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Cette crise mondiale des déchets qui nous menace
©DAVID MCNEW / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Retour à l'envoyeur

La crise des déchets, que l'on observe depuis plusieurs mois en Asie du Sud-Est, est la continuité logique de la décision de la Chine, début 2018, de ne plus vouloir récupérer les déchets de l'Occident et ne plus être "la poubelle du monde".

Sophie Boisseau du Rocher

Sophie Boisseau du Rocher

Sophie Boisseau du Rocher est docteur en sciences politiques, chercheure associée au Centre asie IFRI. Elle travaille sur les questions politiques et géostratégiques en Asie du Sud-Est.

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Atlantico : L'Indonésie va renvoyer 49 conteneurs de déchets en Europe. Une décision qui survient seulement un mois après que le Canada ait décidé de rapatrier 69 conteneurs de ses propres déchets stockés aux Philippines. Concrètement comment en est-on arrivé à cette crise des déchets ?

Sophie Boisseau du Rocher : D'abord d'un point de vue global, nous sommes dans une économie de la surconsommation et cette dernière suppose une surprotection des produits. Ce qui engendre une exploitation massive des emballages qui conduit aujourd'hui à un non-sens économique et écologique.

Une des nombreuses conséquences de ce non-sens est bien la crise des déchets que l'on observe déjà depuis plusieurs mois en Asie du Sud-Est. Elle est aussi la continuité logique de la décision chinoise qui a eu lieu début 2018 qui a annoncé ne plus vouloir récupérer les déchets de l'Occident et ne plus être "la poubelle du monde".

Derrière cette décision, l'Asie du Sud-Est a hérité d'une partie de ces déchets occidentaux qui sont arrivés en masse. Les dirigeants de ces pays ont cru y voir une opportunité économique, mais ont vite été dépassés par l'ampleur des montagnes de déchets qui se déversaient chez eux. A leur tour aujourd'hui ils ne souhaitent plus être la "poubelle du monde".

Mais l'origine du problème des déchets est plus ancienne. Cela fait des années, lorsque vous vous promenez à Manille (la "Smokey Mountain") ou Jakarta que vous voyez ce problème des déchets. Nous avons envoyé des tonnes de déchets sans même se préoccuper de savoir si ces pays-là étaient en mesure de pouvoir les traiter.

Samedi 22 juin, une décision a été prise par les pays de l'Asean visant à réduire "significativement les débris marins" produits sur leur territoire. Faut-il voir en cette crise des déchets qui émerge une conséquence de cette décision ? A quel point sommes-nous là face à des décisions purement politique ?

Cette crise et cette grogne s'inscrivent aussi dans le cadre d'un retour du discours nationaliste et anti-occidental. Celui qui est à l'œuvre aujourd'hui est au même niveau que celui qui dominait à Bandung en 1955. Il est très souvent réactivé et certainement pas pour la dernière fois. Avec la présence de ces déchets et de ces conteneurs, ces pays considèrent qu'il y a une agression à leur égard qui n'est plus supportable.

L'autre chose dont il faut tenir compte est que le message n'est pas à seule destination de l'Occident. La Chine pourrait à son tour envoyer des déchets en Asie du Sud-Est et c'est donc un double avertissement qui est là délivré.

La décision de l'ASEAN est aussi motivée par un constat d'urgence. Il faut se rendre compte que ces pays sont aussi des systèmes écologiques qui ne supportent plus la pression (économique ou touristique) occidentale et chinoise in extenso. On se rappelle notamment de la fermeture emblématique de l'île de Boracai l'année dernière qui avait été qualifiée d'égout à ciel ouvert par le président Rodrigo Duterte.

Dans ce cadre, il y a une réelle hypocrisie de la part des pays occidentaux qui savent parfaitement que les normes et les pratiques de gouvernance en matière écologique sont déficientes dans ces pays-là, mais qui ne s'importunent pas des conséquences de leur envoi.

En revenant encore en arrière, on se souvient de la décision chinoise le premier janvier 2018 d'interdire l'importation de vingt-quatre catégories de déchets post-consommation solides (carton, textiles déchets)… Avec ce recul et la volonté asiatique de ne plus être la poubelle du monde, s'oriente-t-on vers une redistribution des rôles à l'international ?

C'est faire un développement un peu rapide. Il est évident que l'Asie du Sud-Est devient un pôle économique moins tributaire des flux commerciaux, industriels, technologiques "occidentaux" et il y a  là une possibilité de faire pression pour rééquilibrer les relations globales. Maintenant, il convient d'être très prudent. Les pays d'Asie du Sud-Est sont également pris en étaux par une pression chinoise colossale.

Face à ces deux pôles d'influence, ils n'ont pas encore fait leur choix. Et malgré l'importance du discours anti-occidental, ils savent également qu'ils ont encore besoin de l'Occident pour progresser. Enfin, nous sommes aujourd'hui dans une configuration internationale qui donne la parole aux plus forts. Le fait d'activer cette capacité de nuisance des pays d'Asie du Sud-Est est un geste politique qui a pour but d'obtenir un retour à la table des négociations.

Si réorganisation il doit y avoir elle se fera certainement dans nos pays, mis au pied du mur qui vont devoir entamer une réelle réflexion sur les manières de produire et de consommer.

Considérant qu'un rapport de la banque mondiale prévoit 70% de déchets en plus d'ici 30 ans (de 2 à 3.4 milliards de tonnes par an) et que, rien qu'en Afrique subsaharienne, les pays devront même faire face à un triplement de la masse des déchets (avec plus de 516 millions de tonnes contre 174 aujourd'hui),  s'achemine-t-on vers une crise mondiale des déchets ?

Nous pouvons le dire. Les déchets ne sont qu'un volet de la crise environnementale globale à l'instar de la pollution des océans par exemple. Il y a effectivement urgence à repenser un mode de développement, un mode de consommation et au fond, il est impératif de redonner du sens au développement économique. Les pays occidentaux ne doivent pas être les seuls à traiter de cette question. Ce n'est pas parce que les pays émergents sont moins avancés qu'ils n'ont pas le droit à la parole et c'est exactement ce qu'il se passe aujourd'hui avec cette décision conjointe de l'ASEAN et des pays d'Asie du Sud-Est pris individuellement. Aujourd'hui, ce sont ces pays qui sont confrontés au problème des déchets, mais, demain, ce seront les pays africains qui devront faire face aux mêmes défis selon les chiffres de la Banque mondiale.

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