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Le porc chinois a la peste, l’élevage mondial tousse… et nos sandwichs vont coûter plus cher
©Reuters

Grippe porcine

Les porcs chinois sont malades. Voilà une information qui ne devrait pas couper l’appétit des consommateurs français, mais ils ont tort car dans notre monde hyper mondialisé, les conséquences en chaîne vont être considérables sur toute la planète agricole et alimentaire.

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier est ingénieur de l’école de Mines et économiste. Il a dirigé pendant dix ans l’Ecole supérieure d’agronomie d’Angers (ESA). Il est également l’auteur de livres sur les enjeux alimentaires :  Faim zéroManger tous et bien et Nourrir l’humanité. Aujourd’hui, il est conférencier et tient un blog nourrir-manger.fr.

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Les porcs chinois sont malades ! Voilà une information qui ne devrait pas couper l’appétit des consommateurs français. Et bien ils ont tort, car dans notre monde hyper mondialisé, les conséquences en chaîne vont être considérables sur toute la planète agricole et alimentaire ! Au final nos dépenses de nourriture pourraient bien augmenter en France.

Une peste mortelle et actuellement incurable

En effet, on ne parle pas d’une petite maladie ! La peste porcine tout d’abord, est apparue en Afrique ; tant qu’elle ne concernait que ce continent, les laboratoires n’ont pas vraiment chercher à trouver le moyen de l’éradiquer, car ils pressentaient que ce ne serait pas « rentable » ! A l’heure actuelle, il n’existe donc aucun vaccin et aucun médicament contre cette maladie qui tue la quasi-totalité des animaux infectés et se révèle hautement contagieuse. Lorsqu’un élevage est touché, il n’y a pas d’autre solution que d’abattre tout le troupeau et de prendre des mesures sanitaires très vigoureuses à des kilomètres à la ronde… tout en espérant qu’aucun sanglier ou phacochère sauvage ne sera passé entre temps par là pour approcher ensuite un autre élevage. Heureusement cette maladie n’est pas transmissible à l’homme (pour le moment ?). En 2006 elle débarque en Europe via la Géorgie, où on a nourri des porcs avec de la viande contaminée… On a alors transporté des animaux dans des camions qui n’étaient pas bien désinfectés, et voilà la voilà qui apparaît en Russie, en Pologne, dans les Pays baltes, et même en 2018 en Belgique ! On se met alors enfin à faire de la vraie recherche vétérinaire, mais il faudra probablement une dizaine d’années pour trouver une vraie solution, préventive ou curative.

La moitié de l’élevage mondial est maintenant concerné

… Et en attendant voilà la maladie qui arrive en Chine, justement, ironie du sort, en plein milieu de leur « année du cochon », censée pourtant porter bonheur ; là, tout change d’échelle. Il faut bien comprendre qu’il y a 970 millions de porcs dans le monde, dont 440 millions rien qu’en Chine, soit 46 % de l’élevage mondial. Pour bien comprendre ce chiffre, comparons avec la France, gros pays producteur et consommateur, où nous n’élevons « que » 12 millions de porcs, soit 36 fois moins que les chinois ! De plus les porcheries chinoises sont en général petites, familiales, et très dispersées, et la chasse au sanglier interdite, donc les mesures efficaces de confinement et de création de périmètres sanitaires sont quasiment impossibles. Les autorités avouent qu’ils ont trouvé des foyers dans 130 régions, mais la réalité est probablement au moins du triple ! Il ne reste donc que la solution de l’abattage massif, pour tenter de sauver ce qui peut encore l’être.

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Massif, vous avez dit massif ? On estime qu’ils ont déjà abattu une dizaine de millions d’animaux, et les prévisions pour cette année 2019 varient maintenant entre 20… et 200 millions de têtes à éliminer (soit entre 8 et 80 fois le cheptel français !). Encore faut-il qu’ils y arrivent, ainsi qu’à se débarrasser hygiéniquement des cadavres ; en tous les cas il leur faudra au bas mot trois à cinq ans pour sortir de cette crise. De plus la Chine n’est pas la seule concernée en Asie, puisqu’il y a déjà des contaminations et des abattages massifs au Vietnam, au Cambodge, en Mongolie et en Corée du nord ! Les conséquences en chaine ne vont épargner aucun pays de la planète.

Que vont manger les chinois ?

Les chinois sont devenus accros à la viande ! Dans les années 60, lorsqu’ils n’étaient « que » 700 millions, ils ne mangeaient en moyenne que 15 kilos de viande par an. Aujourd’hui ils sont près de 1,4 milliards et ils en consomment chacun 60 kilos (contre 85 kilos en France et 125 aux USA). Bref la Chine a multiplié par 8 sa consommation de viande et quelques décennies. Ils mangent de tout, en en particulier tout ce qui a des pattes (« sauf les tables » dit le dicton !). Par exemple du poulet (ils en élèvent 5 milliards chaque année, 30 fois plus que les français), ou du mouton (161 millions, 23 fois plus que les français), mais aussi du canard (723 millions, 31 fois plus que les français), du bœuf, de la chèvre, et même des insectes.

La première question à se poser est donc : si le porc est trop rare et cher, que vont-ils manger à la place ? Leurs choix vont, quel qu’ils soient, déstabiliser l’ensemble de l’élevage mondial car, à ce niveau, personne ne pourra vraiment augmenter rapidement sa production dans de telles quantités. Surtout que, s’agissant de ruminants, les problèmes de sécheresse s’aggravent avec le réchauffement de la planète et que la production de fourrages risque de ne pas suivre. Et donc, très probablement, la consommation chinoise de viande, qui ne cessait d’augmenter, va commencer à décroitre.

Mais une deuxième question arrive immédiatement : pour compenser, à qui vont-ils acheter sur la planète ? Et là on ne peut que constater que la guerre commerciale que se livrent maintenant la Chine et les USA risque de les empêcher d’acheter dans l’autre grand pays d’élevage mondial, même s’il se pourrait même que la pression des classes moyennes chinoises rende M. Xi Jinping plus conciliant avec les droits de douane qu’il a infligé sur les importations de viandes nord-américaines… En tous les cas la Chine a déjà, à court terme, augmenté de 70 % ses importations de poulet dans les derniers mois !

Qui peut donc augmenter ses exportations dans cette conjoncture ? Principalement l’Europe, le Brésil et l’Australie – Nouvelle Zélande. Cette crise est donc une excellente nouvelle pour les éleveurs de porcs et de poulets français (et de moutons néozélandais ou de poulets brésiliens). A condition toutefois qu’on continue efficacement à chasser les sangliers belges à leur arrivée en France pour empêcher à tout prix la peste porcine d’arriver dans l’hexagone. Heureusement pour nous, la majorité de nos cochons sont dans l’ouest, le plus loin possible du reste de l’Europe ! Nos élevages sont concentrés, et nous avons une bonne expérience des mesures sanitaires. Nous pouvons donc espérer rester en dehors de cette catastrophe.

Mais allons plus loin : 100 à 200 millions de cochons en moins sur la planète, c’est autant de nourriture d’économisée à court terme. Les marchés mondiaux du maïs, et surtout du soja, vont se trouver rapidement en surproduction. Pour la première fois depuis bien longtemps, les importations chinoises de soja ont déjà commencé à baisser. Même si, contrairement à la viande, on parle là de produits stockables sur plusieurs années, il va quand même falloir financer ces énormes stocks, ce qui va coûter très cher. Le Brésil et l’Argentine, dont l’économie dépend beaucoup de ces exportations, pourraient bien se trouver en grandes difficultés.

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« Immeubles à cochons » en Chine. Imaginons une épidémie mortelle dedans !

Nos sandwichs vont coûter plus cher

Il risque fort d’en résulter deux conséquences majeures. Le prix mondial du soja, et peut-être de certaines céréales pourrait bien plonger. Pourrait seulement car en la matière le niveau du commerce mondial est très sensible aux dérèglements climatiques dans l’une ou l’autre des rares zones de production excédentaires de la planète (Europe de l’Ouest, Russie-Ukraine, USA-Canada, Brésil-Argentine et Australie). Les céréaliers du monde entier pourraient bien le sentir passer.

Mais à l’inverse le prix de la viande devrait logiquement augmenter significativement. Les cours du porc européen sont déjà résolument partis à la hausse, en particulier en Bretagne, en Allemagne et en Espagne (de 20 à 30 %). Les éleveurs vont être contents, mais les entreprises de charcuterie vont inévitablement accuser le choc, et seront bien obligées d’augmenter leurs prix de vente.

Parions donc que le sandwich jambon-beurre, monument de la culture nationale va nous coûter plus cher à la fin de l’année… et peut-être même, par ricochet, le poulet, le magret, le gigot, le steak, voire la dinde de Noël ! Cela va probablement accélérer la baisse de consommation de viandes (et de laitages) amorcée résolument dans nos pays européens depuis quelques années. Les français ont baissé leur consommation annuelle de viande 100 à 85 kilos par personne depuis l’an 2000 et de 100 à 90 kilos pour le lait, et « tout le monde » s’y met pour nous y encourager : les amis des animaux, les amis de la Planète et les médecins et autres diététiciens. Mais au total ce ne serait finalement pas une mauvaise affaire globale, en particulier pour limiter le réchauffement climatique, même si cela nécessitera de très nombreux ajustements souvent douloureux pour les producteurs. A terme, moins de viande et de laits consommés en Europe, mais avec davantage de qualité, et à un prix permettant de mieux rémunérer tous les acteurs de la chaine. Comme cela s’est produit avec le vin dans les dernières décennies !

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