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Jacques Chirac, le monarque magnifique qui scia la branche sur laquelle reposait son trône (et celui de ses successeurs)
©PATRICK KOVARIK / AFP

Institutionnellement

Avec le quinquennat, Jacques Chirac est celui qui aura mis à terre le génie de la Ve République dont le Général de Gaulle avait su construire les institutions en s’approchant au plus près de l’âme politique des Français.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Didier Maus

Didier Maus

Didier Maus est Président émérite de l’association française de droit constitutionnel et ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020).

 

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Atlantico : Au niveau institutionnel, Jacques Chirac laisse dans les souvenirs la réforme de la durée du mandat présidentiel, et le passage au quinquennat. Dans quelle mesure est-il responsable de cette transformation, via son acceptation de la cohabitation par exemple ?

Didier Maus : L’histoire de la révision de 2000 relative au passage du septennat au quinquennat est encore à écrire. L’initiative est venue de Valéry Giscard d’Estaing, alors député. Elle est soutenue par Lionel Jospin, Premier ministre. Le programme du PS allait dans ce sens depuis longtemps, mais le double septennat de François Mitterrand l’avait laissé de côté. Jacques Chirac n’avait jamais manifesté un grand enthousiasme pour un tel raccourcissement du mandat présidentiel, même au temps du projet du Président Pompidou en 1973, mais en 2000 les circonstances politiques dominent. L’alliance de Valéry Giscard d’Estaing et de Lionel Jospin est susceptible de le mettre véritablement en difficulté et de compromettre sa réélection en 2002. Mieux vaut alors prendre les devants et au nom du principe « Je suis leur chef, donc je les suis » s’attribuer le bénéfice de la réforme. D’où le référendum du 24 septembre 2000. Disons les choses clairement : ce ne fut pas un succès. 70% des électeurs ont oublié d’aller vers les bureaux de vote et la justification de la révision n’était pas claire.

Il n’en demeure pas moins que le mandat présidentiel de cinq ans est entré en vigueur et que, couplé avec les élections législatives dans la foulée, il a profondément transformé le temps politique. Sauf accident, la France est désormais gouvernée pendant cinq ans par un Président de la République appuyé sur une majorité stable et cohérente. Ceci la rapproche des autres pays européens où la durée moyenne d’une période gouvernementale est de quatre ou cinq ans. La véritable originalité demeure : il faut en France deux élections, c’est-à-dire quatre tours de scrutin, pour attribuer réellement le pouvoir. De ce fait le pays est quasiment en campagne électorale pendant quatre mois (de mars à juin), ce qui est beaucoup.

Christophe Boutin : L'idée de la réduction du mandat présidentiel n'est pas nouvelle lorsque le quinquennat est voté en 2000. On rappellera que le septennat est un héritage politique du début de la IIIe République, lorsque le maréchal Mac-Mahon est censé rester en place jusqu'à la mort du comte de Chambord pour permettre la restauration monarchique. En 1958,on fait le choix de ne pas faire coïncider les durées du mandat présidentiel et de celui des députés, et l'on en reste au septennat.

Avec l'élection du Président au suffrage universel direct on se repose la question. En 1973, Georges Pompidou propose donc le quinquennat, mais ne dispose pas d'une majorité. Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chirac,confrontés à François Mitterrand, l’évoquent ensuite, mais la première cohabitation (1986-1988), acceptée par Jacques Chirac après sa victoire aux législatives, modifie l’idée de la toute-puissance présidentielle – tout en étant aussi présentée comme contraire à la vision gaullienne de la constitution.

Chirac devenu Président est cependant opposé à l'instauration du quinquennat, et c'est Valéry Giscard d'Estaing qui, déposant en 2000 une proposition de loi qui rencontre un succès immédiat,lui impose la réforme, et ce d'autant plus facilement qu’une nouvelle cohabitation a lieu, avec à Matignon Lionel Jospin, lui aussi favorable à la révision. Chirac annonce alors le dépôt d’un projet de loi qui devra être soumis au référendum - mais ajoute que, quelque soit son résultat, il ne considérera pas sa responsabilité politique engagée. Mais même s’il n’était pas convaincu, en acceptant dès 1986, puis en 2002,une cohabitation fort peu gaullienne, il avait donné des arguments pour convaincre son propre camp de la nécessité du quinquennat, et même du bouleversement du calendrier électoral, pour que l’élection présidentielle précède les législatives.

Le quinquennat est cycliquement accusé d'avoir transformé la Ve République en un régime « hyper-présidentiel ». Faut-il voir là une transformation institutionnelle dont Jacques Chirac s'est rendu en partie responsable ?

Christophe Boutin : Dire que le quinquennat à lui seul transforme la Ve République en un régime hyper présidentiel est excessif, tant les choses peuvent dépendre de la manière dont le président en exercice entend jouer son rôle. Si l'on prend les présidences quinquennales, force est de constater qu'entre 2002 et 2007 un Jacques Chirac on ne peut plus prudent n'a certes pas été un « hyper président » - on lui reprocha au contraire son inactivité. Nicolas Sarkozy, lui, vibrionnant en permanence, était sans doute plus proche de la notion, et l'effacement auquel fut contraint son premier ministre, François Fillon, en était une preuve. Avec François Hollande ensuite on retrouve une présidence plus effacée –sans doute pourtant plus dans la forme que dans le fond -, avant que l'arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron ne fasse resurgir cette notion d'hyper présidence.

Pour autant,au delà des différents « styles » présidentiels, il est évident que l'instauration du quinquennat modifie les équilibres entre l’Élysée et Matignon : il est plus difficile par exemple de changer de Premier ministre dans le délai, etc’est aussi l'image même du président arbitre, placé « au-dessus des partis » qui s’estompe – elle avait déjà souffert -, remplacée par celle d’un chef de la majorité qui ne saurait souffrir de concurrence. Enfin, le renversement du calendrier qui accompagne la réforme et voit depuis l’élection présidentielle précéder les législatives fait clairement du Président le chef de la majorité au pouvoir.

En 2005, alors que Jacques Chirac a fait campagne en faveur de la Constitution européenne, il n'a pas démissionné malgré son rejet par le peuple français. Ne voit-on pas là s'inaugurer un nouveau rapport au référendum dans la pratique politique française ?

Christophe Boutin : Effectivement, le rapport au référendum de Jacques Chirac était très différent de la manière dont le fondateur de la Ve République envisageait ce qui restait pour lui un dialogue direct avec le peuple. On peut comprendre que Chirac, peu convaincu par la réforme, ait considéré en 2000 qu'il n'était pas lié par la réponse donnée -la réponse positive écartant le problème. On le conçoit moins avec le référendum sur le traité de constitution européenne en 2005, car, cette fois clairement favorable à une intégration européenne plus poussée, il s’était engagé pour un vote favorable,mais n’a tiré absolument aucune conséquence politique pour lui-même de l'échec de la procédure.

Deux éléments peuvent l’expliquer. D’abord, Jacques Chirac avait auparavant choisi d'élargir le champ du référendum de l’article 11 à des « questions de société », souhaitant disait-il y recourir de manière apaisée, sans engager sa responsabilité. Il est vrai que si le référendum est régulièrement utilisé, et si le Président ne s'engage pas de manière claire derrière l'une des options proposées, ce peut être envisagé, mais cette utilisation régulière resta un effet d’annonce. Second élément, nous sommes en 2005 entrés dans le quinquennat, et le rapprochement des échéances électorales rend peut-être moins nécessaire que dans le cas du septennat cette évaluation faite par le Président, par le biais du référendum, de la confiance que lui porte le peuple. Mais nul doute du choix qu’aurait fait Charles De Gaulle…

Didier Maus : En deux occasions décisives Jacques Chirac a manqué de flair politique. En 1997, il prononce la dissolution de l’Assemblée nationale pour tenter de mettre de l’ordre dans une majorité quelque peu agitée. Deux ans après son élection, les électeurs lui donnent tort et élisent une majorité de gauche, permettant ainsi au battu de 1995, Lionel Jospin, de devenir pendant cinq ans Premier ministre et, de ce fait, à Jacques Chirac de se refaire une santé politique en n’étant plus le responsable n° 1 des affaires intérieures du pays.

Le référendum de 2005 sur la Constitution européenne est aussi un échec. Le Non l’emporte avec plus de 54,5% des suffrages. Ce référendum était inévitable. À partir du moment où, à juste titre, François Mitterrand avait, en 1992, organisé un référendum sur le traité de Maastricht en le présentant comme une étape fondamentale de l’avenir de la France et de l’Europe, il était impossible de ne pas en faire autant pour un traité censé, à tort ou à raison, établir une constitution pour l’Union européenne. Les auteurs du traité, dont Valéry Giscard d’Estaing pour la Charte des droits fondamentaux, ont sans doute eu tort de vouloir lui donner le nom de « constitution », mais dans la logique constitutionnelle et politique de la Ve République seul le peuple peut décider d’une transformation fondamentale, qu’elle soit de l’ordre du symbole ou de la répartition effective des pouvoirs.

Au vu des résultats Jacques Chirac aurait-il du démissionner ? La question demeure encore aujourd’hui sans réponse. Il était à deux ans de la fin de son deuxième mandat. Fallait-il anticiper sur une éventuelle élection de Nicolas Sarkozy ? Ou faciliter la montée en puissance de Jean-Marie Le Pen ou un éventuel retour de Lionel Jospin ? En ne démissionnant pas Jacques Chirac a affaibli la porté du référendum présidentiel, mais n’était-il pas dans une recherche d’une France plus apaisée ? Son quinquennat, de 2002 à 2007, devient alors celui d’un pater familias plus que d’un chef de guerre. La psychologie des acteurs l’emporte parfois sur les logiques constitutionnelles.

Nicolas Sarkozy a qualifié  Jacques Chirac de "roi fainéant". Est-ce que sa manière d'être proche des Français (à la manière d'un Henri IV), d'être dans une forme d'inaction, ne lui ont  pas donné une stature monarchique et la possibilité d'incarner la nation pendant ses deux mandats présidentiels ?

Didier Maus : Il faut laisser à la polémique politique et aux excès de langage la responsabilité de l’expression de Nicolas Sarkozy.

Ceci étant, une des particularités de Jacques Chirac était son absence de dogmatisme constitutionnel. On peine à trouver un discours définissant sa vision du système institutionnel ou proposant des modèles alternatifs. Sa curiosité constitutionnelle est nettement moindre que celle de François Mitterrand ou de Nicolas Sarkozy. Et pourtant ! On lui doit quatorze révisions de la Constitution entre 1995 et 2007. Plus de la moitié des vingt-quatre révisions de la Constitution de la Ve République ont été adoptées pendant les douze années de la présidence de Jacques Chirac. Certaines de ces révisions sont importantes (par exemple le quinquennat en 2000 ou la Charte de l’environnement en 2007), d’autres relèvent plus de la gestion quotidienne des affaires. Au fond, Jacques Chirac considérait que la Constitution doit s’adapter aux exigences de la politique, sans, si possible, remettre en cause, les fondamentaux du texte de 1958.

Indépendamment de ces quatorze modifications, l’apport le plus significatif, et le plus durable, de Jacques Chirac à la pratique des institutions a été la cohabitation. En 1986, il inaugure face à François Mitterrand une nouvelle forme de relations entre le Président de la République et le Premier ministre (donc le Gouvernement). Pendant deux ans (1986-1988), de nouvelles habitudes, des sortes de  « conventions » vont être développées, à propos, notamment, de la fixation de l’ordre du jour des sessions extraordinaires du Parlement, de la signature (ou non) des ordonnances, de la répartition des pouvoirs pour les nominations dans les postes de la très haute administration ou la détermination et la conduite de la politique extérieure et des la défense nationale. Jacques Chirac était conscient des prérogatives coutumières du Président de la République et pensait probablement, au fond de lui-même, que s’il devait, un jour, accéder à la fonction suprême, ce qui était dès 1986 son objectif, il ne devait pas l’affaiblir. Exercer dans leur plénitude les pouvoirs du Premier ministre, oui ; pousser le Président de la République dans ses retranchements, non. Lorsque de 1997 à 2002 il aura en face de lui Lionel Jospin comme Premier ministre (la plus longue cohabitation de la Ve République), il se souviendra de ses relations avec François Mitterrand et ne remettra pas en cause l’équilibre des années 1986-1988, ni dans un sens  ni dans l’autre. La cohabitation n’est plus d’actualité, mais Jacques Chirac en a été le principal acteur, le seul, à ce jour, à l’avoir pratiquée à Matignon et à l’Élysée.

Christophe Boutin : Certes proche des Français, Henri IV me semble avoir tout été sauf un roi fainéant. Rappelons que si Jacques Chirac a été moins présent – et donc perçu comme moins conflictuel –, c’est d’abord parce qu’il n’a pas pu l’être pendant une grande partie de son septennat, après l'échec de la dissolution et l'arrivée à Matignon de Lionel Jospin (1997-2002). Il n’a ensuite pas voulu exercer une présidence trop active lors de son quinquennat (2002-2007), mais l’aurait-il pu ? Faut-il rappeler qu’il avait été élu par une très large majorité que n’unissait que le rejet de Jean-Marie Le Pen ?

Cette distance d’avec l’exercice réel du pouvoir est présentée aujourd’hui comme motivée par le souci de diriger la nation de manière apaisée, mais elle était aussi un renoncement hédoniste à ses responsabilités politiques. Un hédonisme qui renforçait la proximité, réelle, de Jacques Chirac avec les Français, mais inaction et sympathiques grivoiseries ne suffisent décidément pas à conférer une « stature monarchique »…

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