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"Un gentleman à Moscou" d'Amor Towles : le régime soviétique comme vous ne l'avez sans doute jamais imaginé
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Atlanti-Culture

Voici un roman étonnant qui montre que même frappés par les oukazes du régime soviétique, certains seraient quand même arrivés à profiter de la vie.

Françoise Thibaut pour Culture-Tops

Françoise Thibaut pour Culture-Tops

Françoise Thibaut est chroniqueuse pour le site Culture-Tops.
 
Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).
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LIVRE 

Un gentleman à Moscou

d'Amor Towles

Ed. Fayard

573 pages

24 Euros.

RECOMMANDATION

      EXCELLENT

THEME

En Juin 1922 à Moscou, le Comte Alexandre Illich Rostov,  jugé comme -ci-devant- par le  Commissariat du Peuple, échappe au peloton d'exécution car, dans sa jeunesse,  il a écrit, selon le tribunal, un « poème pré-révolutionnaire ». Cette mansuétude inouïe s'accompagne d'une assignation à résidence à l'Hôtel Métropol,  face au Bolchoï. Il y restera 32 années, jusqu' en  1954.

Prisonnier, raisonnablement optimiste,  son Excellence fera de ce château d'If à la soviétique, un lieu d'aventures et de rencontres inestimables. Sa vie sera bouleversée par une fillette de 9 ans, laquelle ayant grandi, lui confiera sa propre fille avant de s'évaporer en Sibérie. Devenu chef de rang du meilleur restaurant de l'hôtel, où les huiles du pouvoir populaire font leurs agapes, il est l'incontournable ami des attachés d'ambassades, journalistes, chefs du Politburo, rencontre l'amour capricieusement romantique  d'une « beauté svelte », fraternise avec le chat borgne de l'hôtel, nommé Koutouzov. Tout cela, pour s'évanouir lui-même  au moment opportun, sous les pommiers de Nijni Novgorod.

POINTS  FORTS

La virtuosité du récit et de l'écriture (traduction admirable), la construction du  propos : un vrai régal, une sorte de Lego culturel, où se mélangent tradition de l'ancienne Russie, manies excentriques du nouveau pouvoir, lubies staliniennes, foucades anglo-saxonnes, disparitions tragiques et apparitions inespérées (les abeilles), culture et gastronomie française, amour du vin (le Montrachet en particulier), savoir mathématique, propension à la satisfaction de soi, souvenirs déchirants et espoirs délicats…

Bref, un tour de l'humanité tout entière dans un monde apparemment clos, mais riche de l'humour et la finesse de l'élégant Alexandre Illich.

Le récit est divisé en 6 Livres : le N°1 fournit, sans avoir l'air d'y toucher, toutes les clefs du N°6 et de l'Après Propos jubilatoire. Les personnages souvent truculents, les anecdotes hilarantes (les oies), rendent la lecture joyeuse.

POINTS  FAIBLES

Malgré son élégance dorée, le poids et la taille imposante du livre (mais bientôt un format poche salvateur). Pas facile à lire au lit, fatigue le poignet !  Les Américains adorent les gros livres : ils ont l'impression d'en être plus intelligents...

Quelques redondances et divagations pas indispensables, une surabondance de références culturelles, esthétiques et littéraires...Mais elles meublent aussi les temps morts de ces 32 années. On n'est pas obligé d'aimer. On sort du livre un peu ivre (après une centaine de vodkas) mais plutôt content.

EN DEUX MOTS

Une immersion dans les jardins de la sensibilité russe, ce mélange de désespérance du quotidien et d'ensoleillement de l'espoir, de l'attachement au passé et de la prise à bras le corps de l'avenir sensé être meilleur. Sous le couvert du délire romanesque, la critique affûtée des turpitudes et mensonges du pouvoir  reste omniprésente.

En lisant Towles, on est avec Tolstoï, Pouchkine, Richter, Soljenitsyne, Khrouchtchev, et aussi les héros drôlatiques de l'inénarrable La mort de Staline du cinéaste Armando Ianucci.  Avec lui, on tente d'échapper avec ironie et indulgence à ... "cet épouvantable bourbier des émotions humaines "...(p. 275)

La leçon de ce livre inclassable ?  Même dans le plus grand dénuement, on peut être parfaitement heureux, si l'on fait confiance à son intelligence et aux « belles choses » de la nature et de la vie. A vous de juger...

UN  EXTRAIT

Ou plutôt deux:

... » Lorsqu'il ouvrit les yeux, il faillit lâcher sa cuillère. Car debout près de sa table se trouvait la fillette ...laquelle l'observait avec cet intérêt sans fard qui est le propre des enfants et des chiens « ...(page 58)

... »Après tout, si l'attention se mesure en minutes et la discipline en heures, alors la ténacité doit se mesurer en années »...(page 142)

L'AUTEUR

Amor Towles, pur produit de la Nouvelle Angleterre, reste en fait très attaché à ses racines russes. Ce Gentleman, son second opus, fait écho aux  talentueuses Règles du jeu (2012) qui contait le New York sophistiqué et menteur des années 30 par la voix sans fard d'une belle émigrée russe. 

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