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Quand le Financial Times cède aux illusions des réformes structurelles françaises
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Poudre de perlimpinpin

Le Financial Times a publié le 29 octobre un article vantant les bienfaits des réformes structurelles du marché de l'emploi mises en place par Emmanuel Macron, qui expliqueraient la résistance de l’économie française au ralentissement mondial en termes de croissance.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : Les « réformes structurelles » qui consistent, pour la plupart, en politiques de l’offre d’inspiration libérale, sur le marché de l’emploi par exemple, sont-elles suffisantes pour relancer la croissance ? En quoi est-ce ignorer que la demande doit être aussi au rendez-vous ? 

Michel Ruimy : Un constat tout d’abord : la baisse du chômage est réelle mais les Français ne la ressentent pas encore dans leur entourage malgré la publication de bons chiffres concernant le chômage et l’emploi. Jamais, depuis dix ans, le chômage n’est descendu aussi bas : un taux en deçà de 8,5%, soit 1 point de moins qu’à l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée. A fin 2019, environ 250 000 emplois auront été créés sur l’année et près de 500 000 postes dans le privé depuis mai 2017. Il y a donc une nette amélioration de tous les indicateurs, notamment de la qualité de l’emploi avec une hausse de la part des contrats à durée indéterminée. Pour autant, le président de la République peut-il s’attribuer les lauriers de cette embellie comme l’affirme le Financial Times ? Je ne le pense pas.

En fait, notre marché du travail a été plus dynamique grâce au retour de la croissance. Mais surtout, celle-ci est devenue plus riche en emplois, en créant bien plus de postes qu’auparavant, pour le même niveau de croissance : le seuil qui permettait d’accroître les effectifs de salariés se situait à 2% dans les années 1980, 1,5% avant la crise de 2008, et s’élève à seulement 0,8% aujourd’hui. Un phénomène lié à la baisse tendancielle de la productivité, qui touche tous les grands pays de l’OCDE. Il n’y a donc aucun « effet Macron » d’autant que sur l’emploi, la France a fait moins bien que ses voisins au cours des deux dernières années.

Si l’« effet Macron » est difficile à percevoir, la raison en est que les réformes du marché du travail, comme celles de la formation et de l’apprentissage, votées en début de mandat, ne sont pas encore appliquées ! Elles sont très longues à mettre en œuvre puisqu’elles s’attaquent à l’architecture du système, notamment son financement. Elles ne seront effectives que début 2020, tout comme celle de l’assurance-chômage. 

Il n’en demeure pas moins que ces réformes engagées marqueront le quinquennat car il y a eu, en peu de temps, un ensemble cohérent de réformes structurelles pour dynamiser le marché du travail français. Celles-ci s’attaquent à de graves dysfonctionnements, notamment la persistance d’un chômage de masse, surtout chez les jeunes et les seniors, avec d’énormes pénuries de main d’œuvre (50% des recrutements sont jugés difficiles par les entreprises). 

Le président de la République devrait engranger, petit à petit, les fruits de ses réformes. Il est en bonne voie pour atteindre son objectif, fixé pendant la campagne présidentielle, d’un taux de chômage de 7% à la fin du quinquennat. Un bémol toutefois : il faut que la croissance se maintienne. En effet, celle-ci reposant, avant tout, sur le degré de confiance entre les acteurs économiques, la relance du pouvoir d’achat consécutive aux « mesures Gilets jaunes » pourrait contribuer à la croissance du Produit intérieur brut à hauteur de 0,3 point en 2019 à la condition que la consommation des ménages et l’investissement des entreprises restent dynamiques. Ceci est possible car la France est moins sensible que d’autres pays (Allemagne, Italie) aux évolutions du commerce international. 

Pourtant, l’heure est à l’incertitude et le besoin d’une épargne de précaution continue à éroder la progression de la demande tant espérée. 

Mathieu Mucherie : Le ralentissement de l’économie française est quand même très net. Effectivement, on n’a pas le niveau de ralentissement de l’Allemagne ou de l’Italie. Il y a de fait une légère surperformance française : appelons cela une forme de résilience. La quasi-totalité de cette résilience peut être expliquée par des facteurs structurels, notamment le fait qu’on ait un peu moins d’industrie que les Allemands et que par conséquent on est un petit peu moins soumis au commerce international, notamment à la demande chinoise et à ses variations. Une très large partie du différentiel dans le ralentissement s’explique pour des raisons de périmètre de l’économie, d’insertion dans les échanges globaux. Ce sont des choses sur lesquelles ni Sarkozy, ni Hollande, ni Macron n’ont ne serait-ce qu’un début de prise.

Ensuite il y a un débat sur les causes à la marge d’une relative résilience de l’économie française. Il y a un débat pour déterminer si les mesures qui ont été prises suite à la panique macronienne des gilets jaunes, elle-même provoquée par des pressions faites sur le Président par des gens qui craignaient une véritable révolution. Le Président a donc cédé en catastrophe une vingtaine de milliards d'euros, ce qui a évidemment stimulé la demande, au même moment où il reprochait de faire la même chose aux Italiens. Il faut se demander quelle est la part de ce relâchement budgétaire? Les gilets jaunes ont été un appui des politiques contracycliques. Mais aussi, il faut se demander quelle est la part du revirement progressif de la BCE: au début de 2019 ils étaient sur une position dure et ils ont fini l'année sur une position assez accommodante, lâchant du lest dès juin. Ce revirement de la BCE a en effet joué un rôle sur l'euro, sur les taux d'intérêts et d'autres paramètres. Enfin, il faut s'interroger à la causalité du relâchement de la réglementation française du marché du travail. Dans mon analyse, ce dernier facteur n'a pas joué un grand rôle. D'abord, car il n'y a pas eu tant de libéralisation que ça du marché du travail en France. Ensuite, cette libéralisation, le relâchement minime des contraintes d'offre, ne peut pas libérer la courbe de croissance de la croissance conjoncturelle différentielle par rapport à d'autres pays (qui se résorbe). Même si la demande agrégée en France résiste bien par rapport à d'autres en zone euro, on ne peut pas attribuer ceci à l'action limitée prise en termes de politiques de l'offre. 

Dans quelle mesure est-ce aussi passer sous silence ce qui est encore plus « structurel » dans la croissance économique c’est à dire des éléments comme la démographie, la capacité d’innovation, la culture, etc. ? N’est-ce pas cela qui aujourd’hui protège l’économie française et qui demain pourrait l’empêcher d’avancer ? 

Michel Ruimy : L’économie française doit faire face, depuis quelques temps, à un ralentissement marqué de l’activité sur ses marchés d’exportation, lié aux effets directs et indirects de la conjoncture internationale. Cet amoindrissement des marchés d’exportation n’est naturellement pas propre à la France. Au sein de la zone euro, des pays comme l’Allemagne et l’Italie sont confrontés à des abaissements de leur demande externe d’une ampleur comparable. Pourtant, leurs performances en termes de croissance totale sont assez différentes : en 2019, la croissance de la France sera de +1,3% tandis que celle de l’Allemagne sera de +0,5% et celle de l’Italie quasi nulle.

Parmi les explications couramment avancées figure, notamment, une moindre exposition de l’économie française aux fluctuations de l’activité internationale. Si cette analyse repose sur un diagnostic exact - la part de marché des exportateurs français est moindre que celle des exportateurs allemands ou italiens -, elle ne paraît pas à même d’expliquer la résistance spécifique de l’économie française. 

En fait, loin de constituer l’indice d’une hétérogénéité de la zone euro, la réaction des exportations, dans l’ensemble des pays qui la constituent, a démontré l’étroitesse de leurs liens d’interdépendance. En effet, les pays les plus fortement exposés ont connu un ralentissement de leurs exportations qui a entraîné un ralentissement de leur activité, lequel s’est, à son tour, traduit par un moindre besoin d’importations qui a touché leurs principaux partenaires, à savoir les autres pays membres de la zone euro.

En revanche, la source de la résistance de l’économie française réside principalement dans des caractéristiques structurelles qui lui sont propres. L’importance relative et le dynamisme, en France, du secteur des services, en partie abrité des influences externes, ont permis, notamment, de compenser le ralentissement de l’activité manufacturière, directement touchée par la dégradation de l’environnement international. Rappelons que la France figure parmi les pays de l’Union européenne où le poids du secteur tertiaire est le plus élevé alors que celui de l’agriculture et de l’industrie-construction y sont, en revanche, plus faibles. La vigueur des créations d’emplois dans le secteur tertiaire a pu ainsi soutenir de manière déterminante la demande des ménages. De plus, l’écart de conjoncture apparu entre ces trois pays est limité à ces secteurs relativement autonomes par rapport à la demande mondiale.

Outre ces facteurs autonomes, les déterminants traditionnels de la croissance française sont, en particulier, la démographie, les gains de productivité du capital des travailleurs et des machines… mais aussi, sur le long terme, les institutions c’est-à-dire l’ensemble des institutions politiques, juridiques et sociales. En effet, sans institutions stables et sans le respect du droit à la propriété, les incitations à investir et innover sont faibles et les gains de productivité s’en trouvent bridés.

Or, l’incertitude juridique, politique et institutionnelle, initiée en particulier par des réformes structurelles, est de nature à freiner l’investissement et les efforts d’innovation car, en rendant le long terme imprévisible, l’incertitude favorise les stratégies de court terme plutôt que de long terme. Toute la difficulté pour les gouvernements réside alors dans l’établissement de politiques basées sur des règles de manière à assurer la stabilité de l’environnement politique et institutionnel… dans un environnement mondialisé afin de faire avancer notre pays. 

Dans un pays développé tel que la France, l’impact des réformes structurelles n’est-il pas forcément marginal c’est à dire de l’ordre du rattrapage de quelques points par rapport au potentiel de croissance ?

Michel Ruimy : La question de l’impact des réformes structurelles fait apparaître un écart de perception important entre économistes et décideurs politiques d’un côté, et citoyens de l’autre : alors que les premiers semblent s’accorder sur le caractère souhaitable des réformes, celles-ci sont très impopulaires dans l’opinion publique. Cette résistance s’explique notamment par le fait que les réformes détruisent des rentes de situation, par une matérialisation très progressive des bénéfices attendus, par l’influence de certains groupes d’intérêt, par la forte capacité de nuisance de certaines professions et enfin, par une culture de « lutte des classes », qui tend à considérer que toute réforme bénéficiant à certaines catégories d’agents, se fait nécessairement au détriment des salariés et des autres.

Si ces facteurs peuvent expliquer l’effet apparemment modeste de certaines réformes, il faut cependant souligner qu’il est très difficile en pratique de démontrer et quantifier leurs effets. La littérature empirique et théorique a certes progressé ces dernières années mais les outils de mesure restent grossiers et les canaux de transmission théoriques peu explicités, si bien que nous avons, en réalité, une compréhension encore assez schématique des facteurs qui déterminent le succès et l’ampleur des effets des réformes structurelles.

Pour autant, tandis que les précédentes décennies ont vu l’attention se focaliser grandement sur les réformes de flexibilisation du marché du travail et d’amélioration des conditions de concurrence sur les marchés de biens et de service, les années à venir appelleront vraisemblablement des réformes d’un nouveau type afin de trouver de nouveaux gisements de productivité et préparer les populations à un marché du travail en pleine mutation. 

Il conviendra alors de développer certains axes prioritaires de réforme comme notamment l’éducation et le capital humain, domaines d’autant plus essentiels qu’à l’avenir, la capacité de se former tout au long de la vie active sera plus importante que la formation initiale. Ensuite, la mobilité sociale sur laquelle repose le contrat social et dont dépend la soutenabilité de nos modèles sociaux. Autre point, la concurrence relative aux investissements étrangers qui introduit des distorsions quant à la productivité et qui incite à l’émigration des travailleurs les plus qualifiés. Enfin, l’adaptation de la réglementation au numérique et la création d’un cadre pour les données générées par les utilisateurs (droits de propriété, etc.).

Mathieu Mucherie : Ce qui est structurel, par définition, c'est ce qui ne dépend pas de nous. Les facteurs structurels sont par exemple la productivité, ou le nombre d'enfants par femme. Ce sont des choses sur lesquelles on a peu de prise. Proposer de les réformer est donc surprenant, c'est un type de constructivisme, d'orgueil scientiste. C'est nier le réel macroéconomique, qui ne peut changer ni facilement ni rapidement. Ces réformes ont des coûts, des aspects négatifs. En étant libéral, je pense en effet qu'il faut faire des réformes structurelles, des réformes d'offres. Mais le contexte déflationniste dans lequel on se trouve depuis dix ans ne fait que renforcer le décalage entre l'offre et la demande. La demande est alignée. Si on accroît l'offre, on produit un décalage entre l'offre et la demande qui se reflète dans le taux de chômage. Alors qu'on a encore un chômage massif, il n'est pas urgent de faire des réformes comptables sur l'offre.

Il y a d'autres réformes à faire, peut-être des réformes structurelles. Mais il n'en est jamais question. On a en tête la réforme foncière, la libéralisation du foncier pour éviter que certains, toujours les mêmes, s'enrichissent par l'immobilier, car on ne peut pas construire dans Paris et d'autres agglomérations, ce qui provoque une concentration des richesses. La réforme d'offre foncière serait une vraie réforme structurelle, mais il n'en est pas question. On s'adresse en réalité à certaines composantes du marché du travail, toujours les mêmes, c'est à dire les intérimaires, les personnes en CDD, qui n'ont pas beaucoup de protections. On va par ces réformes soit accroître leur nombre, soit leur retirer les dernières protections dont ils disposent. Les personnes en CDI trouvent qu'il n'y a pas assez de réformes structurelles - parce qu'ils savent très bien qu'ils ne paieront pas ces réformes structurelles. C'est comme un nom de code, dont ils connaissent la signification. La plupart des gens qui parlent de CDD n'ont jamais vu un CDD, c'est assez hypocrite.

On prête par ailleurs une puissance aux réformes technocratiques totalement déraisonnables. Si on additionnait les trois ou quatre réformes structurelles qui ont été entreprises par les gouvernements précédents, on devrait avoir la croissance potentielle de la Chine puisqu'on nous avait promis une stimulation de 0.3 à 0.5 points à chaque fois, que ce soit à la réforme Borloo, le CICE, les dispositifs Macron ... Alors qu'une augmentation de croissance potentielle de 0.1 % dans le meilleur des cas, ça prend cinq ou dix ans. Il y a de plus un effet de courbe en J: dans un premier temps, la réforme structurelle peut coûter sur le plan conjoncturel. Les responsables et technocrates le savent mais ne veulent pas communiquer sur ces aspects. Dire que la France aujourd'hui résiste mieux conjoncturellement que certains de nos voisins du fait de réformes entreprises entre l'hiver 2017 et le courant de l'année 2018, c'est affirmer quelque chose d'impossible. Cela signifierait que ces réformes ont pris effet immédiatement et qu'au bout de trois ou six mois, elles auraient eu des effets macroéconomiques: ce n'est pas possible. Nous n'avons pas eu la thérapie de choc libérale nécessaire - quand bien même on l'aurait eu, elle aurait été accompagnée d'un certain nombre de rejets, de douleurs - c'est l'idée de Friedman, il n'y a pas de "free lunch", de déjeuner gratuit.

Aujourd'hui, la croissance ralentit quand même, il faudra en juger sur l'ensemble de la séquence. On ne peut pas dire que la croissance française ait été meilleure que les autres depuis dix ans. Si on s'en est sortis relativement bien c'est surtout parce que les Grecs ont perdu 25 points de PIB, plus que les Américains dans les années 1930, et que les Italiens et les Espagnols ont aussi été à la peine, avec 23% de chômeurs en Espagne. On s'en est sortis parce qu'on est un pays peu industriel, moins ouvert que les autres, avec des protections très fortes pour une partie de la population. On s'en est également sortis car la BCE a fait une intervention minimum qui nous a protégés, parce que nos structures sont très servicielles, et parce que notre fonction publique a soviétisé la moitié de l'économie. C'est un peu comme dans les années 1930: on se félicitait que la France n'ait pas été atteinte encore par la crise 1929 - en effet, il avait fallu attendre 1933-1934 pour voir la crise arriver en France, alors qu'elle était arrivée en Allemagne en 1930. Le problème, c'est que quand la crise arrive en France, on a beaucoup plus de mal à en sortir. De facto, la France ne s'est pas vraiment sortie de la crise ni en 1937, ni en 1938 - il a fallu attendre la dévaluation. L'entrée en crise est lente, la France prend structurellement moins les chocs, en grande partie parce que c'est une économie de fonction publique, un peu rentière, avec un volet d'épargne important. Aussi, les entreprises françaises continuent à s'endetter, même en situation de ralentissement très fort. Les Français s'endettent pour de l'immobilier surcoté, l'Etat s'endette mais les entreprises aussi, c'est une particularité française. Donc il faudra juger du succès de la France à la fin de la séquence, quand il faudra payer - et on sera alors, dans cinq ou dix ans, un pays assez endetté, que ce soit l'Etat, les entreprises ou les ménages. Cela peut ne pas être tellement problématique si on garde les taux d'intérêts qu'on a; mais si la BCE décide de mettre des taux pénalisants, la France aura le couteau sous la gorge. L'entièreté de la croissance potentielle française sera préemptée pour rembourser les frais d'intérêt

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