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Quotas d’immigration économique : la fausse bonne idée derrière le coup politique ?
©CHARLES PLATIAU / POOL / AFP

Des paroles et des actes

Le Premier ministre Edouard Philippe a dévoilé un certain nombre de mesures dans le cadre de son plan immigration. Le choix de quotas pour l'immigration économique a provoqué de vives réactions.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico.fr : L'annonce par le gouvernement de la fixation de quotas pour l'immigration économique a déclenché une réaction médiatique et politique significative, consistant à défendre l'importance, dans la vie économique de notre pays, de l'immigration. Quel est le sens de cette réaction selon vous ?

Christophe Boutin : Signalons d’abord, puisque l’on parle de lutte contre l’immigration, le fait qu’il faille relativiser la place de l’immigration économique dans l’immigration en général. Si l’on s’en tient à la seule immigration officielle, légale, celle qui relève des titres de séjour accordés sur le territoire, les chiffres sont sans appel : en 2018 255.956 titres de séjour ont été accordés, dont 90.074 au titre de l’immigration familiale, 83.082 à des étudiants étrangers, 33.981 pour des motifs humanitaires, et 33.502 pour cette immigration économique que nous évoquons – plus 15.317, soit quand même la ville de Flers, ou celle de Morlaix, « classés », si l’on peut dire, dans la rubrique « divers ». L’immigration que l’on veut aujourd’hui réguler par quotas représente donc moins d’1/8e, un peu plus de 12% de l’immigration légale.

Certains pourraient donc s’étonner de ce qu’il ne s’agit nullement d’interdire une immigration sur les conséquences de laquelle les Français expriment dans les sondages une lassitude certaine, mais seulement de la moduler, et de plus en permettant une immigration pour cause économique dans un pays qui subit depuis des décennies un chômage de masse. C’est pourquoi, comme vous le signalez, nous avons donc depuis le début de la semaine dans nombre de médias un discours lourdement martelé pour justifier les choix gouvernementaux, avec ces reportages destinés à faire taire ceux qui s'interrogeraient encore sur l'absolue nécessité de ce recours à l'immigration pour remplir un certain nombre d'emplois.

L’argumentation de ce discours est double. Expliquer, d’une part, que la survie de certains secteurs économiques est directement liée à la possibilité d’user de ces forces vives de l’immigration. C’est ce que déclarait par exemple Emmanuel Macron lui-même dans son fameux entretien accordé la semaine passée à l’hebdomadaire Valeurs actuelles : « les secteurs de la restauration et du BTP ne fonctionnent pas sans l'immigration. Prétendre l'inverse est faux ! » D’autre part, enfoncer le clou sur la culpabilisation des Français : « il y a des emplois que vous ne ferez plus occuper à des Français, comme le métier de plongeur. Je suis lucide : c'était déjà impossible il y a 40 ans ! Je préfère avoir de la migration légale […] plutôt que du travail détaché dissimulé » déclarait ainsi notre président dans le même entretien.

Mais constatons que la solution retenue, qui consiste à éviter de se demander pourquoi le problème se pose, et à simplement mettre en œuvre pour le résoudre une réponse de substitution, induisant d’ailleurs des effets pervers à long terme, ne relève en aucune manière d’une analyse politique, qui prendrait en compte l’intérêt global de la Cité, mais, au mieux, d’une approche économique au petit pied qui ne concerne que certains de ses membres. En effet, outre cette approche - qui peut surprendre dans la bouche d’un humaniste - réservant aux Français les emplois valorisants dont eux seuls seraient dignes, et laissant aux immigrés les boulots minables, on oublie ici le coût annexe que cette immigration économique induit dès lors qu’elle conduit ultérieurement à un regroupement familial. Vu les emplois considérés, il est douteux en effet que le coût global pour la collectivité, du à l’utilisation par le travailleur et ses proches, par exemple, des infrastructures, du système éducatif ou du système de santé, soit couvert par les seuls prélèvements opérés autour de son salaire.

Pour satisfaire les besoins d’un opérateur économique, qui améliore ainsi sa marge, on fait donc porter une partie du coût induit sur l’ensemble de la collectivité. Mais appartient-il aux contribuables de financer ainsi, par exemple, les grands groupes de BTP ? Pour rendre ces derniers compétitifs, hors appel à l’immigration, ne faudrait-il pas plutôt se poser la question de la disparité des politiques sociales en Europe, et des déséquilibres induits lors de l’obligatoire mise en concurrence de ces entreprises ? Mais il ne faut sans doute pas désespérer Bruxelles et sa logique de mondialisation heureuse…

Un reportage BFM TV, titré "Immigration, l'aubaine pour la restauration", défendait hier l'importance de l'immigration pour ce secteur économique. Ce discours est-il biaisé ? D'où vient-il ?

Ce discours est totalement biaisé en ce qu’il ne traduit absolument pas les réalités françaises. Au service de qui en effet ces travailleurs étrangers, dont on nous dit qu’ils sont indispensables – et dépassent de loin les seuls travailleurs de la restauration ? Rappelons-nous les longues listes déclinées par les défenseurs de cette « immigration de confort » : si on l’arrête, plus de serveurs dans les cafés ou de cuistots – et moins encore de plongeurs – dans les restaurants, plus de boueux (on le sait depuis que Giscard les invitait à prendre un petit déjeuner), plus de « nounous », plus d’aides à domicile, plus de femmes de ménage, plus de taxis – uberisés ou non.

Mais de quelle France parle-t-on ici ? Pas de la France périphérique, celle dans laquelle vivent des millions de Français. Dans nombre de villes de province, aucune de ces professions – et pas même celle des plongeurs - n’a besoin de l’apport de l’immigration. Les artisans peinent certes à recruter des jeunes qui rencontrent pour la première fois dans leur vie, au moment d’entrer dans le monde du travail, des concepts – ponctualité, respect de l’autorité – qui n’ont pas nécessairement été prioritaires dans leurs passés familiaux ou scolaires, et dont une partie préfère donc tenter l’aventure de la marginalité – une aventure toute relative avec notre système d’aides. Mais les autres travaillent, et bien : dans la France périphérique on trouve des artisans pour ses travaux, on peut déjeuner de temps à autre dans un bistrot ou un restaurant, avoir une femme de ménage. Et bien que s’estimant tout à fait Français, ceux que l’on y côtoie au quotidien dans ces divers emplois ne sont certes pas dans cette approche de refus de la pénibilité décrite par Emmanuel Macron.

Tout autre est effectivement la situation dans Paris et dans les métropoles, où les bras manquent. Diantre. Le parisien et ses alter egos seraient-ils plus fainéants ? Sans doute pas, mais la vérité est que les bras ne sont plus là. Sous le double effet de la gentrification due à la flambée de l’immobilier dans certains quartiers et de la pression communautaire dans d’autres, le petit peuple s’en est en effet allé vers d’autres cieux. Et, « white flag » ou impossibilité de se loger, le fait est qu’il n’est plus là pour remplir des emplois mal rétribués, situés à des heures de transport de sa lointaine périphérie – quand transports en commun il y a. Mais là encore, plutôt que de traiter la cause, on ne traite que le symptôme et, dans une approche très brechtienne,  on décide de changer de peuple.  

Ce que l’on demande en fait à la France périphérique, pour simplifier, c’est de payer sur ses impôts, en favorisant une immigration dont elle n’a que faire, le droit pour le bobo parisien d’aller tous les jours dans l’un de ces « bistrots » bidons prétendument authentiques, ou de ces « foodistas » aux ardoises grotesques, pour discuter entre hipsters et premiers de cordée du monde à venir, bénéficiant en sus d’une domesticité à bas prix - quand elle est déclarée ! - pour torcher ses moutards ou ses parents. Mais on saisit mal au nom de quoi cette France aurait vocation à permettre ainsi aux gagnants de la mondialisation de ne pas payer le vrai prix pour les services dont ils bénéficient. Pour dire les choses avec une rude franchise, il est à craindre que cette France qui n’y va jamais, car elle mange à la cantine ou en panier repas, se contrefoute de ce que telle « foodista » à la mode de Montmartre doive fermer si elle ne peut employer des immigrés. Et qu’elle comprenne mal le ton horrifié voire apocalyptique de tels reportages qui,  non seulement traduisent le gouffre qui sépare la France en deux, mais encore renforcent ce clivage.

Sans analyser les mécanismes économiques à l’œuvre, le préjugé, chez certains, en faveur de l'immigration économique vient-il plutôt de motifs personnels (intérêt économique) ou d'une forme d'idéologie ? Qu'est-ce qui domine selon vous ?

Pour ceux qui en bénéficient directement, de la grosse boite de BTP au gargotier, qui améliorent notablement leurs marges et peuvent ainsi faire subsister des projets non-viables économiquement autrement, mais en passant aussi par tous ceux qui profitent ainsi de services à taux préférentiels et peuvent jouir de leur statut privilégié de commensaux de l’oligarchie, l’intérêt économique est par trop évident pour être nié. Il suffit de voir la panique dans les yeux du bobo lorsque l’on évoque la possibilité de renvoyer dans son pays d’origine l’immigrée illégale payée au black qui va chercher les enfants à l’école pour comprendre que l’on touche ici une corde sensible.

Cela n’exclut pas, ensuite, le discours idéologique. Il prend souvent l’aspect bien connu (trop connu ?) de l’humanitarisme. Il porte alors sur la nécessité d’ouvrir les portes du paradis – entendre ici les arrières cuisines ou les baraques de chantier – à une humanité souffrante. Reste que quand faire le bien est déductible de ses impôts on reste à cheval entre l’humanitaire et l’économique : Saint Martin ne s’est pas fait rembourser son demi-manteau par l’État romain.

Mais un autre discours idéologique, que l’on entend de plus en plus, peut aussi porter sur l’apport indispensable cette immigration en « battants », « winners » et autres « premiers de cordée » potentiels, fort heureusement bien éloignés sous entend-on de ces « Gaulois réfractaires au changement », de ces fainéants qui ne veulent plus être plongeurs depuis maintenant au moins quarante ans !!! Oubliant, ou feignant d’oublier, que ces « winners », quand ils existent, vont cruellement faire défaut à la construction de leurs États d’origine, et méprisant bien facilement les qualités du peuple qui a construit au fil des siècles tout ce qui nous entoure, de nos monuments à nos paysages.

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