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Pourquoi ceux qui pensent que les taux négatifs représentent une euthanasie des épargnants pour renflouer les États se trompent lourdement
©Reuters

Banques centrales

Les banques centrales proposent des taux d'intérêts négatifs. Les Etats considèrent cette politique comme positive mais les épargnants la jugent pénalisante. En réalité, les épargnants ne seraient pas aussi pénalisés que l'on pourrait le croire.

Edouard Challe

Edouard Challe

Edouard Challe est professeur d'économie (CREST, Ecole Polytechnique). 

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Atlantico.fr : Depuis quelques temps, certaines banques centrales proposent des taux d'intérêts négatifs. Une politique qui a souvent été reçue comme comme positive pour les Etats mais pénalisante pour les épargnants. Pourtant, la réalité serait plus nuancée. Les épargnants ne sont-ils pas aussi pénalisés que l'on pourrait le croire ? 

Edouard Challe : Il faut bien comprendre quels taux d'intérêts affectent les épargnants, et les raisons pour lesquelles ces taux d'intérêts ont baissé. Les épargnants sont (à juste titre) soucieux de la rentabilité réelle (c'est-à-dire corrigée de l'inflation) de leurs portefeuille d'actifs à un horizon relativement long, de plusieurs années voire plusieurs décennies. Or le taux d'intérêt réel sans risque s'est effondré dans le monde entier depuis une trentaine d'années, donc bien avant la "Grande Récession" de la fin des années 2000, et bien avant les taux négatifs des banques centrales, les politiques non conventionnelles etc. Cet effondrement du taux d'intérêt sans risque est la manifestation d'un déséquilibre sur le marché des actifs sans risque : leur demande s'est accrue, pas leur offre, qui s'est plutôt réduite. Les grandes banques centrales n'ont fait que suivre cette tendance structurelle et mondiale des taux d'intérêt, et elles ont eu raison de le faire. Compte tenu de cette tendance structurelle, se plaindre des taux négatifs de la BCE revient à lui demander de pratiquer des taux d'intérêt artificiellement élevés, qui provoqueraient une contraction de l'activité économique et des pressions déflationnistes.

Si les placements financiers de ces épargnants leur rapportent moins depuis l'instauration de ces taux négatifs, quelles sont- à leur niveau- les retombées positives de cette politique ? 

Encore une fois, ce ne sont pas les taux négatifs des banques centrales qui pénalisent les épargnants, mais les tendances lourdes qui affectent l'équilibre épargne-investissement. En zone euro certains épargnants semblent vouloir le beurre (l'épargne sans risque) et l'argent du beurre (les rendements élevés)... ce qui est contraire à la logique de l'offre et de la demande. En choisissant une politique monétaire cohérente avec cette évolution macroéconomique séculaire, la BCE (et les autres banques centrales dans la même situation) s'assure que l'activité et l'emploi restent à un niveau satisfaisant. Les retraités européens ne devraient pas se plaindre de la politique monétaire de la BCE, mais au contraire la remercier que leur enfants et petits-enfants ne soient pas massivement au chômage.

A contrario, cette politique telle qu'elle est appliquée par les banques centrales est-elle aussi bénéfique, qu'on pourrait le penser, pour les Etats ? 

La faiblesse des taux souverains, notamment en zone euro, détend incontestablement les finances publiques des états concernés. Mais là encore, c'est un contresens de penser que c'est la conséquence des taux faibles pratiqués par les banques centrales. La réalité c'est que les épargnants sont devenus très averses au risque et souhaitent désespérément détenir les titres de la dette publique des états perçus comme sûrs ; ils sont même prêts à "payer" cette sécurité, via une rentabilité négative. Voilà pourquoi les états s'endettent à peu de frais.

Cette politique se veut temporaire. Ainsi, quelles pourraient être les conséquences du retour des taux d'emprunts positifs à la fois pour les Etats et les épargnants ? 

Les banques centrales doivent pratiquer une politique monétaire cohérente avec les évolutions tendancielles de l'épargne, de la consommation et de l'investissement. Tant que le déséquilibre sur le marché des actifs sans risques (c'est-à-dire le marché des dettes publiques des états sûrs) persiste, avec une forte demande de sécurité côté épargnant et une relative rareté des actifs côté émetteurs, les banques centrales devront "suivre", avec des taux faibles voire négatifs, pour ne pas provoquer une récession et de la déflation. Il n'est pas sûr que cette situation soit temporaire au sens où on l'entend habituellement. Pour que les taux d'intérêt remontent, il faudrait que la demande d'actif sans risque baisse ou que son offre augmente. Pour que la demande d'actifs sans risque baisse, il faudrait que la croissance à long terme s'accélère, via un rythme de progrès technique plus soutenu, ou que les ménages reprennent le goût du risque. Tout cela ne se décrète pas, et rien dans l'immédiat n'indique un renversement de tendance. Côté offre d'actifs sans risques, il faudrait que les états sûr émettent plus de dette. En zone euro on pense bien sûr à l'Allemagne et aux Pays-Bas, comme l'a d'ailleurs souligné récemment Christine Lagarde. Dans tous les cas, la hausse des taux n'interviendra probablement pas avant plusieurs années.

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