration infime de produit. L'action de l'homéopathie ne s'explique pas scientifiquement et n'est pas démontrée scientifiquement. Au moins, elle ne nuit pas.

L'aromathérapie est une méthode plus récente. Elle fait appel à des produits odorants -d'où son nom-, généralement de composition complexe, obtenus à partir d’une matière première végétale botaniquement définie, soit par entraînement par la vapeur d’eau, soit par distillation sèche, soit encore par un procédé mécanique approprié sans chauffage. Il s'agit donc de l'utilisation des « huiles essentielles ». On peut dire d'une façon schématique que l'aromathérapie est l'opposé de l'homéopathie : des extraits végétaux ultra concentrés.

La notion de complément alimentaire

C'est une expression officielle, réglementée, mais il faut le reconnaître une expression plutôt de type « valise ».

Les compléments alimentaires sont réglementairement « Des denrées alimentaires dont le but est de compléter un régime alimentaire normal et constituant une source concentrée de nutriments (minéraux ou vitamines) ou d'autres substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique seuls ou combinés ». Ils peuvent contenir des plantes ou extraits de plantes (arrêté du 24 juin 2014). Ces produits sont destinés à être pris par voie orale et sont conditionnés en doses sous forme de comprimés, gélules, pastilles, sachets de poudre, ampoules…

Cette définition issue de la directive 2002-46-CE du Parlement européen a été transposée en droit français par le décret n° 2006-352 du 20 mars 2006.

L'expression « Source concentrée de … substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique seuls ou combinés » est très permissive. La phrase « Ils peuvent contenir des plantes ou extraits de plantes » laisse la possibilité qu'ils contiennent aussi des substances d'autre origine…

Avec cette définition réglementaire imprécise, on peut y mettre bien des substances actives. Comme on le voit, ce texte réglementaire permet diverses interprétations et laisse la possibilité à de nombreux abus. Étant donné que les compléments alimentaires sont labellisés « Denrées alimentaires », ils relèvent en pratique de l'autorité du ministère qui est chargé de l'agriculture et non pas de celui chargé de la santé. Ce qui signifie qu'ils ne sont pas classés parmi les médicaments, alors que la plupart d'entre eux contiennent en réalité des substances pharmacologiquement actives. Cette notion de substance dite « Pharmacologiquement active » nécessite une explication. Car, dans le texte de l'arrêté, il est écrit « Ayant un effet nutritionnel ou physiologique… » : en principe, cette mention devrait exclure les effets pharmacologiques.

La vérité est que les compléments alimentaires constituent une niche industrielle et commerciale soigneusement protégée sur les plans législatif et réglementaire par les pressions et interventions de tous les lobbies qui ont intérêt à ce que cette aubaine juridique soit maintenue. On constate que la situation est assez semblable dans plusieurs pays industrialisés, ce qui fait penser à une organisation mondiale efficace et fort lucrative.

Les interactions de certains concentrés ou extraits végétaux avec certains médicaments anticancéreux

Ce risque d'interaction est bien réel et même préoccupant. Dans un concentré végétal, il y a des centaines et des centaines de substances. Parmi elles, plusieurs ont des effets pharmacodynamiques et quelques-unes sont dominantes. Ce ou ces effets pharmacodynamiques sont comparables à des effets médicamenteux. Dès l'instant où on les absorbe en même temps que des médicaments puissants et même toxiques comme les anticancéreux, on peut s'attendre à des interactions médicamenteuses qui peuvent être gênantes et parfois graves.

Les interactions entre substances médicamenteuses procèdent de plusieurs mécanismes. Prenons quelques exemples. Au niveau digestif, une molécule A peut augmenter ou au contraire diminuer l'absorption digestive d'une molécule B ; cela va avoir une incidence sur la quantité de molécules B qui sera disponible dans le corps. Une molécule A peut partager un même récepteur thérapeutique avec une molécule B et entrer de ce fait en compétition avec elle ; il y a dès lors une perte d'efficacité de la molécule B. Une molécule A peut agir sur le catabolisme (c'est-à-dire l'inactivation) de la molécule B ; soit en l'accélérant, soit en le ralentissant ; ce qui modifie l'intensité de l'action pharmacodynamique de la molécule B. Il y a bien d'autres mécanismes d'interaction de ce type. Certains sont aujourd'hui connus, mais beaucoup restent à découvrir.

Le cas du gingembre, du ginseng et de l'ail

Le gingembre est un immunostimulant fort (il ne faut pas penser que ce soit toujours un avantage, loin de là : une trop forte immunité est délétère). Il ne doit pas être associé aux antiagrégants plaquettaires (risque d'hémorragie). Il favorise les hypoglycémies chez les diabétiques.

Le ginseng est hépatotoxique ; or, beaucoup de médicaments anticancéreux sont hépatotoxiques (effet de sommation). De ce fait, il pourrait ainsi augmenter la toxicité des traitements oncologiques suivants : imatinib, dacarbazine, campthotécine, cyclophosphamide, inhibiteurs de l’EGFR, taxanes, vinca-alcaloïdes et épipodophyllotoxines (déconseillé dans ces cas).

Il a un effet pro-inflammatoire en augmentant l’activité cytotoxique (toxique pour les autres cellules) des macrophages péritonéaux et celle des cytokines inflammatoires (molécules activant l'inflammation et produites par des globules blancs). Il fait lui aussi baisser la glycémie après les repas chez les diabétiques de type 2. Il se comporte comme un phyto-œstrogène (il est contre-indiqué en cas de cancer hormonodépendant) : il peut stimuler la croissance tumorale des cancers hormonodépendants (par exemple du sein ou du corps de l’utérus). Il peut interagir avec les anticoagulants. Par ailleurs, il peut diminuer l'effet de la morphine. Enfin, l’usage combiné de ginseng et d’antidépresseurs à base de phénelzine est à proscrire.

L'ail a une action anticoagulante : il potentialise les anticoagulants et les antiagrégants plaquettaires. Il diminue l'effet des traitements à base de tamoxifène et à base de dacarbazine. Il augmenterait lui aussi la toxicité des chimiothérapies à base de docetaxel, ainsi que celle des traitements anticancéreux suivants : dacarbazine, campthotécines, cyclophosphamide, inhibiteurs de l’EGFR, taxanes, vinca-alcaloïdes et épipodophyllotoxines. Une interaction modérée serait également possible entre l'ail et l'anagrélide.

Pourquoi existe-t-il un tel engouement pour cette médecine parallèle ? Y a-t-il de plus en plus de méfiance à l'égard des médecins ?

L'autothérapie plaît beaucoup, car elle est synonyme de liberté et non-inféodation au corps médical et aux laboratoires. De plus, les médicaments des laboratoires pharmaceutiques sont de plus en plus suspects dans la population d'être toxiques, et cela sciemment. Les médecins sont suspects de connivence et de liens d'intérêt avec les laboratoires pharmaceutiques. D'où le grand intérêt pour l'autothérapie.

Comment les médecins peuvent-ils remédier à ces problèmes ? Existe-t-il des réglementations en France (ou en Europe) contre ces compléments ?

Les compléments alimentaires sont réglementés, mais leur réglementation est tellement souple et finalement permissive qu'elle permet tous les excès possibles. On peut se gaver de gingembre, de ginseng et d'ail (l'association des trois étant du reste dangereuse) jusqu'à se rendre très malade, cela en toute légalité.

Il faut que les médecins s'intéressent de près à la phytothérapie et l'aromathérapie, car leurs patients les pratiquent et assez souvent à leur insu. C'est en les connaissant qu'ils pourront leur en parler plus facilement. Les interactions les plus dangereuses doivent être connues des médecins, cela devient vraiment nécessaire et tout particulièrement en cancérologie où la puissance des médicaments utilisés augmente le danger des interactions avec la phytothérapie.

Il est assez vain de vouloir réglementer la phytothérapie ; et est-ce bien souhaitable ?

Il est plus important de sensibiliser et d'informer largement patients et professionnels de santé. Les pharmaciens sont en première ligne de l'information, car ils connaissent bien les interactions.

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