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Pourquoi, faute de candidats au métier de prof, l’Education nationale en vient à recruter des quasi-analphabètes
©MARTIN BUREAU / AFP

Bonnes feuilles

Patrice Romain, principal dans un collège, côtoie des professeurs depuis plus de vingt ans. Avec humour, dans "Un principal ne devrait pas dire ça" (City éditions), il nous dévoile les travers de ses enseignants en livrant des anecdotes assez surréalistes... Extrait 2/2.

Patrice Romain

Patrice Romain

Instituteur, directeur d'école puis principal de collège, Patrice Romain a pris sa retraite fin 2020, désabusé par la gouvernance de "son" école publique. Il est l'auteur d'une dizaine de livres sur l'Éducation nationale, dont le best-seller Mots d'excuse. Son dernier ouvrage est  "Requiem pour l'Education nationale - Un chef d'établissement dénonce : parents et professeurs doivent savoir !" (2021) aux éditions du Cherche Midi.

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Lendemain de notre fête nationale. En cet ultime jour, mon esprit vagabonde. Que va devenir notre institution Éducation nationale – donc notre pays – une fois disparues toutes les Madame Gaffiot ?

Seuls resteront les Bébés-profs d’aujourd’hui, issus de notre système éducatif actuel. Avec, pour beaucoup, un niveau disciplinaire bien léger. Ils se retrouveront face aux enfants des classes sociales défavorisées. Car vu la complaisance, euh, non, pardon, la bienveillance dont on nous demande de faire preuve à l’égard des voyous qui pourrissent la vie des élèves sérieux, les enfants des familles ayant les moyens financiers se seront tous réfugiés dans le privé, plus sécurisant.

Autant personne ne remet en cause le fait que des individus sont physiquement plus forts que d’autres, autant on refuse d’admettre que tout le monde n’a pas les mêmes capacités intellectuelles. D’où le leitmotiv de nos « experts » pédagogiques : il faut que tous les élèves poursuivent des études. Puis que chacun d’entre eux soit diplômé. Et comme on ne peut pas hausser leur niveau scolaire, on baisse celui des épreuves afin de maintenir un taux de réussite exceptionnel. Quelle est en effet la valeur réelle d’un examen obtenu par neuf candidats sur dix ?

Leurre, évidemment, et future frustration des étudiants à leur entrée sur le marché du travail :

— J’ai un master d’esthétique et sociologie de la médiation culturelle, hors de question d’accepter un métier payé au Smic ! Un an que je cherche ! Les employeurs n’en ont rien à faire, de mon diplôme ! — T’as qu’à faire prof, ils en cherchent !

Plus d’élèves égale en effet plus d’enseignants à recruter. Et c’est là que commence le problème : vu qu’il y a plus de places que d’étudiants qui se présentent au concours du CAPES – combien de valeureux candidats potentiels renoncent à le passer, effrayés par les conditions d’exercice du métier ? –, il est impossible d’opérer une sélection. Quand on descend la barre des reçus à cinq ou six de moyenne afin d’« avoir le nombre », il ne faut pas attendre de miracle des fraîchement diplômés qui ont été repêchés.

Mais il faut bien embaucher afin de mettre un « professeur » dans chaque matière en face de chaque classe. On enrôle donc, en tant que contractuels ou vacataires, ceux qui ont réussi l’exploit d’échouer à ce même concours. Qui ont donc été jugés inaptes à enseigner.

Une fois ce vivier épuisé, on épluche les CV des postulants qui parlent à peu près français et dont le diplôme correspond plus ou moins à la discipline en manque de professeurs. Enfin, en désespoir de cause, on engage un inconnu au casier judiciaire vierge – casier demandé après l’entretien préliminaire, d’où parfois des démissions forcées sitôt le document reçu. Cela calme les parents un moment, le temps qu’ils se rendent compte que l’enseignant de mathématiques qu’on leur a vendu est en fait un individu persuadé d’avoir les connaissances, la vocation et les compétences pour transmettre du savoir uniquement parce qu’il a aidé son petit frère à faire ses devoirs de géométrie cinq ans auparavant.

Comment ces futurs Bébés-profs pourront-ils enseigner ce qu’ils n’ont eux-mêmes jamais appris ? Comment pourront-ils corriger les erreurs de leurs futurs élèves ? Et donc les faire progresser ?

Contrairement à ce que voudraient nous faire croire les pédagogistes, le niveau global baisse. Et si les élèves possèdent de moins en moins de connaissances, notamment en français et en histoire-géographie, c’est entre autres parce que l’on demande aux professeurs de diminuer encore et toujours leur niveau d’exigence. Tout en faisant preuve – peut-être en compensation – de toujours plus de bienveillance, certainement pour mieux préparer nos jeunes au monde professionnel actuel qui, comme chacun sait, est encore plus merveilleux que celui des Bisounours…

Bienveillance systématique envers qui, d’ailleurs ? Le lycéen qui ne poursuit des études – sans jamais les rattraper – que pour obtenir une bourse ? Celui qui braque son professeur ? Et, au fait, qui doit se montrer bienveillant ? Les enseignants insultés quotidiennement ? Les élèves harcelés ? Les parents dont la progéniture ne peut plus étudier sereinement ?

 Propos aigris d’un vieux schnock incapable de suivre l’évolution de la société… Sans doute. Mais qui, de nos jeunes ou de nos aînés, ont été le mieux formés pour devenir des citoyens respectueux des autres et des biens communs ? Qui, des Bébés-profs ou des hussards noirs de la République, ont le mieux rempli leur tâche ? Le vivre ensemble dont on parle tant évolue-t-il favorablement ?

Pourquoi l’Éducation nationale laisse-t-elle les coudées franches aux – excellents – professeurs qui enseignent dans les établissements privilégiés avec des méthodes officiellement bannies et honnies ?

Chacun connaît pourtant les conséquences de cette « exception éducative » : leurs élèves – enfants de cadres sup’ et d’élus –, trustent ensuite les places aux concours des grandes écoles… Nos élites font preuve d’un silence assourdissant à ce sujet. Serait-ce par hasard parce que leurs descendances en sont les premières bénéficiaires ?

À capacités égales, le fils d’ouvrier, lui, est scolarisé en REP. Des Bébés-profs formatés lui attribuent durant des années des smileys verts sur son livret de compétences – au royaume des aveugles, les borgnes sont rois. Rempli d’espoir, il tente ensuite une classe préparatoire mais se prend deux ans plus tard un « refusé » rouge en pleine figure lorsqu’il se connecte sur le site des résultats aux concours auxquels il s’est présenté. Évidemment ! Après dix ans de bienveillance, il n’a découvert l’exigence et le rythme de travail imposé que l’année précédente, à bac + 1, alors que ses petits camarades plus fortunés issus des établissements privilégiés s’y préparaient depuis la 6e !

Plus on s’élève dans les études supérieures, moins on compte de jeunes des milieux populaires. Un pays peut-il se développer harmonieusement si ses futurs dirigeants économiques et politiques sont issus exclusivement des catégories socioprofessionnelles favorisées ?

Poser la question, c’est y répondre…

La seule école républicaine digne de ce nom, la seule respectable, la seule qui honore les principes de liberté, d’égalité et de fraternité – j’y ajouterais désormais celui de laïcité –, c’est l’école qui met en avant le travail et le mérite. Avec pour serviteurs des professeurs érudits. Autorisés à enseigner l’excellence. Dépositaires de l’Autorité.

Une école bienveillante et exigeante qui aide et soutient ceux qui adhèrent à ses valeurs. Qui sanctionne ceux qui lui crachent dessus… Main tendue pour les premiers, poing fermé pour les seconds.

J’ai mal pour l’institution qui m’a éduqué puis que j’ai servie – et qui m’a nourri – durant plus de quarante ans. J’ai mal pour « mon » école de la République…

Extrait de "Un principal ne devrait pas dire ça", de Patrice Romain, publié par City éditions

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