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"Davos" du désert : l’Arabie Saoudite convoque le gratin des affaires pour faire oublier Khashoggi et son ADN salafiste
©FAYEZ NURELDINE / AFP

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Le forum de Riyad en Arabie Saoudite a ouvert ses portes hier et va recevoir pendant 3 jours le ban et l’arrière ban du capitalisme mondial pour préparer l'après pétrole, mais surtout essayer de redorer son image entachée par la proximité de l’Islam radical.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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L’objectif : préparer l’économie de l'après pétrole. « Le Davos du désert » rassemble cette année les plus hauts responsables américains de la finance et de l'industrie, les présidents étrangers et les dirigeants des plus grandes firmes internationales. Au total, plus de 300 participants venus de 30 pays vont prendre la parole devant 6000 visiteurs attendus lors de cet évènement annuel consacré « au dynamisme possible d’une Arabie saoudite des temps modernes ».  

L’inventeur de ces grands raouts internationaux sait organiser les choses en grand.  Il s’agit de Richard Attias. C’est lui qui a géré Davos, (le vrai en Suisse) pendant des années pour le compte de Publicis, c’est lui qui a lancé des forums du même type en Afrique et dans beaucoup de capitales du Golfe. La recette est bonne. Il applique à merveille la règle des trois unités chères au théâtre classique. Unité de lieu, de temps et d’action. 

Un lieu si possible clos, en l’occurrence, une capitale d’un pays émergent, un temps très défini ( 3 jours ) et une seule ambition qui consiste à rassembler des investisseurs, des financiers, des chefs d’entreprise, des responsables politiques et parfois même des people du show biz ( Bono des U2 est très friand de ces cérémonies). Et tout ça pour qu’ils causent et comptent, parce que chez ces gens-là comme disait Brel, on compte et on cause. Richard Attias est un formidable metteur en scène de ce type d’évènement mondain et international. 

Le problème, c’est qu’en Arabie saoudite, on n’est jamais à l’abri de l’incident. L'année dernière, le forum a tourné au fiasco. Plus de la moitié des invités ont annulé leur voyage à la suite du meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi par un commando venu de Riyad au consulat de son propre pays à Istanbul. Peu de gens dans le monde doutent de l’implication des dirigeants saoudiens dans cet assassinat de Khashoggi qui était par ailleurs chroniqueur au Washington Post. La CIA a même imputé la responsabilité de ce meurtre au fils du roi Salmane. Pas question donc de se compromettre l’année dernière avec le fils héritier, MBS, alias Mohammed Ben Salman qui avait pourtant été désigné par le roi pour mener à bien la modernisation de l’Arabie saoudite. 

Cette année, MBS espère que cette élimination un peu brutale aura été oubliée et qu’il pourra reprendre en main les affaires économiques de son pays. D’autant que la Banque mondiale vient de lui délivrer un satisfecit en actant dans son rapport 2019, les progrès réalisés pour faciliter l’attractivité de son pays aux affaires occidentales. 

Pour l’Arabie Saoudite, ce forum est essentiel. L’objectif du royaume n’a pas changé depuis que MBS avait présenté en arrivant au pouvoir en 2016 son plan stratégique pour 2030 : il s’agit d’en finir avec la dépendance de la société saoudienne à la rente pétrolière. Il lui faut donc des investisseurs américains, arabes, européens, des industriels de la haute technologie et du tourisme afin d’accélérer la diversification. 

Ils sont donc venus cette année en grand nombre, le président de Blackrock, le plus grand fonds d’investissement américain Larry Fink accompagné des poids lourds de Wall Street, du PDG de Soft Bank Group, du Secrétaire au Trésor et du gendre du président américain qui est aussi son conseiller aux affaires économiques sensibles, Jared Kushner. Sont également présents pendant ces trois jours les présidents des fonds souverains du Koweït, des Emirats,  de Singapour et de la Russie. Côté dirigeants politiques, sont arrivés le roi de Jordanie Abdallah II, des dirigeants africains et le nouveau président du Brésil, le sulfureux Jair Borsolano.

Au menu, les investissements possibles en Arabie saoudite, l’ouverture du capital de l’Aramco, la première société pétrolière du monde et bien sur le recyclage des capitaux pétroliers dont l’Occident a besoin pour financer son endettement budgétaire. Les Américains par exemple sont plus demandeurs de capitaux qu’ils viennent en offrir pour l’investissement local.  

C’est d‘ailleurs toute l’ambiguïté de la politique saoudienne aujourd’hui, et la difficulté qu’ont les Occidentaux à se décider à venir en Arabie saoudite. 

1er point : les dirigeants saoudiens sont parfaitement conscients que le pétrole ne leur apportera pas une rente perpétuelle, mais pour l’instant ça marche et ça peut encore marcher un demi siècle. Ils parlent de la transition écologique mais ils souhaitent qu’elle ne s’opère pas trop vite; 

2e point : ils cherchent des investissements relais pour générer un autre modèle économique, mais comment attirer des investisseurs dans un pays aussi opaque sur le plan politique, sociétal et aussi religieux avec tout ce que ça représente sur l’organisation de la vie sociale.

Les Occidentaux ont répondu en masse à l’invitation des dirigeants saoudiens et de Richard Attias qu’ils connaissent bien, en disant « la nécessité de dialoguer publiquement de tous les sujets y compris ceux qui fâchent ».  Et beaucoup de financiers ajoutent « tout n’est pas parfait en Arabie saoudite, mais il faut y venir justement parce que tout n’est pas parfait, pour les faire changer ».  

3e point : la position des Occidentaux n’est pas très confortable. Les financiers américains, les investisseurs sud-américains, les banquiers d’Europe et les industriels sont tous extrêmement pragmatiques. Ils savent en outre que le développement économique est facteur de progrès et de paix. Mais ils savent aussi les limites de la sphère économique pour aplanir les idéologies. Le développement économique a tué l’empire soviétique, mais l’économie de marché n’a pas fait évoluer la gouvernance chinoise vers plus de transparence et de respect des droits individuels, contrairement à ce que beaucoup pensaient en accueillant la Chine à l’époque OMC au début des années 2000. 

Alors avec l’Arabie Saoudite, on est confronté à la même difficulté. Les hommes d’affaires ne vont pas bloquer éternellement leurs marchés pour cause de l’assassinat politique de Khashoggi ... cela dit, plus grave, en venant à Riyad, tout le monde sait qu‘on arrive dans le pays qui a servi de géniteur à l’Islam radical et au salafisme. L’Arabie saoudite a fait pendant des années de la promotion de l’orthodoxie salafiste un axe majeur de sa politique étrangère. Depuis sa création en 1932, l’Arabie Saoudite a quand même beaucoup défendu une version intransigeante de l’Islam. Les discours officiels aujourd’hui parlent d’un Islam authentique (et non radical) mais épargnent beaucoup les courants salafistes dont ils ont besoin pour asseoir leur pouvoir à l’extérieur du royaume. 

Il y a évidemment un problème dans l’attitude des Occidentaux et particulièrement américains qui savent que Ben Laden était saoudien. Donald Trump se garde bien d’ailleurs d’émettre la moindre critique à l’encontre du régime. Au lendemain de l’affaire Khashoggi, il n’a fait aucun commentaire à propos de la CIA qui accusait le prince héritier d’être à l’origine du meurtre. Aujourd’hui, dans ce Davos du désert, l‘américain le plus courtisé est son gendre. Et pour cause, depuis que Trump est président, les Saoudiens ont investi 400 milliards de dollars aux Etats-Unis. 

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