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Règlementation anti-crise : et si les banques avaient raison de vouloir ralentir la mise en place de Bâle III ?
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Règles prudentielles

Depuis le début du mois de juillet, un vaste mouvement de banques européennes semble avoir lieu pour ralentir la traduction dans le droit européen des accords de Bâle III.

Christian de Boissieu

Christian de Boissieu

Christian de Boissieu est économiste, spécialiste des questions monétaires et bancaires. Il est membre du conseil du collège de l'AMF (Autorité des marchés financiers) depuis mai 2011 et ancien régulateur bancaire.

Professeur à l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne, il a été président du Conseil d'analyse économique de 2003 à 2012.

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Atlantico : Depuis le mois de juillet dernier, les banques semblent chercher à ralentir la traduction dans le droit européen des accords de Bâle III. Quelles sont les étapes de ce mouvement ? Quelles sont les justifications des banques européennes ?

Christian de Boissieu : Avant de critiquer tel ou tel terme de réglementation mis en place, il faut préciser que vu l'importance de la crise mondiale qui a commencé en 2007-2008 et vu le rôle des banques dans ces crises, il était tout à fait logique et nécessaire de resserrer les boulons réglementaires, c'est-à-dire de passer à Bâle III. Le dispositif d'avant Bâle II aura finalement une existence limitée dans le temps, du fait de la crise de 2008. A la différence des films où les suites sont souvent moins bonnes que les premiers, en matière de réglementation bancaire, le passage de Bâle I à Bâle II puis à Bâle III, c'était avec l'idée d'améliorer le dispositif général. Il ne s'agit pas de considérer que moins il y a de réglementation mieux on se porte. Voici le contexte dans lequel les banques se plaignent aujourd'hui des règles qu'elles trouvent trop contraignantes.

Un deuxième aspect concerne la zone euro et notamment les structures de financement. Aux Etats-Unis, deux tiers des financements de l'économie passent par les marchés et un tiers par les banques. Dans la zone euro, c'est l'inverse en moyenne (sans compter le Royaume-Uni donc) : deux tiers des financements passent par les banques et un tiers par les marchés. Cela veut dire que, même à supposer que l'on applique aux Etats-Unis et en Europe les mêmes réglementations, à l'arrivée l'effet est différent parce qu'en Europe, dès qu'on durcit les réglementations bancaires, cela pèse par définition sur les banques qui jouent un rôle beaucoup plus important dans le financement de nos économies européennes qu'aux Etats-Unis. La même réglementation a des effets différents parce que la structure financière est différente. En Europe, il faut vraiment favoriser l'essor des marchés financiers.

Quand les banques disent que les réglementations bancaires prudentielles pèsent sur leur rentabilité, on devrait leur répondre ceci. Aujourd'hui, il y a plusieurs facteurs qui pèsent sur la rentabilité des banques : la persistance de taux d'intérêt bas (proches de zéro voire négatif) par exemple. C'est une première différence avec les Américains parce que la Fed a déjà commencé à relever ses taux d'intérêt. La zone euro est en retard de deux ou trois ans : le cycle de la politique monétaire est décalé dans la zone euro, parce que le cycle économique est décalé. Il n'est pas question que la BCE en 2019 et 2020 remonte son taux directeur et Mario Draghi l'a répété à plusieurs reprises. Les taux bas pèsent plus sur la rentabilité des banques dans la zone euro qu'aux Etats-Unis, compte tenu du décalage entre les politiques monétaires. Un deuxième facteur pèse sur la rentabilité bancaire et qui est commun à toutes les banques à travers le monde : la concurrence exercée par les "fintech", plateformes de nouvelles technologies qui proposent les mêmes services à des coûts plus faibles que les banques.

Aujourd'hui, un certain nombre de banquiers européens donnent l'impression de vouloir revoir le compromis de décembre 2017. Bâle III est un dispositif qui a été conçu tout de suite après 2007 et en Europe, on a demandé aux banques d'appliquer une grande partie du dispositif Bâle III depuis 2013. Entre 2016 et 2017, il y a eu un grand débat européo-américain sur les accords Bâle III qui a débouché sur le compromis de décembre 2017 (qu'on a failli appeler Bâle IV) : le "nouveau Bâle III". A cette époque, les Américains reprochaient aux banques européennes "d'abuser" des modèles internes pour évaluer leur risque et déterminer le montant des fonds propres à mettre en face des risques. Ils estimaient que les banques européennes se donnaient un avantage comparatif puisqu'elles sous-estimaient le risque et leur besoin en fonds propres par rapport aux banques américaines. Les banques européennes, en face, reprochaient et leur reprochent encore aujourd'hui d'appliquer le dispositif Bâle III de manière partielle. L'Europe fait figure de trop bon élève de la classe, avec un peu de naïveté : en matière réglementaire, les banques européennes ont totalement transposé le dispositif Bâle III, contrairement aux Américains. Sur les cinq mille banques américains, trente appliquent Bâle III ; en Europe, toutes les banques l'appliquent. On peut donc comprendre que certaines banques européennes se plaignent aujourd'hui dans la mesure où elles jouent le jeu de la coopération internationale tandis que les Etats-Unis appliquent Bâle III à leurs trente grandes banques de New-York (qui représente certes 70% du marché).

Pour revenir sur le compromis de décembre 2017, il précise que les banques ne pourront pas aller trop loin dans la réduction de leurs besoins en fonds propres grâce au modèle interne. On fixe donc une valeur minimale pour les fonds propres des banques en-dessous desquelles elles n'ont pas le droit de tomber, même si elles utilisent des modèles internes. On a mis un an et demi voire deux ans à négocier ce compromis : il serait donc dangereux d'ouvrir à nouveau le débat là-dessus. Les Américains bloqueront probablement le débat, Trump n'est pas d'humeur à faire de nouvelles concessions dans le domaine bancaire en particulier. Dans un contexte où l'on n'a pas de commission européenne, ouvrir le débat paraît défavorable. Il faut maintenant faire avec ce compromis.

Les règles prudentielles issues de Bâle III nécessaires après la crise de 2008 ont-elles aussi eu des effets secondaires négatifs sur l'économie réelle ?

Le dispositif Bâle III, qui était certes nécessaire, même s'il a amélioré les choses sur beaucoup de points par rapport à Bâle II, n'était évidemment pas parfait et il faudra à l'avenir corriger un certain nombre de défauts. Ce genre de réglementations bancaires imposent aux banques d'avoir suffisamment de fonds propres, d'être suffisamment capitalisées, pour faire face à leurs risques et de respecter, non seulement des ratios de solvabilité, mais aussi des ratios de liquidité. En bref, on demande aux banques de pouvoir faire face à des retraits massifs de dépôts qui pourraient être soudains et inattendus : si jamais une panique bancaire survient, les banques de Bâle III doivent être capables d'y répondre. Si une banque ne peut faire face à des retraits de liquidité de la part des déposants, elle est mise en faillite. Bâle III a fixé des règles spéciales pour les banques systémiques (TBTF) afin qu'elles aient encore plus de fonds propres que les autres.

La réglementation bancaire et financière doit, de manière générale, avoir deux objectifs principaux : éviter les crises (en particulier bancaires), donc améliorer la stabilité financière, d'une part ; faire en sorte qu'elles soient compatibles avec le financement adéquat de l'économie réelle, d'autre part. Autrement dit, la finance doit être un moyen au service de la croissance, de l'investissement et de l'emploi. Quand la finance devient un objectif pour elle-même, cela devient dangereux. Le financement de l'économie n'est donc pas un problème secondaire. La question qui se pose est de savoir si Bâle III aujourd'hui satisfait correctement ce double objectif. S'il fallait faire un bilan de Bâle III, y compris à la lumière de la réforme de décembre 2017, il faudrait reconnaître que les banques sont plus sûres qu'avant (le premier objectif est globalement atteint) mais en négligeant par trop le second objectif. Le dispositif Bâle III a des effets aujourd'hui négatifs sur le financement de l'économie réelle. Quand on regarde les effets de Bâle III sur les financements bancaires, on peut facilement montrer que le dispositif Bâle III, pour respecter les ratios de liquidité, les banques ont dû et devront encore accorder moins de financement à long terme, puisqu'elles sont moins liquides. Or, l'économie réelle a besoin de financements à long terme (financer les énergies renouvelables, les infrastructures etc.)

Est-on allé trop loin dans le durcissement des réglementations bancaires ? C'est un problème de calibrage optimal des règles. Bâle III n'a pas été totalement bien calibré par rapport à l'équilibre des deux objectifs évoqués plus haut. C'est pourquoi il y a deux mesures fondamentales à mener en Europe. On a besoin premièrement d'une évaluation indépendante des conséquences de Bâle III pour l'économie réelle, une évaluation qui ne soit pas faite par les banques, ni par les régulateurs. Il faut trouver en Europe des équipes indépendantes qui puissent mener sur plusieurs mois un travail afin d'étudier les conséquences effectives de Bâle III. Deuxièmement, il faut engager le chantier de l'union des marchés de capitaux. Ce projet a été lancé en 2015, un an avant le référendum pour le Brexit : le problème actuel c'est qu'il faut faire l'union des marchés de capitaux à 27 pays, sans Londres et probablement contre Londres. Dans tous les cas, il faut accélérer la mise en place de ce marché afin d'intégrer davantage les marchés financiers : cela rééquilibrera le financement entre ce qui passe par les banques et ce qui passe par les marchés.

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