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Le cycle de croissance actuel de la zone euro est-il menacé de mourir de vieillesse ? La réponse pourrait vous surprendre
©Reuters

UE

Dans une étude parue sur le site de la Banque de France, Stéphane Lhuissier explique que les cycles d'expansions économiques de la zone euro ne meurent pas de vieillesse, mais peuvent succomber suite à des chocs exogènes.

Philippe Waechter

Philippe Waechter

Philippe Waechter est directeur des études économiques chez Natixis Asset Management.

Ses thèmes de prédilection sont l'analyse du cycle économique, le comportement des banques centrales, l'emploi, et le marché des changes et des flux internationaux de capitaux.

Il est l'auteur de "Subprime, la faillite mondiale ? Cette crise financière qui va changer votre vie(Editions Alphée, 2008).

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Atlantico.fr : Après avoir été de 1.2% en 2019, la croissance de la zone euro devrait arriver péniblement à 1.4% en 2020. Certains y voient un effondrement "naturel" de la croissance. Comment l'étude remet en question l'existence de cycles de croissance naturel réguliers ? 

Philippe Waechter : Le résultat majeur de l'article mentionné est que le cycle économique ne s'effondre pas tout seul. Il faut des éléments exogènes pour créer les conditions d'une rupture dans la dynamique du cycle. 

Pour répondre à votre question, ce résultat n'est pas remis en cause par le ralentissement de l'activité attendu en 2019 et 2020 par rapport à l'allure antérieure de la croissance. La note de la Banque de France indique que ce n'est pas parce qu'un cycle est long que la probabilité d'entrer en récession s'accroit. Il peut donc se prolonger très longtemps. De ce point de vue, l'exemple américain est fascinant. Le cycle actuel est le plus long jamais enregistré par le NBER même s'il n'a pas été le plus dynamique en termes de croissance et d'emploi. Il n'a pas bénéficié d'une robustesse similaire à des cycles antérieurs mais c'est peut-être cela qui a favorisé sa longueur.

Un tel constat peut traduire la bonne adéquation entre les institutions qui bornent l'activité économique et le mécanisme même de la croissance. On pourrait conclure à partir de l'étude et sur la zone Euro que les institutions sont suffisamment développées et efficaces pour limiter le risque d'un déséquilibre endogène capable de provoquer des ajustements rapides et récessionnistes de l'économie. 

Sur ce point, on peut s'interroger au regard du cycle actuel. Le cycle se prolonge sans jamais créer de tensions nominales tant sur les salaires que sur les prix à la consommation. Cela engendre de nombreuses discussions sur le maintien ou pas de la fameuse courbe de Phillips qui lie l'activité et l'inflation. Par le passé, les tensions sur le marché du travail se traduisaient par des pressions salariales et un impact fort sur les anticipations d'inflation. C'est ce qui incitait les banques centrales à intervenir et à casser le risque d'inflation. La dynamique du cycle avait une composante endogène qui pouvait engendrer son dérèglement et provoquer l'intervention de la banque centrale. Le cycle actuel ne connait pas ce type de situation et c'est en cela que c'est nouveau. Ce type d'étude trouve alors une sorte de légitimité sur la période actuelle. 

Les auteurs insistent également sur le fait que ces cycles s'arrêtent suite à des chocs exogènes. Mario Draghi a avancé les facteurs géopolitiques, le protectionnisme croissant et les vulnérabilités dans les marchés émergents pour justifier tout un arsenal de soutien à la conjoncture. Quelles sont les conséquences directes de ces événements sur l’expansion économique de la zone euro actuellement ? 

L'idée que le retournement cyclique ne provient que d'un choc exogène est forcément excessif. Cela rappelle les heures sombres de la théorie des cycles réels au sein desquels l'économie ne pouvait être perturbée que par des chocs technologiques ou des chocs de politique économique. 

L'auteur élargit le type de choc mais de façon inadéquate. Il indique ainsi que la crise des subprimes est une crise exogène qui fait dérailler le cycle. Cela voudrait dire que la croissance nourrit par des conditions financières incitatives n'a pas été nourri par le développement trop rapide du marché immobilier US lui-même dopé par la mise en place des fameux subprimes. L'expansion excessive du marché immobilier a nourri la croissance US et l'absence d'institutions de régulation efficaces sur ce marché a provoqué un choc terrible. Le marché immobilier n'a pas eu un développement exogène par rapport à la croissance. C'est l'absence d'institutions efficaces de régulation qui a permis cet emballement de la croissance et sa fin brutale.

L'économie américaine dans son cycle très long avait en son sein des facteurs de déséquilibres qui n'étaient pas soutenables dans la durée et qui a un moment ont pénalisé l'économie US. On peut dire la même chose du marché immobilier espagnol ou irlandais. 

L'économiedu fait deses modes de régulation et ses institutions, peut engendrer des cycles autonomes et qui peuvent durer. Mais ces cycles peuvent dans le même temps être accompagné d'éléments d'accumulation qui à un moment peut éclater ou qui nécessitent un facteur correctif de la part des autorités. On a observé ce phénomène par le passé. L'accélération de l'inflation dans les années 70 n'est pas liée qu'au choc pétrolier. La baisse de la productivité globale est aussi responsable et cela n'est pas un choc exogène mais une conséquence de la phase de rattrapage des années 50 et 60. Le risque de rupture du cycle peut ainsi existerpar un phénomène d'accumulation même si une telle rupture n'est pas systématique en raison des institutionset de la régulation. 

Ces phénomènes peuvent aussi être guidés par des évènements exogènes qui modifient en profondeur les anticipations des acteurs de l'économie. La politique commerciale de Donald Trump aux USA est probablement un facteur clé pour comprendre le ralentissement de l'activité. C'est l'analyse évoquée de Mario Draghi. On comprend bien la logique : un choc exogène change les conditions du fonctionnement de l'économie provoquant des ajustements importants. Si le mouvement est brutal alors il peut être générateur d'une rupture du cycle et de l'émergence d'une récession. 

Si les cycles d'expansions économiques ne s'achèvent pas naturellement avec le temps, qu'est-ce qui permettrait à la zone euro d'éviter ou de se protéger au mieux des chocs exogènes ? 

Créer des institutions européennes susceptibles de reproduire celles qui font la force de chacun des pays de la zone est totalement illusoire. Cela supposerait un transfert de souveraineté qu'aucun gouvernement ne souhaite. Donc oublions cette possibilité.

Le mieux serait de renforcer la dynamique et l'autonomie de la croissance de la zone même dans le cadre d'une économie globalisée. L'économie US a toujours été mise en difficulté par des problèmes internes et non par des questions internationales. Il faut faciliter le développement du marché interne afin de renforcer la dynamique du marché intérieur. On interroge souvent les conditions de concurrence sur le marché des biens, des services ou du travail à l'échelle nationale mais c'est à l'échelle de la zone Euro qu'il faut se poser la question pour qu'une entreprise puisse développer son activité partout en zone Euro comme si elle était sur son territoire national. 

L'autre point est qu'une façon rapide de renforcer cette demande interne serait de réorienter la dynamique de croissance vers l'Europe. La zone Euro a un excédent de compte courant d'environ 3% du PIB qui traduit un manque d'investissement. C'est ici qu'il faut agir, notamment du côté allemand car l'accumulation d'excédent budgétaire est contre-productif lorsque l'économie de la zone euro est fragile. 

Il faut recentrer la dynamique de la zone Euro sur la zone Euro. Un marché plus efficace à l'échelle de la zone et une dynamique insufflée par des investissements supplémentaires capables d'éponger les 3% d'excédent du compte courant donneraient à la zone Euro une autonomie de croissance et une robustesse qui réduiraient l'impact des chocs exogènes et une puissance plus marquée à l'échelle globale pour imposer ses choix et être moins dépendant de ceux des autres. 

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