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Le Cachemire, ce sempiternel nœud gordien
©REUTERS/Danish Ismail

Noeud gordien

Lundi dernier, le gouvernement indien de Narendra Modi a pris la décision de mettre fin à l'autonomie du Cachemire. La seule région indienne à majorité musulmane qui est régulièrement le théâtre de violences depuis l'indépendance de l'Inde en 1947.

Olivier  Guillard

Olivier Guillard

Olivier Guillard est titulaire d'un Doctorat en droit international public de l'Université de Paris XI et directeur de recherches Asie à l’Iris. Il officie aussi en tant que directeur de l'information chez Crisis 24.

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Un semestre après la dernière crise indo-pakistanaise et sa déclinaison militaire[1], en cet été 2019 décidément fort agité et orageux dans l’espace Indo-Pacifique (situation quasi pré-insurrectionnelle à Hong Kong ; renouveau de l’aventurisme balistique du côté de Pyongyang[2], chaos généralisé sur le territoire afghan ; tensions entre Séoul et Tokyo ; et on en passe…), l’ancienne principauté du Cachemire revient toutes affaires cessantes sur le radar de l’actualité asiatique et avec elle, la perspective d’un inquiétant renouveau de la tension dans le sous-continent indien. 

Ainsi qu’on pouvait l’imaginer, le 7 août, les autorités pakistanaises tournent le dos à leurs divers tourments intérieurs (exposition permanente au péril terroriste, gouvernance médiocre, crise économique et énergétique, etc.) pour recentrer leur courroux sur l’initiative du gouvernement indien intervenue l’avant-veille (lundi 5 août), laquelle révoquait le statut administratif ad hoc appliqué jusqu’alors à l’État indien du Jammu et Cachemire (J&K ; sous souveraineté indienne), le seul de l’Union à compter une population majoritairement musulmane.

Pour donner matière à cette critique transversale et satisfaire une opinion publique remontée contre la politique cachemirie du Premier ministre indien Narendra Modi, le gouvernement pakistanais annonça en des termes univoques une batterie de mesures censée sanctionner cette initiative : l’ambassadeur indien en poste à Islamabad est prié de regagner New Delhi, l’affectation de son homologue pakistanais dans la capitale indienne est ajournée, l’ensemble des accords bilatéraux sera réexaminé. Enfin, au niveau diplomatique toujours, l’ONU sera saisie pour juger de la légalité de cette révocation décriée.

Au niveau commercial, Islamabad décide de suspendre les (maigres) échanges économiques[3] entre les deux pays et, d’un point de vue plus logistique, annonce la fermeture partielle de son espace aérien aux appareils indiens. 

À ce tir de barrage ourdi depuis les cercles (civil et militaire) du pouvoir pakistanais, les autorités indiennes répondent de leur côté que l’objet de ce courroux extérieur est une question strictement d’ordre domestique, intérieure, échappant par définition aux prérogatives et regard du voisin pakistanais ; et New Delhi de regretter en conséquence la réaction très (trop) vive d’Islamabad, invitant cette dernière à revenir au plus vite à de meilleures intentions ; au profit de la fragile stabilité régionale et du futur des rapports Inde-Pakistan.

Jeudi 8 août, le Premier ministre indien Narendra Modi s’est exprimé à la télévision et à la radio sur le sujet, présentant à son 1,3 milliard d’administrés les contours et bénéfices attendus de son initiative : ‘’La révocation de l’article 370 est le début d’une nouvelle ère[4] (pour le Cachemire et ses résidents) (…). Beaucoup de développements (économique ; infrastructures ; transports) vont suivre. La jeunesse cachemirie doit s’impliquer dans le développement de sa terre. Tous les Cachemiris pourront jouir de leurs droits (…)’’. Lors de cette intervention fort attendue, le chef de gouvernement indien a également précisé que le Jammu et Cachemire, d’un point de vue administratif, ne demeurerait pas ad vitam aeternam un Union Territory[5] (territoire de l’Union), et qu’il recouvrerait son statut d’État une fois la situation revenue à la normale ; et de confirmer enfin à son auditoire national que la population du J & K pourrait à terme à nouveau se rendre aux urnes pour désigner ses représentants, comme par le passé.

Préoccupée par ce énième soubresaut impliquant deux nations nucléaires voisines au passé tumultueux, la communauté internationale prie l’Inde et le Pakistan de se garder de tout excès, de tout débordement inconsidéré, de tourner le dos à la tension récurrente pour se centrer davantage sur une cohabitation-coopération régionale plus porteuse de dividendes. Dans le contexte de crispation bilatérale du moment, on ne peut naturellement que souhaiter à cette dernière d’être entendue.

Présicions supplémentaires

[1] Le 14 février 2019, un attentat-suicide du groupe terroriste pakistanais Jaish-e-Mohammed (JeM) vise un convoi militaire indien au J & K (district de Pulwama) et fait une quarantaine de victimes dans les rangs des forces de sécurité. Le 26 février, une douzaine de Mirage 2000 de l’Indian Air Force franchit la Line of Control (frontière indo-pakistanaise) et bombarde un camp du JeM à Balakot (Pakistan). Le lendemain, l’armée de l’air pakistanaise mène à son tour une opération au Jammu et Cachemire indien.

[2] Le 5 août, pour la 4e fois en deux semaines, la Corée du Nord procède à deux nouveaux tirs de missiles balistiques (à courte portée).

[3] 2,1 milliards d’euros en 2017-2018 ; soit 0,3 % du total du commerce indien.

[4] ‘’Modi Defends Revoking Kashmir’s Statehood as Protests Flare’’, The New York Times, 8 août 2019.

[5] En Inde, un territoire de l'Union – on en compte sept, dont Pondicherry - est une entité administrative qui, à la différence des 29 États composant l’Union fédérale disposant de leur propre gouvernement, est directement administrée par le gouvernement central.

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