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Algérie : après l'effondrement de la façade civile du régime, le contrôle militaire est de plus en plus visible
©LUCAS BARIOULET / AFP

Evolution

Mathilde Panot, vice-présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, a été arrêtée en Algérie. Elle s’était rendue dans le pays pour "rencontrer des acteurs et actrices du mouvement populaire". Elle avait été interpellée mardi.

Neïla Latrous

Neïla Latrous

Neïla Latrous est rédactrice en chef Maghreb & Moyen-Orient chez Jeune Afrique.

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Atlantico.fr : Dans quel contexte est intervenue l'interpellation de la députée LFI Mathilde Panot et sa remise en liberté ces deux derniers jours ?

Neïla Latrous : Mathilde Panot se rendait en Algérie en accompagnant son suppléant, qui se trouve avoir un lien avec l'Algérie. Manifestement, elle avait prévenu les autorités algériennes d'un email envoyé à l'ambassade d'Algérie en France pour les avertir de sa visite. Au cour de son voyage, qui devait durer une semaine, elle avait prévu de rencontrer nombre d'opposant, de militants de ce qu'on appelle le hirak, ou révolution. Elle a rencontré certain d'entre eux, entre son arrivée et le mardi, jour où elle a été arrêtée alors qu'elle participait à une marche en Kabylie, à l’Est d’Alger. Le mardi, c'est l’une des marches hebdomadaires en Algérie, celle des étudiants.

Mathilde Panot s'était jointe aux manifestants, lesquels, en règle générale en Algérie, risquent à tout moment d’être arrêtés, condamnés, ou détenus à titre provisoire. C'est dans ce contexte que là qu'intervient l’arrestation de Panot. Du fait de sa nationalité française et de la protection que lui confère son statut d’élue de la République Française, elle a pu bénéficier d'une intervention de Jean-Yves Le Drian pour l'extraire, elle et sa délégation - ou se trouvent des binationaux - du pays. Les manifestants ou activistes algériens ne bénéficient pas de cette même protection et restent souvent en prison.

Certains commentateurs parlent de dictature militaire pour désigner la nature du régime actuel, dictature sous la coupe du chef d'état major de l'armée algérienne, Ahmed Gaid Salah. Qu'en est-il ?

Le terme de dictature militaire, je ne le reprendrais par forcément à mon compte. Ce qu'on constate, c'est que les usages d'Abdelaziz Bouteflika restent de mise : des opposants au régime étaient déjà placés en détention avant son départ et des mandats de dépôt étaient déjà prononcés à leur encontre. Un certain nombre de manifestants qui sont aujourd'hui en cellule ont été condamnés, ou interpellés ou arrêtés, "mis hors d'état de nuire" pour reprendre la terminologie du chef d'état major, alors qu'Abdelaziz Bouteflika était encore au pouvoir. C’était le cas en 2014 au moment des manifestations contre son quatrième mandat. Et si on remonte à ce début d’année 2019, un activiste, Hadj Gharmoul, qui en janvier avait commencé à s’opposer au cinquième mandat, avait été incarcéré. Il n’y a pas vraiment de différence de nature entre ce à quoi on assiste et ce qui se passait auparavant. La différence est sur le rythme et l'intensité.

Là où il y avait avant, de manière épisodique, un activiste qui finissait derrière les barreaux, aujourd'hui vous en avez plusieurs par jour. C'est en cela qu'il y a une espèce d'accélération, de massification, qui donne le vertige. Ce qui est relativement nouveau aussi, c'est que l'usage du temps d'Abdelaziz Bouteflika était de ne pas forcément s'en prendre aux personnalités politiques. Aujourd'hui des élus du RCD (opposition) sont arrêtés. Louisa Hanoune, du parti des travailleurs, est condamnée à quinze ans de prison pour complot contre l'Etat parce qu'elle participait à une réunion où avait été évoquée l'idée de changer le chef d'état major. Ça c’est nouveau. Cela dit, ce qui est curieux, c’est le distinguo fait pour l’heure entre les arrestations de militants et d'activistes anti-système et celles de grands patrons du privé. A mon sens, elles procèdent de la même logique. Celle de neutraliser tout contre-pouvoir. Même si les chefs d'inculpation sont différents, en réalité le processus est le même : on interpelle, on prononce un mandat de dépôt, et on juge, plus tard, éventuellement. Toutes ces arrestations sont liées : membres de partis politiques, manifestants, activistes, chefs d'entreprises...

C’est un changement de régime ?

La nature du régime n'a pas changé, mais son affichage, oui. La façade civile s’est écroulée et laisse à voir désormais les fondations militaires. Mais dans le fond, c’est le régime algérien que l’on connaît depuis 1962. En 1965, quand Ben Bella est renversé, c'est déjà l'armée qui réaffirme sa primauté. En 1992-1993, quand il s'agit de s'ériger contre le Front Islamique du Salut et de dire qu'il ne peut pas y avoir de pouvoir islamiste en Algérie, c'est l'armée qui s'expose. Dans les grands moments fondateurs en Algérie, l'armée a réaffirmer la réalité de son rôle politique. Ce à quoi nous assistons aujourd’hui en est un témoignage supplémentaire.

Est-ce que cette évolution vous semble ignorée par la France ?

Il y a une forme de tétanie française, parce qu'on ne sait pas par quel bout prendre cette histoire. Il y a toujours peur de se faire accuser d'ingérence. Il y a toujours des intérêts d'ordre économique et en matière de sécurité . La frontière sud de la France avec le Sahel, c'est la frontière algérienne. C'est l’Algérie qui régule le flux de migrants du sud vers le nord. C’est l’armée algérienne qui combat le terrorisme dans le Sahel. L'analyse pertes-bénéfices fait qu'aujourd'hui en France, on considère qu'il vaut mieux faire avec un régime extremely autoritaire, de manière assumée, plutôt que d'essayer de pousser une démocratie dont la France et l’Europe mesurent mal les effets en matière de stabilité.

En France, le politique peine sans doute aussi à avoir une lecture claire des événements. Pourtant, la refonte de l’appareil sécuritaire a l’été 2018 aurait dû être une alerte. Le directeur général de la sûreté national a été limogé au mois de juin. Nombre de patrons des régions militaires ont été changés. Des généraux, parmi les plus gradés, ont été emprisonnés. Puis relâchés, puis à nouveau emprisonnés. Le départ d’Abdelaziz Bouteflika est une date supplémentaire dans une longue chronologie de règlement de compte, et de reconfiguration du système. L’Algerie se cherche aujourd’hui une nouvelle façade civile, mais il n'y a pas de rupture en termes de gouvernance. 

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