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Quand Donald Trump désigne la FED comme ennemi intérieur, il en fait le bouc-émissaire en cas d’échec politique
©Andrew CABALLERO-REYNOLDS / AFP

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La FED n’a donc pas suivi les injonctions de Trump qui voulait une baisse violente des taux d’intérêt d’au moins 0,5 point. Elle cède néanmoins et comme prévu sur un infléchissement moitié moindre, de 0,25 point pour éviter un choc sur les marchés et stimuler la croissance. Le dialogue de sourds va donc continuer, mais ça arrange tout le monde.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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« Si vous m’avez compris, c’est sans doute que je me suis mal exprimé. » l’ancien patron emblématique de la FED, Alan Greenspan, était passé maitre pour gérer l‘indépendance de la banque centrale vis à vis des marchés. Personne d’autre que lui ne savait aussi bien dire les choses sans jamais les dire vraiment, ne pas les dire, tout en les disant... Jérôme Powell a appris la langue et face aux brutalités de Donald Trump, il ne s’en sort pas si mal pour faire comprendre au Président qu’il écoute ses injonctions mais que les gouverneurs de la FED ne les entendent pas forcément. 

Si on n’a pas compris que le dialogue entre le président des États-Unis et le président de la Banque centrale relève d’un jeu de rôle et de posture, c’est qu’on ne veut pas admettre que la démocratie est un exercice permanent dans l'art du compromis. Il faut vite relire Machiavel.  

Donald Trump, président des États-Unis, est entré en campagne pour un second mandat. Il s’inquiète d’un essoufflement de la situation économique qui lui ferait perdre les voix d’une partie de l‘Amérique profonde à qui il avait promis de restaurer la puissance industrielle en rapatriant une partie des capacités de productions délocalisées... ce qui demanderait du temps s’il y parvenait, ce qui n’est pas forcément gagné. 

L’Amérique profonde sait aussi tout ce qu‘elle a gagné grâce à la liberté des échanges mondiaux. L’électeur de Trump préférerait qu'on puisse fabriquer son automobile dans une usine américaine, mais il veut aussi continuer de pouvoir l’acheter au prix mexicain ou chinois.

Dans un premier temps, Donald Trump a offert aux Américains un choc fiscal sans précédent qui a d’abord profité aux milieux financiers et à l’industrie digitale, mais qui a accru pour tout le monde l’effet richesse. Quand la valeur des actifs financiers s’accroit, les riches s’enrichissent, mais les pauvres ont le sentiment d’être mieux protégés parce que les systèmes de retraite et d’assurance sociale sont indexés sur Wall Street. Ils peuvent aussi s’endetter plus facilement puisque la dette est garantie sur la valeur de l’actif qu’elle finance, plus que par le revenu de l’emprunteur. 

Pour gagner son deuxième mandat, Donald Trump rêverait d’un choc boursier suivi d’un choc de croissance. D’où son dialogue musclé avec la FED pour qu’elle lâche les taux d’intérêt d’un demi-point ce qui aurait été énorme. Donald Trump devra donc se contenter et accepter une baisse moitié moins que celle qu'il demandait : 0,25%, ce qui est déjà tout à fait nouveau. Trump sera déçu. Mais en critiquant aussi fort la banque centrale, il savait très bien qu’il la désignait comme responsable de ses déboires politiques au cas où il rencontrerait des difficultés à l’approche des élections. Donald Trump a toujours su designer des bouc-émissaires. Il a ciblé la Chine, le Canada, le Mexique, l‘Union européenne. Le voilà qui désigne la Réserve fédérale comme l’ennemi de l’intérieur.

Du côté de la FED, le Conseil des gouverneurs sous la houlette de Jérôme Powell, a multiplié les signes d’assouplissement, mais il n'a jamais été question de casser la baraque. La quasi –totalité des économistes s’attendait à un infléchissement, qui marque quand même un retournement de tendance, mais pas question de vider toutes les cartouches. Et surtout de gaspiller ses moyens. 

Commençons donc par "un quart de point ... !" Le taux d’intérêt, c’est l’arme ultime en cas de crise que la banque centrale utilise pour éviter l’effondrement. 

Or, l’économie américaine n’est pas mourante : malgré un ralentissement au deuxième trimestre, le rythme de croissance reste à 2,1% annuel. Le moral des ménages n’a jamais été aussi haut et la consommation a encore progressé au 2e trimètre (+4,3%). Dernier point, le chômage reste à son plus bas niveau depuis 50 ans à 3,6%.

Ce qui est qui très troublant dans l’analyse de la situation américaine, et qui alimente le dialogue un peu vif à Washington entre la Maison Blanche et la FED, c’est que malgré les bons indicateurs, l’inflation reste loin des objectifs (2%). Or, un peu d’inflation viendrait enrichir le carburant de la croissance. Les gouverneurs sont donc très attentifs d’autant qu'à la pression politique s’ajoute la pression des marchés et les marchés sont alimentés depuis de longues années par la générosité monétaire. 

La FED et Donald Trump sont d’accord sur un point qu’ils ne reconnaitront jamais publiquement : ils savent très bien que si les marchés se retournaient, le moral de l’Amérique tomberait immédiatement et ça, Trump ne peut pas l’envisager. Mais plus grave, un retournement de Wall Street et du Nasdaq plomberait tout de suite les anticipations de l’économie réelle, puisque ces anticipations sont soutenues par la valeur des actifs. 

Le président des Etats-Unis et le président de la FED se tiennent donc par la barbichette en dépit de leurs discussions contradictoires qui relèvent donc de la posture politique plus que de la contrainte technique ou juridique. 

Le président doit réclamer une baisse des taux, parce que ses électeurs ont envie que leur président défende une politique très volontariste. 

Le président de la Réserve fédérale doit garder sous le pied une marge de manœuvre pour répondre à une crise financière qui provoquerait un blocage de l’économie réelle (production, consommation, emploi). Il a donc besoin de pouvoir baisser les taux comme en 2008. D’autant qu‘aujourd‘hui, les marges d’intervention non conventionnelles sont très entamées. Le développement massif des crédits, crédits étudiant, crédits automobile et crédits immobilier ont obligé la banque centrale à racheter des dettes, massivement et ces dettes ne sont pas forcément de très bonne qualité. Le quantitative easing pratiqué avec beaucoup de générosité a donc atteint ses limites. 

Jérôme Powell expliquait récemment qu’il est comme les marins d’autrefois, il est souvent obligé de « naviguer avec les étoiles et les étoiles sont plus lointaines qu’on ne le pense ». L’horizon de Donald Trump est beaucoup plus rapproché, et il a pris la méchante habitude de naviguer avec des tweets. L’un travaille sur le long terme, l'autre sur le très court terme. Mais ils ont évidemment besoin l’un de l’autre.

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