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Ces raisons pour lesquelles le marché de l’immobilier n’est pas vraiment favorable à ceux qui veulent se loger malgré des taux d’intérêt historiquement bas
©PASCAL PAVANI / AFP

Pas si simple

En juin, les taux nominaux moyens des crédits immobiliers ont encore atteint des niveaux historiquement bas. Ces annonces qui pourraient laisser penser que l'accès à la propriété va être plus simple pour les ménages modestes. Mais la réalité est plus complexe.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Henry Buzy-Cazaux

Henry Buzy-Cazaux

Henry Buzy-Cazaux est le président de l'Institut du Management des Services Immobiliers.

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Atlantico : En juin, les taux nominaux moyens des crédits immobiliers ont encore atteint des niveaux historiquement bas, et les taux réels sont à présent négatifs. Ces annonces pourraient laisser penser que l'accès à la propriété va être plus simple pour les ménages modestes, ne cache-t-il pas cependant une réalité historique un peu différente, c'est à dire le fait que les taux réels ont toujours été assez bas à cause d'une inflation parfois élevée ?

Philippe Crevel : Les taux d’intérêt sont à des niveaux historiquement bas. D'après les chiffres publiés par Crédit Logement / CSA, au mois de juin, le taux moyen accordé par les banques, toutes durées confondues, est descendu à 1,25 %. Pour des prêts à 10 ans, le taux moyen est d’environ de 0,77 %. Le pouvoir d’achat immobilier des Français n’aurait jamais été aussi élevé depuis 2002, selon la Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim). Evidemment, la situation peut différer d’une agglomération à une autre. Dans certaines villes, les prix sont orientés à la baisse comme à Mulhouse quand dans d’autres, depuis une génération, ils sont en hausse. A Paris, ils ont ainsi doublé depuis le début du siècle.

Par rapport aux années 60 à 80, est-ce que la situation est aussi favorable que cela ? L’inflation de ces années d’après-guerre érodait le coût du remboursement. Le capital à rembourser perdait chaque année de 7 à 13 % de sa valeur réelle quand les salaires suivaient, voire anticipaient la hausse des prix. La dépréciation du capital faisait plus que compenser le niveau élevé des taux qui pouvaient atteindre plus de 12 points. Les taux d’intérêt réels étaient négatifs de plusieurs points quand aujourd’hui ils sont nuls à faiblement négatifs. Ainsi, avec une inflation de 1,2 %, le taux d’intérêt réel pour un emprunt immobilier est de -0,4 point.

Entre les années 70 et maintenant, l’accès au crédit s’est, par ailleurs durci. Les banques, du fait du rétrécissement de leurs marges en relation avec les faibles taux ainsi qu’en raison des normes prudentielles en cours, entendent réduire leur exposition aux risques. Elles vérifient avec plus d’attention qu’auparavant la solvabilité de leur client. La moindre progression des salaires et la plus forte instabilité professionnelle sont autant de freins pour l’accès à l’emprunt. Avec les difficultés d’une partie de la population pour s’insérer professionnellement, l’achat d’un bien immobilier intervient de plus en plus tard. En moyenne, le premier achat est effectué à 33 ans, le temps de stabiliser sa situation et de se constituer un apport.

Henri Buzy-Cazaux : Il faut remonter aux années 40 pour trouver des taux d’intérêt aussi bas. Il est clair que cette nouvelle baisse, qui pourrait en outre être suivie d’autres au cours de l’été, constitue une heureuse nouvelle pour les ménages désireux d’acheter un logement, pour l’habiter comme pour investir. Pour ceux qui veulent devenir propriétaires en zones tendue, dans les grandes métropoles du pays, c’est surtout le moyen d’acquérir malgré la cherté tendancielle des prix. En somme, tout se passe comme si ces taux faisaient office de calmant de la douleur. Il faut ajouter que pour avoir cette efficacité, les crédits doivent se doubler de durées longues: 20 ans est devenu la moyenne, avec des formules désormais courantes dans les banques de prêts à 25 et 30 ans, particulièrement pour les emprunteurs les plus jeunes, âgés de 20 à 35 ans. Enfin, les prêteurs ont des exigences moindres d’apport personnel, et prêtent volontiers à 90 et 100% du montant de l’opération. 

Pourtant, l’enthousiasme attaché à ces taux ne doit pas faire oublier la réalité du marché immobilier. Dans les grandes villes, les prix ont atteint des niveaux difficilement supportables. Ils obligent de toute façon les emprunteurs, malgré des conditions de crédit favorables, à se placer aux taux d’effort maximum.

Et puis comment nier que ces taux contribuent désormais à l’inflation des prix? Puisqu’ils permettent à des ménages qui ne le pourraient pas de continuer à accéder à la propriété, on voit mal pourquoi les vendeurs tempèreraient leurs prétentions. On est dans une situation qui semble à cet égard insoluble: à la fois on ne va pas souhaiter une remontée des taux importante, et il faudrait qu’elle le soit pour calmer le jeu des prix, et à la fois on sent bien que la hausse des valeurs est une pathologie de nos métropoles. 

De la même manière, est-ce qu'en termes de tendance de long terme, le taux d'effort est plus bas ? Les durées de prêt sont-elles moins importantes ? En somme : cette information n'est-elle pas un cache-misère ?

Philippe Crevel : Face à l’augmentation des prix de l’immobilier, la durée des prêts s’allonge. Les banques proposent désormais des prêts à 25 ou à 30 ans. Plus de 40 % des prêts immobiliers sont à 25 ans. Au deuxième trimestre de cette année, 53,3% des ménages de moins de 35 ans ont emprunté sur une durée de 25 ans et plus, alors qu'ils n'étaient que 20,4 % au deuxième trimestre 2014. La part des prêts de moins de 15 ans n'est plus que de 8,5 % de la production de crédits immobiliers. Au mois de juin, la durée moyenne est de 19 ans et trois mois, soit 15 mois de plus qu'à l'automne 2017 et 30 mois de plus que début 2014.

Les ménages empruntent en moyenne atteint 170 187 euros, en 2018. Ce montant progresse de 5 % par an depuis plusieurs années. Le taux d’effort, remboursement par rapport aux revenus est de son côté en hausse. Il atteint 30 %. Le coût d’achat doit prendre les droits de mutation ainsi que les impôts et charges liés à la propriété. De ce fait, des ménages peuvent rapidement être en difficulté quand survient, par exemple, des travaux (ravalement, toiture).

Henri Buzy-Cazaux : Les taux sont en effet bas alors que l’inflation l’est également, mais il faut reconnaitre qu’en conséquence les taux réels sont digestes, et non seulement les taux nominaux. En fait, tout part de la volonté farouche de la Banque Centrale Européenne de soutenir l’activité économique de la zone euro, qui contiendra durablement les taux directeurs à cette fin. Des taux très bas, c’est aussi l’expression de la foi dans l’avenir économique de l’Europe et de ses générations futures, confiance qui n’est pas infondée. 

La difficulté d'accès au logement est-elle davantage liée à une offre stagnante ?

Philippe Crevel : La France a un problème récurrent avec le logement. Déjà durant l’entre-deux-guerres, il y avait une crise du logement. Après-guerre, le Livret A a été affecté au financement du logement social. Il a fallu dans l’urgence régler le problème de bidonvilles en créant dans les années 60 des villes nouvelles et des cités devenues depuis des ghettos. Depuis trente ans, la population française s’urbanise à grande vitesse au sein des grandes métropoles, région parisienne, Toulouse, Lyon, Bordeaux, Nantes, Rennes. Par ailleurs, d’importantes migrations de l’Est et le Nord de la France vers l’Ouest et le Sud occasionnent des tensions sur le marché du logement. Un malthusianisme foncier favorise également la crise perpétuelle du logement en France. Entre propriétaires et écologistes, il y a un consensus, limiter la construction. Cette rareté du foncier a pour corollaire une dépense croissante de la part des pouvoirs publics, près de 40 milliards d’euros consacrés chaque année pour le logement (aides à la personne ou à la pierre). Malgré ce montant d’aides important, un record en Europe, la situation ne s’améliore guère. Aujourd’hui, il n’y a pas de consensus pour densifier réellement les logements, ce qui signifierait construire plus haut ou réaliser des villes nouvelles. Il est assez frappant de constater que le nombre de transactions augmentent et que dans le même temps les constructions nouvelles reculent et cela malgré un déficit de logement évalué à 500 000.

Henri Buzy-Cazaux : En théorie la baisse des taux aurait dû s’accompagner d’une baisse du taux d’effort des ménages emprunteurs. C’est le cas sur les marchés dont les prix des biens n’ont pas augmenté. Il n’en est rien sur les marchés tendus, pour une raison simple: les prix ont augmenté au fur et à mesure que les taux baissaient, et même au fur et à mesure que les conditions d’endettement s’améliorait -rallongement de la durée des prêts ou encore réduction de l’apport personnel-. Le jeu est à somme nulle. La situation s’est même plutôt dégradée: les taux bas créent une euphorie et les emprunteurs achètent le plus grand possible et avec la meilleure localisation possible. Dans les faits, des taux d’effort d’accédants de 40% ne sont pas rares, en intégrant toutes les dépenses liées à un emménagement. C’est au détriment de la consommation et de la croissance. Ce problème corollaire de la baisse des taux est insuffisamment souligné.

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