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Le Chili, champion déchu du néo-libéralisme des Chicago Boys
©Pedro Ugarte / AFP

Vitrine brisée

Alors que le Chili était souvent montré en exemple d'un néolibéralisme réussi, le pays, l'un des plus inégalitaires au monde, est actuellement en proie à de violents mouvements de protestations.

Branko Milanovic

Branko Milanovic

Branko Milanovic est chercheur de premier plan sur les questions relatives aux inégalités, notamment de revenus. Ancien économiste en chef du département de recherches économiques de la Banque mondiale, il a rejoint en juin 2014 le Graduate Center en tant que professeur présidentiel invité.

Il est également professeur au LIS Center, et l'auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels Global Inequality - A New Approach for the Age of Globalization et The Haves and the Have-Nots : A Brief and Idiosyncratic History of Global Inequality.

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Il n'est pas courant qu'un pays de l'OCDE fasse tirer et tue 16 personnes en deux jours d'émeutes à caractère social. (Peut-être que seule la Turquie, dans ses guerres incessantes contre la guérilla kurde, se rapproche-t-elle de ce niveau de violence.) C'est pourtant ce que le gouvernement chilien, l'exemple même du néolibéralisme et de la transition vers la démocratie, a fait la semaine dernière au début des manifestations qui ne montrent pas de signes de relâchement, malgré de légères réformes proposées par le président Sebastian Piñera.

La descente aux enfers du Chili est symptomatique des tendances mondiales qui révèlent les dommages causés par les politiques néolibérales au cours des trente dernières années, des privatisations en Europe de l'Est et en Russie à la crise financière mondiale, en passant par l'austérité en zone euro. Le Chili s'est tenu, notamment grâce à la presse favorable dont il a bénéficié, comme un exemple de réussite. Les politiques dures mises en place après le renversement de Salvador Allende en 1973, et la frénésie meurtrière qui a suivi, ont été adoucies par la transition vers la démocratie, mais leurs caractéristiques essentielles ont été préservées. En effet, le Chili a connu une croissance remarquable et, si dans les années 1960-70, il se situait au milieu de la ligue latino-américaine en termes de PIB par habitant, il est aujourd'hui le pays d'Amérique latine le plus riche. Il a bien-sûr été aidé aussi par les prix élevés de son principal produit d'exportation, le cuivre, mais le succès de la croissance est incontestable. Le Chili a été "récompensé" par l'adhésion à l'OCDE, un club des pays riches, premier pays d'Amérique du Sud à y adhérer.

Là où le pays a échoué, c'est dans ses politiques sociales qui, bizarrement, ont été considérées par beaucoup comme ayant également réussi. Dans les années 1980-1990, la Banque mondiale a salué les politiques chiliennes dans la " flexibilité " du marché du travail, qui consistaient à démanteler les syndicats et à imposer un modèle de négociations entre employeurs et travailleurs au niveau des branches plutôt que de permettre à une organisation syndicale parapluie de négocier pour tous les travailleurs. La Banque mondiale l'a encore plus bizarrement utilisé comme modèle de transparence et de bonne gouvernance, ce que les pays en transition d'Europe de l'Est auraient sans doute dû copier du Chili. Le frère de l'actuel président chilien, fils de l'une des familles les plus riches du Chili, est devenu célèbre pour avoir introduit, en tant que ministre du Travail et de la Sécurité sociale sous Pinochet, un système de retraite par capitalisation dans lequel les employés versent des cotisations obligatoires de leur salaire dans un des nombreux fonds de pension, et reçoivent après leur retraite des pensions basées sur les performances de placement de ces fonds. Les pensions de vieillesse sont ainsi devenues une partie du capitalisme de la roulette. Mais dans le processus, les fonds de pension, en facturant souvent des frais exorbitants, et leurs gestionnaires sont devenus riches. José Piñera avait essayé de "vendre" ce modèle à la Russie d'Eltsine et aux Etats-Unis de George Bush, mais, malgré le soutien fort (et tout à fait compréhensible) des communautés financières des deux pays, il a échoué. Aujourd'hui, la plupart des retraités chiliens reçoivent 200 à 300 dollars par mois dans un pays dont le niveau de prix (selon l'International Comparison Project, un projet mondial dirigé par l'ONU et la Banque mondiale pour comparer les niveaux de prix dans le monde) représente environ 80% de celui des États-Unis.

Si le Chili est en tête de l'Amérique latine en termes de PIB par habitant, il est aussi en tête en termes d'inégalité. En 2015, son niveau d'inégalité des revenus était plus élevé que dans tout autre pays d'Amérique latine, à l'exception de la Colombie et du Honduras. Il a même dépassé les inégalités proverbialement élevées du Brésil. Les 5 % les plus pauvres de la population chilienne ont un niveau de revenu à peu près égal à celui des 5 % les plus pauvres en Mongolie. Les 2 % du haut de l'échelle bénéficient d'un niveau de revenu équivalent à celui des 2 % du haut de l'échelle en Allemagne. Dortmund et les banlieues pauvres d'Oulan Bataar ont ainsi été réunies.

La répartition des revenus au Chili est extrêmement inégale. Mais la répartition de la richesse l'est encore plus. Là-bas, le Chili est même un cas particulier par rapport au reste de l'Amérique latine. Selon les données de Forbes de 2014 sur les milliardaires mondiaux, la richesse combinée des milliardaires chiliens (ils étaient douze) était égale à 25% du PIB chilien. Les prochains pays d'Amérique latine ayant les plus fortes concentrations de richesse sont le Mexique et le Pérou, où la part de la richesse des milliardaires représente environ la moitié (13 % du PIB) de celle du Chili. Mais encore mieux : Le Chili est le pays où la part des milliardaires, en termes de PIB, est la plus élevée du monde (si l'on exclut des pays comme le Liban et Chypre où de nombreux milliardaires étrangers se contentent de "parquer" leur richesse pour des raisons fiscales). La richesse des milliardaires chiliens, comparée au PIB de leur pays, dépasse même celle des Russes.

Cette extraordinaire inégalité des richesses et des revenus, combinée à la pleine marchandisation de nombreux services sociaux (eau, électricité, etc.) et des pensions qui dépendent des aléas du marché boursier, a longtemps été "cachée" aux observateurs étrangers par le succès du Chili à augmenter son PIB par habitant.  Mais les récentes protestations montrent que cette dernière n'est pas suffisante. La croissance est indispensable au développement économique.

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