Tian’anmen : pourquoi trente ans après, l’homme seul face aux chars ne nous dit presque plus rien<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Tian’anmen : pourquoi trente ans après, l’homme seul face aux chars ne nous dit presque plus rien
©Anthony WALLACE / AFP

Belles illusions

La célébrité de la photographie prise pendant le massacre est symptomatique de l'esthétisation du monde et de la politique qui occulte la réalité moins belle à voir.

Yves Michaud

Yves Michaud

Yves Michaud est philosophe. Reconnu pour ses travaux sur la philosophie politique (il est spécialiste de Hume et de Locke) et sur l’art (il a signé de nombreux ouvrages d’esthétique et a dirigé l’École des beaux-arts), il donne des conférences dans le monde entier… quand il n’est pas à Ibiza. Depuis trente ans, il passe en effet plusieurs mois par an sur cette île où il a écrit la totalité de ses livres. Il est l'auteur de La violence, PUF, coll. Que sais-je. La 8ème édition mise à jour vient tout juste de sortir.

Voir la bio »

C’est le 3 juin 1989 que la révolution démocratique des étudiants et des travailleurs chinois à Pékin fut écrasée dans le sang par l’Armée dite du peuple.

Ce soulèvement pacifique anticipait les autres changements majeurs de l’année, notamment la chute du mur de Berlin et le début de la désagrégation du bloc soviétique – mais il fut, lui, tué dans l’oeuf par un pouvoir implacable.

Il anticipait aussi tous les soulèvements démocratiques des printemps arabes ou d’Amérique latine dont on sait où ils ont mené...

Qu’en reste-t-il ?

Pour nous autres démocrates installés confortablement dans la désorientation politique en nous demandant si Macron vaut mieux que Le Pen, Woerth ou Mélenchon, il reste l’image bouleversante de ce civil avec ses sacs à provision arrêtant à lui seul une colonne de blindés dont l’équipage du char de tête ne se résout pas à l’écraser.

On n’a jamais su qui était ce héros ni ce qu’il devint – le plus probable (à ne pas dire tant il nous faut des Robins des bois insaisissables), est qu’il fut aussitôt arrêté et exécuté, tout comme je suppose les soldats du char.

Cette image et, plus encore, la vidéo du face-à-face sont devenues des icônes de la dignité du courage individuel face à la violence – l’étoffe dont on fait les héros.

Peut-on s’en tenir là ?

Soyons lucides. Cette magnifique « image » fait partie de « l’avant-monde » de représentations qui nous dissimule agréablement la réalité en l’enrobant du sucre de l’esthétique.

Il y a aujourd’hui un « avant-monde » esthétique qui ne vaut pas mieux que les arrière-mondes de la métaphysique d’autrefois.

Nous avons vu et revu et re-revu la beauté du courage et nous en sommes toujours aussi émus.

Et après ?

La répression a fait son œuvre, en se perfectionnant. Pour près de 1,4 milliards de chinois, Tian’anmen n’aura jamais existé. Ce n’est même pas pour eux une icône. Le régime s’est modernisé, technologisé, durci, a continué sur la voie des succès économiques et se prépare à l’affrontement avec l’autre grand empire, l’empire américain.

L’esthétisation du monde et de la politique nous fait délicieusement frissonner et Banksy est notre nouveau Zorro. Pendant ce temps là la réalité de la force prévaut : elle a la beauté saisissante et si peu  vulgaire des visages de Trump, de Xi Jinping, de Maduro, d’Assad, de Diaz-Canel.

Pendant l’esthétisation, le business continue – y compris sous sa couverture de sucre.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !