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Retraites : un système français très généreux mais profondément inégalitaire
©ALAIN JOCARD / AFP

Bonnes feuilles

Dans "Retraites, la dernière chance" (Editions de l'Archipel), Pascal Perri montre comment la retraite par points, dernière chance de sauver le système a la française, conserve sa dimension solidaire, réactualise le contrat social et favorisera une collaboration juste entre les générations. Extrait 2/2.

Pascal Perri

Pascal Perri

Pascal Perri est économiste. Il dirige le cabinet PNC Economic, cabinet européen spécialisé dans les politiques de prix et les stratégies low cost. Il est l’auteur de  l’ouvrage "Les impôts pour les nuls" chez First Editions et de "Google, un ami qui ne vous veut pas que du bien" chez Anne Carrière.

En 2014, Pascal Perri a rendu un rapport sur l’impact social du numérique en France au ministre de l’économie.

Il est membre du talk "les grandes gueules de RMC" et consultant économique de l’agence RMC sport. Il commente régulièrement l’actualité économique dans les décodeurs de l’éco sur BFM Business.

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La France devrait se désensibiliser du modèle par répartition auquel elle s’est remise intégralement et sans réserve. L’édifice est menacé, tôt ou tard. La vérité est que nous ne serons pas en état de financer les vieux jours des jeunes générations qui arrivent aujourd’hui sur le marché du travail si nous maintenions en l’état le système actuel, qui montre déjà ses limites. Sur les 17 millions de retraités français, 7 millions perçoivent une pension de 1 200 € ou moins. Il s’agit, pour une part importante, des veuves qui touchent une pension de réversion, autour de 50 % de la pension de leur époux défunt. Quand la retraite du titulaire des droits était faible, le survivant perçoit une très faible pension.

Le dossier des retraites est complexe parce qu’il n’est pas homogène. Une vision macroéconomique nous dit que le système français est très généreux – mais cette réalité statistique est vite démentie par un examen minutieux des cohortes de retraités. Le monde du travail est inégalitaire ; celui des retraites l’est aussi, puisqu’il reproduit fidèlement les rapports de contribution des actifs. Le modèle de solidarité est horizontal, certaines catégories payent pour les autres et financent des régimes structurellement déficitaires. La retraite à la française accroît les inégalités de situation pécuniaire, mais la réforme Macron devrait lisser ces inégalités.

Au mois de mars 2019, le chef de file du parti présidentiel, Stanislas Guérini, propose une réindexation des petites retraites sur le cours de l’inflation. Pour les retraites inférieures à 1 200 €, les pensions seraient bonifiées du rythme de l’augmentation des prix ; entre 1 200 et 2 000 €, une réindexation forfaitaire de 0,8 % serait appliquée. Cette mesure coûterait cher, très cher, en fonction du rythme de l’inflation, mais elle répondrait à une demande sociale majeure d’un groupe de Français qui a une propension élevée à participer aux élections !

 Taux d’activité : la question cruciale

Par le passé, le système français de retraite a toujours privilégié le départ des actifs dès lors qu’ils avaient atteint le taux plein. Les cotisants ont orienté leurs stratégies personnelles autour de cette borne du taux plein, sans pouvoir garantir l’équilibre financier du modèle. Il est aujourd’hui gravement compromis. On ne dira jamais assez combien nous payons cher la folie de la retraite à 60 ans votée en 1983 par la gauche mitterrandienne. Tous nos voisins européens ont augmenté l’âge légal de départ en retraite ou prévoient de le faire pour financer un modèle qui repose sur la solidarité entre les générations. Il n’existe pas de « cagnotte » secrète des retraites, pas de trésor caché non plus. Les régimes séparés qui ont accumulé des excédents sont plutôt rares, et leur trésor de guerre est menacé par l’évolution démographique.

Quelle que soit la nature du régime de retraite, il ne faut pas attendre de miracle : la démographie (ratio entre les cotisants et les pensionnés) et la croissance (l’accroissement de la richesse disponible) sont les deux variables de nos systèmes. Certains actifs préfèrent travailler au-delà de la borne d’âge pour obtenir un supplément de retraite. Avec le modèle par points, nous serons tous placés face à notre destin.

Arbitrer pour sortir du piège

En France, la base productive est étroite, et elle le sera de plus en plus, sous l’effet d’une population vieillissante… et qui vieillit en plutôt bonne santé. C’est bien la soutenabilité de notre modèle de retraite qui se discute dans l’entourage du haut-commissaire Delevoye depuis 2017. Le débat porté en France par le mouvement des Gilets jaunes a mis à jour le poids des cotisations retraites dans la part des prélèvements obligatoires. Il pose la question de la répartition, modèle solidaire fonctionnant à certaines conditions qui seront de moins en moins réunies. On peut toujours espérer un miracle, mais il est vain de vouloir s’affranchir des lois d’airain de l’économie. Le système français présente un caractère obligatoire. C’est sa force car tous les systèmes solidaires fonctionnent sur la base de l’universalité ; à défaut, ils perdent toute leur pertinence. C’est sa faiblesse car il est insuffisamment financé. Face à l’intertemporalité, l’homme préfère par nature le temps présent au temps différé. Le rapport coût/bénéfice du temps différé n’apparaît pas clairement à ceux qui vivent douloureusement le temps présent. Le piège des retraites se présente ainsi sous la forme d’une équation économique : consommer ou épargner ? Cigale ou fourmi ?

 Les Français sont appelés à arbitrer. Nul ne peut le faire à leur place. Le mouvement social de l’hiver 2018‑2019 a porté l’idée de référendum. Voilà un vrai sujet, avec une question simple : quelle formule a votre préférence ? une augmentation des cotisations retraites pour accroître votre revenu différé ou une baisse des cotisations retraites associée à une baisse des pensions ? Toutefois, la réponse des Français à cette question ne réglerait pas tous les problèmes. Elle dirait simplement à quel niveau de cotisation et pour quel niveau de revenu ils entendent cotiser.

Resterait la question non moins sérieuse de l’évolution des pensions dans le temps : les indexer sur le niveau des salaires permettrait de maintenir un équilibre financier moins dépendant de la croissance. En revanche, les indexer sur la croissance reviendrait à faire prendre un risque sérieux à l’équilibre financier du système. Dans le prolongement, il conviendrait de réconcilier les retraites indexées sur les salaires et celles qui sont alignées sur l’inflation. Quoi qu’il en soit, quand on égalise des situations différentes, certains y gagnent et d’autres y perdent. Les écarts sont catégoriels (public/privé), les autres générationnels ou attachés au genre.

Rien ne sera plus difficile que la réforme des retraites. C’est un siècle et demi d’histoire et d’habitudes ou de droits acquis qu’il faut réconcilier avec la réalité économique, à un moment où la société française exprime des doutes parfois violents sur son avenir. La réforme des retraites exigerait de la raison économique et du bon sens social : deux qualités qui manquent aujourd’hui au pays des droits sociaux.

Extrait de "Retraites, la dernière chance" de Pascal Perri, publié aux Editions de l’Archipel

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