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Ce choc pétrolier auquel nous n’aurions probablement pas échappé sans le gaz de schiste américain
©Reuters

Surprise...

Le Royaume-Uni vient d'abandonner toute extraction de gaz de schiste alors qu'il était la figure de proue de cette alternative en Europe. En France, les politiques ont refusé le gaz de schiste...pour en acheter aux américains.

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec est un spécialiste de l’énergie et en particulier du pétrole et professeur à l’Ecole du Pétrole et des Moteurs, où il a dirigé le Centre Economie et Gestion. 

Il a publié plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur des sujets touchant à l’économie et à la géopolitique de l’énergie et en particulier Exploitation et Gestion du Raffinage (français et anglais), Recherche et Production du Pétrole et du Gaz (français et anglais en 2011), l’Energie à Quel Prix ? (2006) et Géopolitique de l’Energie (français 2009, anglais 2011).

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Philippe Charlez

Philippe Charlez

Philippe Charlez est ingénieur des Mines de l'École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l'Institut de Physique du Globe de Paris.

Expert internationalement reconnu en énergie, Charlez est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique dont « Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle » paru en Octobre 2017 aux Editions De Boek supérieur et « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » paru en octobre 2021 aux Editions JM Laffont.

Philippe Charlez enseigne à Science Po, Dauphine, l’INSEAD, Mines Paris Tech, l’ISSEP et le Centre International de Formation Européenne. Il est éditorialiste régulier pour Valeurs Actuelles, Contrepoints, Atlantico, Causeur et Opinion Internationale.

Il est l’expert en Questions Energétiques de l’Institut Sapiens.

Pour plus d'informations sur l’auteur consultez www.philippecharlez.com et https://www.youtube.com/energychallenge  

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Atlantico : Le Royaume-Uni vient d'abandonner toute extraction de gaz de schiste alors qu'il en était la dernière figure de proue en Europe. La France devrait-elle s'interroger à nouveau sur cette interdiction ?

Philippe Charlez : Samedi 2 novembre, à la suite d’un rapport de l’Oil and Gas Authority, le Royaume-Uni a en effet décidé de bannir la fracturation hydraulique. Cette technique étant la seule capable d’extraire des gaz de schistes, en promulguant cette loi le Royaume a implicitement décidé de jeter l’éponge sur la production des ressources non conventionnelles. Après la France, la Pologne, la Hollande et le Danemark, le UK vient donc de fermer définitivement le « dossier gaz de schistes européen ». Bien au-delà du déficit d’acceptation sociétale, le développement des gaz de schistes en Europe représente une impasse économique. Manque de connaissance du sous-sol, peu de support politique, monopole de quelques sociétés parapétrolières de forage et de fracking et lois minières peu favorables sont autant de raisons qui laissaient peu de chance aux gaz de schistes européens face au très compétitif gaz russe. Seule une volonté européenne forte et unie de se desserrer du carcan gazier russe aurait pu provoquer un sursaut. Mais une fois de plus la désunion et l’égoïsme l’ont largement emporté. A moyen terme le dossier n’avait aucune chance d’aboutir. La France a d’autres dossiers beaucoup plus importants à traiter que de relancer un débat peu porteur et perdu d’avance.

En quoi le gaz et le pétrole de schiste, qui inondent l'Europe à l'heure actuelle, ont-ils permis d'éviter une crise pétrolière ?

Philippe Charlez : Le gaz et le pétrole de schiste n’inondent pas l’Europe. 100% du pétrole de schiste est directement consommé aux US. Quant au gaz se schiste seule une faible proportion est actuellement exportée depuis le Pays de l’Oncle Sam sous forme de Gaz Naturel Liquéfié. Et cette fraction est en grande  majorité exportée vers le sud-est asiatique et non vers l’Europe. Les gaz et les pétroles de schiste bénéficient donc surtout aux Etats Unis qui grâce à ces ressources non conventionnelles cochent les trois cases du développement durable : une énergie bon marché qui booste le pilier économique et développe l’emploi, une nouvelle indépendance énergétique qui satisfait le pilier sociétal et enfin une réduction des gaz à effet de serre de 15% (seconde performance mondiale après le Royaume-Uni) grâce à un déplacement de la génération électrique charbonnière vers le gaz. Le comble de la traitrise pour une ressource maudite par les écologistes.

Par contre le pétrole de schiste régulent aujourd’hui les prix du brut autour de 60$/bbl, ce qui est très bénéfique pour une économie européenne dont la compétitivité est intimement liée aux prix de l’or noir. Sans la révolution américaine des pétroles de schistes,  les prix du pétrole dépasseraient très probablement les 100$/bbl. Un tel cours plomberait de façon dramatique l’économie européenne. On considère en effet qu’un bbl à 100$ amputerait la croissance économique européenne déjà très atone de près de 1% et la plongerait mécaniquement dans la récession.

Jean-Pierre Favennec : Le marché pétrolier reste très bien approvisionné. Alors qu’il y a encore deux ans certains experts prédisaient une augmentation importante des prix vers 2020 du fait du manque d’investissements dans de nouvelles productions en raison de prix trop bas du baril, actuellement le prix du pétrole reste voisin de 60 dollars par baril et sans les efforts de l’OPEP (dirigée de fait par l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis) en liaison étroite avec le groupe des 10 producteurs non OPEP conduits par la Russie, ce prix serait certainement inférieur.

La production de pétrole de schistes continue à croître aux Etats Unis, l’Amérique du Nord sera probablement indépendante en pétrole d’ici peu et plusieurs pays hors Amérique du Nord ont une production croissante. En outre la demande n’augmente pas beaucoup et malgré les problèmes au Venezuzela et en Libye, nous avons largement assez de pétrole.

Qu'est-ce qui peut être attribué au fait que la production de gaz de schiste a augmenté et inonde aujourd'hui le marché européen ? 

Jean-Pierre Favennec : La production de gaz de schistes aux Etats Unis ne cesse d’augmenter. Traditionnellement l’Europe importe de plus en plus de gaz car malgré une demande qui augmente peu, la production diminue et il faut donc faire appel à l’extérieur. 40% de la consommation Européenne est couverte par les importations russes. On constate quelques importations par GNL (Gaz Naturel Liquéfié) venant des nouvelles installations américaines du Golfe du Mexique, alimentées par le gaz de schistes. Il y a une volonté réelle des producteurs américains de pénétrer le marché européen et de concurrencer le gaz russe. Mais le gaz russe bénéficie d’installations de transport entre la Sibérie (où sont les gisements russes) et l’Europe souvent largement amorties. La Russie peut donc s’adapter aux prix américains qui restent élevés pour couvrir l’ensemble des coûts.

Mardi 5 Novembre, l'OPEP va publier son rapport annuel sur les perspectives liées au pétrole. Les pays de l'OPEP peuvent-ils craindre ce grand renouvellement des consommations d'énergie dans le monde ? 

Philippe Charlez : Depuis le premier choc pétrolier de 1974, l’OPEP régulait avec difficulté les prix du pétrole (on parle de « swing pétrolier ») grâce aux quotas de production. En cas de flambée des cours l’organisation augmentait sa production pour lisser les prix du brut et dans le cas contraire la réduisait pour en limiter la chute. Mais, les objectifs politiques et économiques des différents membres manquant souvent de convergence, les négociations s’avéraient souvent longues, lourdes et pénibles. Or, grâce à la loi minière américaine qui confère le droit du sous-sol à l’individu et non à l’Etat, le marché des pétroles de schistes est purement privé, extrêmement flexible et réactif. Suivant les signaux des marchés, l’activité peut en quelques semaines s’arrêter ou reprendre. Aussi malgré des productions (7 millions de barils par jour) bien inférieures à l’OPEP (30 millions de barils par jour) ce sont les pétroles de schistes et non plus l’OPEP qui jouent aujourd’hui le rôle de swing pétrolier. Les décisions de l’OPEP sont donc largement conditionnées par l’évolution des productions non conventionnelles américaines.

Jean-Pierre Favennec : La nécessité de lutter contre le changement climatique est chaque jour plus forte. La réduction de la consommation de charbon est une priorité car le charbon est le combustible qui émet le plus de CO2, responsable du changement climatique. Mais il est difficile pour la Chine et l’Inde gros consommateurs de charbon pour leur production d’électricité de réduire leur utilisation. Le pétrole est aussi concerné. Mais les besoins pour le transport restent importants et les pays émergents ont des consommations croissantes. D’autre part la voiture électrique ou la voiture à hydrogène, qui font partie des solutions d’avenir, posent aussi quelques problèmes (disponibilité en terres rares par exemple) qui limitent pour l’instant leur développement.

On peut sans doute s’attendre à une demande de pétrole importante pendant de nombreuses années.

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