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Quel poids (et quel impact) du vote immigré ou communautariste en France ?
©SYLVAIN THOMAS / AFP

Elections

Si les listes communautaristes à proprement parler réalisent des scores minuscules, la concentration de population d’origine étrangère pèse sur le choix et le discours des candidats d’un certain nombre de partis.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico.fr : Le contexte actuel est marqué par le débat autour de l'interdiction des listes "communautaires" aux élections municipales. Y a-t-il un vrai risque de voir ces listes, notamment l'UDMF qui est au coeur de débats, l'emporter ? Y a-t-il un vote communautaire en France ? 

Vincent Tournier : Tout dépend de ce que l’on entend par vote communautaire. Si l’on entend par là des partis de type ethno-religieux dont la natureest de revendiquer une identité spécifique, alors la réponse est clairement non. C’est l’un des mérites de la société française :nous n’avons pas en France de partis communautaires parce que le système partisan est largement structuré par le clivage gauche-droite. Donc, pour l’instant, ce système s’avère peu perméable à une structuration de type communautariste, cette dernière étant de plus difficilement compatible avec la culture civique française.Un parti comme l’UDMF, qui a été créé en 2012 sur une base clairement religieuse,fait des scores très faibles, même si dans certaines localités, il a pu recueillir un nombre significatif de voix. 

Il faut cependantsouligner que plusieurs facteurs jouent contre lui. En particulier, les scrutins de ces dernières années ne lui ont pas été très favorables parce qu’il s’agissait de scrutins nationaux (la présidentielle, les européennes). Avec les municipales qui viennent, la situation risque d’être différente, et il faudra donc suivre les résultats avec attention, d’autant que la polémique qui l’entoure aujourd’hui lui fait une publicité considérable.  

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les partis politiques font l’objet d’une surveillance de la part des pouvoirs publics. C’est ainsi que, au cours des dernières décennies, de nombreuses dissolutions ont été prononcées. La plupart de ces dissolutions ont concernédes partis extrémistes, mais certaines concernaient des partis régionalistes (corse, basque, alsacien), voire des partisethno-religieux, comme le tristement célèbre Tribu Ka de KémiSéba, dissout une première fois en 2004 puis une seconde fois en 2009 (il s’était reconstitué sous le titre « Génération KémiSéba »).

Le fait qu’il existe un risque sérieux de dissolution explique pourquoi l’UDMF avance masqué. Ce partiest en effet contraint de dissimuler son identité religieuse derrière une rhétorique généraliste et bon enfant, susceptible de convenir à tout le monde(l’écologie, le social, et même l’égalité hommes/femmes). Cette rhétorique lui permet de montrer patte blanche. Il tente même de se banaliser en se comparant aux partis chrétiens-démocrates. Cette astuce n’est pas sans rappeler la comparaison qui avait été faite autrefois entre l’AKP, le parti islamiste d’Erdogan en Turquie, et les partis chrétiens-démocrates européens. Or, on sait maintenant ce qu’il en est, et on peut souhaiter que, dans le cas d’un parti comme l’UDMF,personne ne tombera dans un piège aussi grossier. Cette stratégie de banalisation suivie par l’UDMF lui permet d’éviter de disparaître, elle lui crée aussi un tort important parce qu’elle lui interdit de déclamer pleinement et publiquement son idéologie. 

Si le vote "communautaire" est assez faible, est-ce que cela empêche néanmoins d'autres listes, au niveau local, de tenter de l'attirer, voire de le faire émerger, que ce soit dans la composition des listes ou dans les discours ?

C’est le second aspect du vote communautaire, et cette fois-ci il est plus difficile de répondre par la négative. Il s’agit ici des stratégies qui sont menées par les partis politiques pour attirer des électeurs sur une base communautaire. On pourrait parler d’un clientélisme de type ethno-religieux. Il est clair qu’un tel communautarisme existe : tous les partis, notamment au niveau local, cherchent à attirer des électeurs de diverses ethnies, origines, religions, soit en plaçant sur leur liste des personnes censées représenter les communautés auxquels ils s’adressent, soit en proposant des mesures qui visent à répondre à des demandes communautaires (par exemple le soutien pour une mosquée ou le financement d’associations). Ce communautariste est apparu dans les années 1980 et il n’a cessé de se renforcer au cours du temps, et il va très probablement augmenter encore. On en trouve aujourd’hui la traceindirecte dans la pétition qui vient d’être publiée par le Journal du Dimanchepour dénoncer la stigmatisation dont les musulmans feraient l’objet: cette pétition, signée par une centaine d’élus locaux, est assez troublante parce que, non seulement elle ne dit pas un mot sur l’islamisme et les attentats, ce qui mérite en soi d’être souligné dans le contexte actuel, mais aussi parce qu’elle émane essentiellement d’élus de la Seine-Saint-Denis. Pourquoi ce lien avec des territoires à forte concentration musulmane ? Si on était cynique, on pourrait y voir une sorte d’aveu, comme si cette pétition dressait la liste de tous les élus locaux qui font du clientélisme et éprouvent le besoin, à l’approche des élections, d’envoyer des messages à leurs électeurs potentiels.  

Toutefois, il faut se garder d’être trop manichéen. Ce clientélisme électoral est certes problématiqued’un certain point de vue mais, pour son versant positif, on peut se demander s’il n’a pas pour méritejustement d’empêcher l’émergence de partis communautaires. En somme, si les partis communautaristes ont du mal à se développer, c’est aussiprécisément parce que les électeurs concernés estiment que leur vote sera plus efficace s’ils le marchandent avec des partis traditionnels.Le problème est en effet qu’il faut choisir : soit le clientélisme, soit le communautarisme. Aucun des deux n’est certes satisfaisant sur le plan des principes, mais y a-t-il un autre choix, compte-tenu de la situation actuelle ?

Comment votent les Français issus de l'immigration, et en particulier les Français de culture ou de religion musulmane ? 

Les données disponibles permettent de dresser deux constats. Le premier est celui d’un vote très marqué à gauche. Cette orientation à gauche n’est pas facile à expliquer, mais il est certain qu’elle a des conséquences très importantes sur le système partisan puisqu’elle a notamment conduit les partis de gauche à réorienter leurs discours vers les populations issues de l’immigration, ce quiexplique au passage les tensions autour de la laïcité, laquelle est désormais perçue par une partie de la gauche comme une arme anti-islam.

Le second constat est celui d’une forte abstention, laquelle s’accompagne généralement d’une moindre familiarité avec la vie politique, par exemple une moindre propension à se situer sur un axe gauche-droite. Ce déficit de politisation et de participation est un élément très important. Il signifie qu’on a affaire à une population qui est éloignée de la politique, qui ne se sent pas très concernée, ou simplement qui n’a pas les grilles de lecture pour comprendre les enjeux politiques. Cette situation est logique car les musulmans sont souvent issus de milieux modestes, mais aussi parce queleur intégration se passe nettement moins bien que pour d’autres populations immigrées. De plus, c’est une population qui est présente en France depuis peu de temps, donc quimaitrise mal l’histoire et la culture du pays d’accueil. Une partie de cette population amême du mal avec la langue, notamment à l’écrit. Bref, tous ces éléments se cumulent pour créer un déficit d’intégration civique. Or, ce déficit civique n’est pas sans lien avec la question du clientélisme et du communautarisme. En effet, une population qui ne se sent pas très concernée par la politique risque d’être plus réceptive aux charmes du clientélisme ou du communautarisme. On cède moins facilement quand on a des convictions et des principes fondés sur une certaine conception du civisme.

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