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Brexit ou avenir du système national de santé  : sur quoi vont vraiment se décider les élections britanniques ?
©Darren Staples / Reuters

Dernière ligne droite

Dix-sept jours avant le vote, les élections parlementaires britanniques sont-elles jouées?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Les sondages pointent vers une majorité absolue pour les Tories

Le débat sur le Brexit a été par moment si confus au Parlement britannique, depuis juin 2016, qu’il a fallu que la poussière retombe pour que l’on commence à discerner les tendances profondes de l’opinion britannique. Les Tories, un peu au-dessus de 40% si l’on fait la moyenne des sondages, retrouveraient leur score de juin 2017, mais avec la promesse, cette fois-ci, d’obtenir une majorité absolue. En effet, le Labour, qui talonnait les conservateurs en 2017, serait cette fois-ci légèrement en-dessous des 30%. Le retrait des candidats du Brexit Party de 350 circonscriptions est certainement décisif pour le maintien du parti conservateur à un score aussi élevé: malgré l’incapacité du parti à mettre en oeuvre le Brexit depuis trois ans et demi; malgré l’obstruction mise en oeuvre par Corbyn contre Johnson au Parlement à l’automne, les électeurs semblent retenir uniquement le fait que Johnson a ramené un nouvel accord de Bruxelles et qu’il est, de manière réaliste, le seul à pouvoir faire sortir le pays rapidement de la crise du Brexit. 

Il y a bien entendu des mouvements qui ne sont pas forcément favorables au parti conservateur: ils feront un faible score en Ecosse; le DUP nord-irlandais est opposé au nouvel accord de Brexit; les Libéraux-démocrates ont doublé leur score, à 15%, et ils espèrent bien s’implanter dans des circonscriptions où l’on a voté à la fois Tory et anti-Brexit ces dernières années. Cependant, toutes les projections en sièges, actuellement, promettent aux conservateurs au moins dix sièges en plus que ce qu’avait le parti dans le Parlement sortant: c’est-à-dire une majorité absolue. En fait, il aurait fallu que les Lib-Dems passent un accord avec le Labour, comme Nigel Farage en a passé un de facto avec les conservateurs pour que le rapport de forces soit modifiés en faveur des Remainers. 

Mais au fait, les élections portent-elles sur le Brexit? 

Le Labour entretient un espoir: l’avenir du système de santé publique, le National Health Service, est une question qui préoccupe les électeurs. Est-il possible de récupérer le sujet? Une brèche a semblé s’ouvrir suite à des déclarations de Donald Trump, vantant la possible entrée d’acteurs privés américains dans le secteur de la santé en Grande-Bretagne. Corbyn ne cesse de proclamer qu’il existe un plan dissimulé de démantèlement du NHS. Boris a certainement dû penser, à propos de Donald Trump, « Mon Dieu, gardez-moi de mes amis, je me charge de mes ennemis! »; néanmoins il a été le premier, dès son arrivée au 10 Downing Street à s’emparer du sujet, à promettre 40 nouveaux hôpitaux et la création de postes d’infirmières. Il est donc probable que les deux partis vont se neutraliser sur le sujet. Surtout, le Premier ministre sortant sait bien que l’idée s’est ancrée dans la population que beaucoup de décisions pourront être prises une fois le Brexit tranché. Cela joue en faveur de Boris Johnson. 

Dès son arrivée à Downing Street, le successeur de Theresa May avait commencé à marteler des engagements sur le NHS, sur la création de 20 000 postes de policiers, sur l’introduction d’un contrôle plus strict de l’immigration. Johnson a aussi un programme écologique affirmé - une tradition chez les Tories, depuis au moins les années 1980. Dans la profession de foi rendue publique aujourd’hui 24 novembre 2019, les conservateurs s’engagent également à ne pas augmenter la TVA durant la prochaine législature. Johnson a bien l’intention de jouer à fond du repoussoir qu’est la réputation de socialiste de Jeremy Corbyn. C’est moins la question de l’avenir du système de soins publics qui est en jeu, en l’occurrence, que la question de la capacité à financer ce système. Boris Johnson a beau jeu de souligner que les conservateurs, une fois au gouvernement, ont souvent plus de rentrées fiscales que leurs adversaires. 

Boris Johnson et le retour du « One Nation Party »

En fait, il faut bien comprendre que la géographie des deux grands partis, conservateurs et Labour, est en train de changer. Ce sera sans doute le résultat les plus spectaculaire de ces élections: le parti travailliste glissant vers le Sud, vers l’Angleterre des Anywheres; tandis que le parti conservateur redevient un parti capable de parler aux Somewheres, à cette Angleterre populaire qui a voté pour le Brexit. Tous les sondeurs sont d’accord pour pronostiquer de lourdes pertes au Labour dans les régions du nord de l’Angleterre et au Pays de Galles, où l’on a largement voté Leave. 

Par petites touches, le Premier ministre explique au pays, au fur et à mesure de la campagne, qu’il faut sortir du néolibéralisme des années 1990-2015; Margaret Thatcher est louée par lui plus comme patriote lucide sur l’Europe que comme réformatrice des cadres de l’économie et de la société. Le parti revient à ses fondamentaux, les principes fondateurs des années 1840, lorsque Benjamin Disraeli demandait que l’on réunisse « les deux nations » que la révolution industrielle avait fait émerger au sein de la société britannique sous l’effet des inégalités. Ces dernières décennies, l’idée du One Nation Toryism n’était guère plus qu’un slogan. A présent, elle semble redevenir réalité. 

Il est tout aussi significatif que le mot d’équilibre budgétaire ait complement disparu du vocabulaire des Tories, alors même que toute la première moitié de la décennie, David Cameron et son gouvernement avaient été occupés à remettre en ordre un budget creusé par la crise de 2008. Certains observateurs font remarquer que ce n’est pas la moindre des ironies: la politique d’austérité de David Cameron a sans aucun doute contribué à la victoire du Brexit. Et c’est cette victoire, la perspective d’une reprise en main complète de la souveraineté britannique, qui permettent aujourd’hui d’ignorer la question de l’impact budgétaire des dépenses publiques annoncées. Elles sont moins exorbitantes que celles que Jeremy Corbyn a en tête. Néanmoins, le parti conservateur promet d’allier politique régalienne (augmentation de l’effort de défense), politique sociale et politique environnementale, le tout sans hausse d’impôts. 

Tandis que le parti travailliste se « boboïse », le parti conservateur redécouvre l’Angleterre populaire. Quelles en seront les conséquences électorales? Réponse le 12 décembre 2019 au soir. 

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