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15 août 1811 : le jour de fête où l'Empereur, au faîte de sa puissance, déclencha les hostilités diplomatiques avec la Russie
©wikipédia

Bonne feuilles

Tout l'été, Atlantico publie les bonnes feuilles de livres remarquables. Aujourd'hui, "15 août 1811 : l'apogée de l'Empire ?" de Charles-Eloi Vial. Extrait 1/2.

Charles-Eloi Vial

Charles-Eloi Vial

Archiviste paléographe, docteur en histoire de l'université Paris-Sorbonne, Charles-Éloi Vial est conservateur à la Bibliothèque nationale de France. Il a notamment publié chez Perrin une biographie de Marie-Louise (prix Premier Empire de la fondation Napoléon), La Famille royale au TempleNapoléon à Sainte-Hélène et 15 août 1811. L’apogée de l’Empire ?

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"Même au faîte de sa puissance, Napoléon n’était pas – ou plutôt n’était plus – à l’abri de lui-même. La journée du jeudi 15 août 1811, dédiée à la célébration de la Saint-Napoléon, prétexte à des réjouissances pour les simples sujets comme pour les occupants du palais des Tuileries, a ainsi vu se dérouler un événement inhabituel : en pleine salle du trône, alors que la fête battait son plein, l’empereur se mit d’un coup à invectiver l’ambassadeur de Russie, le prince Alexandre Borisovitch Kourakine. De cet esclandre retentissant naquit une crise diplomatique, annonciatrice de la guerre de 1812, dont Napoléon ne devait jamais se relever. Comme l’a écrit Victorine de Chastenay, grande amie de Fouché, « le drame tragique commença par des fêtes ».

Cette scène et les rumeurs qui en découlèrent, de même que les réactions des contemporains, font curieusement ressortir tous les travers de cette époque. Napoléon n’a pas piqué une colère pour le plaisir. Sa journée avait été remplie de mauvaises nouvelles et la perspective d’une guerre prochaine avec la Russie a pu le rendre soucieux au point de lui faire souhaiter d’en accélérer le déclenchement. Si l’on élargit le champ de l’étude, Paris faisait certes la fête en cette belle journée d’été, mais tout n’allait pas si bien non plus : les faits divers les plus sordides, habituels quand on étudie le quotidien d’une grande ville, ne parviennent pas à masquer une série de phénomènes inquiétants, à commencer par la crise économique qui frappait l’Empire depuis plus d’une année et dont l’origine se trouvait, au moins en partie, dans le Blocus continental[1]. En approfondissant l’enquête, on en vient à étudier le déroulement de la fête dans des départements menacés par la disette, où les manufactures fermaient les unes après les autres, où les populations semblaient de plus en plus inquiètes et les élites parfois hostiles à l’empereur. En reculant encore le curseur, on embrasse du regard les « provinces » du Grand Empire, constitué de royaumes dirigés par la famille impériale et d’États vassaux, où la perspective d’un conflit prochain suscitait davantage de craintes que d’espérances.

Au-delà des frontières de la France, que ce soit en Espagne où la guerre civile faisait rage depuis 1808, ou dans l’Allemagne napoléonienne où les souverains vaincus comme Frédéric-Guillaume III de Prusse étaient en train de relever la tête, la lassitude, la haine et la déception s’exprimaient désormais librement. Comme l’écrit la comtesse Merlin, une proche de Joseph Bonaparte, « déjà même avant les désastres de Russie, une inquiétude, un découragement secret, comme ce tonnerre sourd et prolongé, précurseur du tremblement de terre, semblaient présager l’avenir ». La Saint-Napoléon coïncidait également avec la célébration de l’Assomption ; or, depuis 1809, l’Empire subissait aussi, il ne faut pas l’oublier, une terrible crise religieuse qui s’était soldée par l’internement du pape à Savone et par la convocation d’un concile à Paris. Depuis le mois de juin 1811, évêques et cardinaux, réunis à Notre-Dame, se débattaient entre la volonté implacable de l’empereur et leur crainte de provoquer un schisme, sous le regard étonné de la majorité des catholiques qui ne comprenaient pas la gravité de la situation. Somme toute, au moment où l’Europe entière aurait dû communier dans la célébration de l’empereur, ils étaient nombreux à se détourner de lui ou à regretter les années fastes du Consulat et des premiers temps du règne."


[1] Après la défaite navale de Trafalgar en 1805, Napoléon avait compris qu’il ne pourrait venir à bout de l’Angleterre par la force et s’était résolu à mener une autre sorte de guerre en asphyxiant son économie. Instauré par les décrets de Berlin (21 novembre 1806) et de Milan (23 novembre et 17 décembre 1807), le Blocus continental, destiné à « conquérir la mer avec la puissance de la terre », rendait théoriquement impossible tout commerce avec l’Angleterre et ses colonies.

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