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Passer entre les mailles du filet de la collaboration ou le quotidien du Résistant
©Maison d'édition Mareuil

Bonnes feuilles

La maison d'édition "Mareuil" publie Moi, Oscar Ziegler, dernier compagnon de la Libération, d'Henri Weill. Extrait 1/2

J’avais rendez-vous au carrefour de deux routes peu fréquentées situées à proximité de l’hôtel, que j’avais rejoint discrètement en fin de nuit, et donc après la fin du couvre-feu. Depuis 6 h 30, Édouard m’attendait pour me faire entrer. Je dormis une heure trente, me réveillai comme un client normal et remontai dans ma chambre. À 11 h 30, j’attendais Arrosoir. J’étais content du résultat de la mission. Londres aurait été averti par radio. Je pensais à Serge, qui aurait été fier de son Oscar quand il aurait appris le résultat de cette mission dont j’aurais fini par lui parler. À quelques mètres de moi, dans la plaine, je vis un coucou se jeter sur une proie. J’avais beau vivre en ville, je m’intéressais depuis tout jeune aux oiseaux nicheurs. Un voisin de ma grand-mère m’avait initié à reconnaître les différentes espèces lorsque j’avais six ou sept ans, ce qui m’avait beaucoup plu. Chaque fois que nous nous voyions, ce voisin m’interrogeait sur les différentes catégories, les espèces, les régions ou pays où ils se reproduisaient… Depuis, je faisais les gros yeux dès qu’on parlait de chasse.

— Vos papiers ! demanda l’un des deux gendarmes à vélo qui venaient d’arriver à ma hauteur.

— Bien sûr, répondis-je avec le sourire.

Je présentai une carte d’identité.

— Oscar Crémieux…

— Oui c’est cela, confirmai-je, détendu.

— Né le…

— 17 octobre 1920 à Rouen, dans la Seine inférieure.

Nous avions choisi cette ville qui avait été bombardée par les Anglais, il y a quelques semaines, sachant que la mairie avait été particulièrement touchée.

— Et domicilié 14 rue Saint-Sever, à Rouen.

— Profession : voyageur de commerce ?

— Oui, depuis deux ans.

— Depuis quand êtes-vous ici ?

— Deux jours.

— Que faites-vous ?

— Je suis venu voir des producteurs de fromage.

— Qui avez-vous vu ?

— Messieurs Renard, Balthazar et Grenier.

— Où logez-vous ?

— À l’hôtel du Chêne, à Neuilly-l’Évêque.

— Où étiez-vous cette nuit ?

— Dans mon lit.

— Nous vérifierons.

— Que se passe-t-il ? demandai-je, l’air le plus ahuri possible.

— Vous n’avez pas entendu l’explosion, cette nuit ?

— Elle m’a réveillé, j’ai pensé qu’il s’était passé quelque chose et, ce matin, à l’hôtel, on m’a dit qu’il y avait eu une très forte explosion à Langres.

— Tu parles, sembla se réjouir le deuxième gendarme, qui n’avait pas encore pris la parole.

— La poudrerie a explosé, reprit son collège qui m’avait interrogé. La Résistance. Les Allemands sont très nerveux.

— Je comprends, fis-je mine de découvrir.

— Alors on nous a chargés de retrouver les terroristes.

— Qu’attendez-vous ici ? me demanda l’interrogateur.

Je lui servis mon histoire d’oiseaux.

— Nous passerons vérifier votre présence. Je garde vos papiers. Si tout est en règle, nous les laisserons à l’hôtel.

— Mais… et si je me fais arrêter par les Allemands ?

— Bonne chance, dit le gendarme, que je ne sentais pas totalement convaincu par mon histoire.

Cinq minutes plus tard, Arrosoir me rejoignait.

— J’étais dans ce bosquet. Vous êtes arrivé, j’ai attendu et bien m’en a pris, car j’ai ensuite vu les gendarmes.

Je lui racontai une scène qu’il avait devinée.

— Ne traînons pas. L’opération est parfaitement réussie, ce qui a mis les Fritz en transe, ainsi que leurs amis de la Milice. Vous allez rester ici jusqu’à demain matin. Puis vous partirez à Avallon. Vous prendrez place à bord d’un camion du Secours national, donc personne ne devrait vous contrôler. Ensuite, nous allons organiser votre opération retour.

Arrosoir me donna le lieu du rendez-vous où, à 9 heures, j’embarquerai avec ce chauffeur qui jouait double-jeu. J’allai à l’hôtel où je voulais déjeuner. Et récupérer mes papiers. L’hôtel du Chêne était toujours aussi calme. J’entrai, saluai la femme d’Édouard et mangeai frugalement. J’allai ensuite visiter un peu les alentours. Je m’accordai une heure de trêve.

Au cours de cette promenade, un tressaillement crispa mon poignet droit. Je n’y vis rien d’inquiétant. Je rentrai par la porte arrière de l’hôtel. L’ayant franchie, j’entendis un souffle derrière moi. Avant que j’aie eu le temps de me retourner, le canon d’une arme prit appui sur ma tempe gauche.

— Mains en l’air !

J’obtempérai, d’autant que je n’étais pas armé, ayant confié mon révolver à Édouard qui l’avait soigneusement dissimulé dans une dépendance.

Deux mains se mirent à me fouiller. Il y avait donc deux personnes derrière moi. Une troisième apparut.

— Quelle surprise… dit l’homme.

Et effectivement, c’en était une. Quoique…

Le milicien du café se tenait face à moi. C’était un autre homme. Avec, cette fois-ci, la tête de l’emploi et un ton impératif.

— On parle beaucoup de vous à Langres, aujourd’hui. Vous n’avez pas convaincu le maréchal des logis qui vous a contrôlé.

Vraiment pas. Alors nous allons voir cela, monsieur le voyageur de commerce. Nous allons passer la fin de l’après-midi ensemble, et peut-être plus.

Et il ajouta, hargneux et cynique :

— Quand on aime, on ne compte pas !

Ils m’amenèrent dans une maison à deux étages, un peu avant Langres. Les vitres étaient intactes. Mon attention se porta sur des fenêtres arquées très britanniques, inattendues dans cette région. En d’autres circonstances, le contraste m’aurait distrait.

Je fus enfermé dans une pièce vide. Propice à la méditation. Je m’efforçai de ne pas être inquiet, mais j’envisageai la suite de l’histoire. Le bon côté, c’est que j’allais me tester. Voir si j’étais capable de résister.

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