Cette discrète détente entre le Qatar et l’Arabie saoudite<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Cette discrète détente entre le Qatar et l’Arabie saoudite
©FETHI BELAID / POOL / AFP

Avancée ?

Le Roi Salman a invité officiellement l’émir qatari Cheikh Tamim ben Hamad à assister au Conseil de Coopération du Golfe. Au menu des discussions, le rôle présumé de l'Iran dans les attaques de navires pétroliers et installations pétrolières saoudiens.

David Rigoulet-Roze

David Rigoulet-Roze

David Rigoulet-Roze est chercheur associé à l'IRIS et chercheur rattaché à l'Institut français d'analyse stratégique (IFAS) et rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques (L'Harmattan).

Voir la bio »

Atlantico : Le Roi Salman a invité officiellement l’émir qatari Cheikh Tamim ben Hamad à assister au Conseil de Coopération du Golfe. Au menu des discussions, le rôle présumé de l'Iran dans les attaques de navires pétroliers et installations pétrolières saoudiens. Cette invitation marque-t-elle une inflexion après deux ans de blocus dur de la part despays du Golfe vis-à-vis du Qatar. Doit-on y voir l’amorce d’une détente ?

David Rigoulet-Roze : Cette invitation officielle s’est faite par voie épistolaire. L’Emir du Qatar, Cheikh TamimBin Hamad al-Thani, a reçu une lettre du roi saoudien, Salman Bin Abdelaziz al-Saoud, dans laquelle il l’invite à assister au Sommet extraordinaire du Conseil de coopération des Etats Arabes du Golfe (CCEAG)[1] programmé à la Mecque pour le 30 mai prochain, soit dans le premier lieu saint de l’islam et, qui plus est, en plein mois sacré du Ramadan. La lettre a été remise au ministre qatari des Affaires étrangères, Cheikh Mohamed Bin Abderrahman al-Thani, lors d’une rencontre avec le Secrétaire général du Conseil de coopération des Etats Arabes du Golfe (CCEAG), Abdul Latif Bin Rashid Al-Zayani, le 26 mai dernier à Doha, selon l’agence de presse officielle qatarie (QNA). Ce n’est pas la première fois que le Qatar se retrouve invité à un sommet de « pays frères », en dépit de sa mise au ban de l’organisation dont il fait l’objet depuis le 5 juin 2017 de la part du quartette comprenant trois membres du CCEAG dont l’Arabie saoudite, le Bahreïn, les Emirats Arabes Unis auxquels se sont joints l’Egypte du président Sissi. Un an plus tard, l’émir du Qatar avait formellement été invité au 39ème sommet du Conseil de coopération des Etats Arabes du Golfe (CCEAG) le 9 décembre 2018 à Riyad, mais avait décliné l’invitation faite à titre personnel. Le 5 décembre, le roi Salman d’Arabie saoudite - qui avait demandé et obtenu que ledit sommet se tienne en Arabie saoudite alors qu’il devait initialement avoir lieu à Mascate en Oman - avait en effet adressé une invitation écrite à Cheikh Tamim Bin Hamad Al-Thani, mais l’émir du Qatar avait préféré envoyer pour le représenter le ministre d’Etat des Affaires étrangères, Sultan Ben Saad Al-Muraikhi, ce qui lui avait valu les critiques acerbes de Khalid Ben Ahmed Al-Khalifa, le ministre des Affaires étrangères du Bahreïn. « Le Qatar aurait dû accepter les demandes justes [des Etats lui imposant un blocus] et [l’émir aurait dû] participer au sommet », avait déclaré ce dernier. Pourtant un an auparavant, l’émir Tamim Bin Hamad Al-Thani avait, en revanche, fait le déplacement au précédent sommet du CCEAG du 5 décembre 2017 au Koweït, mais à l’époque c’est le roi d’Arabie saoudite qui avait boudé la réunion. Des chassé-croisés comme autant de contretemps.

Quant au 30ème sommet de la Ligue arabe[2] de Tunis, le 31 mars 2019, l’émir du Qatar, Cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani, avait quitté prématurément la capitale tunisienne juste après avoir assisté à la cérémonie, sans toutefois donner d’explication. En fait, l’émir du Qatar était sorti de la salle au moment où s’exprimait le secrétaire général de la Ligue, Ahmed Aboul Gheït, qui s’en était pris à la Turquie et à l’Iran, déplorant notamment que « les ingérences » de ces « voisins » aient « intensifié les crises » et « créé » de nouveaux « problèmes ».

La situation semble avoir quelque peu évolué sous la pression des événements récents dans la région. Alors que le 14ème sommet de l’OCI (Organisation de la coopération islamique) réunissant 57 pays musulmans[3]- parmi lesquels l’Iran mais dont l'absence de relations diplomatiques entre Riyad et Teheran rend quasiment impossible une participation à haut niveau ce qui explique qu'un simple représentant de l'Iran soit présent en lieu et place du ministre des Affaires étrangères Javad Zarif - était déjà programmé à La Mecque pour le 31 mai 2019, le roi saoudien a appelé le 25 mai dernier les dirigeants des Etats membres du CCEAG et des Etats de la Ligue arabe à la tenue de deux Sommets extraordinaires du Golfe et des pays arabes, afin d’examiner « les agressions et leurs répercussions sur la région ».Selon une source officielle saoudienne, cette invitation intervient pour faciliter la concertation et la coordination avec les « pays frères » du CCEAG et la Ligue arabe, en vue « de consolider la sécurité et la stabilité dans la région »,et ce suite aux sabotagesle 12 mai dernier contre les navires marchands au large de Fujaïrah dans les eaux territoriales des Emirats Arabes Unis et les frappes de drones armés menées le 14 mai suivant par les milices Houthis soutenus par l’Iran contre des stations de pompage saoudiennes, notant que ces agressions compromettent la paix et la sécurité régionales et internationales, ainsi que la stabilité du marché pétrolier.Le Sommet de La Mecque se tiendra d’ailleurs sous le slogan « Sommet de la Mecque : main dans la main vers l’avenir », dans sa session ordinaire, auquel assisteront les dirigeants des pays membres de l’Organisation de coopération islamique (OCI), afin d’adopter « une position unifiée sur les questions actuelles » dans le monde islamique, dont la lutte contre le terrorisme, la question palestinienne et l’islamophobie en Occident, selon un communiqué de l’organisation.

A travers l’annonce de ces trois sommets simultanés, auxquels se joindra finalement le Premier ministre qatari, Cheilh Abdallah Bin Nasser Al-Thani. le royaume saoudien manifeste son intention d’affirmer sin autorité sur l’ensemble du monde musulman à partir du monde arabo-musulman, d’obédience majoritairement sunnite, lequel stigmatise les supposées entreprises de déstabilisation qui seraient menées par l’Iran dans la région du Golfe et au-delà. Et le ministre des Affaires étrangères des Emirats Arabes Unis, Anwar Gargash de considérer : « La coordination et l’unité des rangs sont importantes dans ces conditions critiques et Riyad est habilitée, avec son poids régional et international, à les réussir ».

C’est dire que l’invitation faite à l’émir du Qatar se présente comme une nouvelle tentative pour essayer de ramener, peu ou prou, le petit émirat réfractaire dans le giron du CCEAG dont il a pourtant été mis de côté en juin 2017 et à qui il est reproché notamment de s’être par trop rapproché de l’Iran chiite, rival régional honni de l’Arabie saoudite. Il s’agit donc pour Riyad de resserrer les rangs afin d’obtenir un front uni contre ce qui est perçu comme la menace iranienne. Mais cette stratégie saoudienne est loin d’aller de soi. En effet, par-delà même les incertitudes prévalant quant à l’attitude du Qatar, d’autres membres du CCEAG, comme le Sultanat d’Oman qui partage avec l’Iran le contrôle du détroit d’Ormuz, n’avalisent pas la « ligne dure » prônée par Riyad. Dans le prolongement d’une visite à Téhéran le 20 mai dernier, le ministre omanais en charge des Affaires étrangères d’Oman, YussefBin Alaoui Bin Abdallah, avait d’ailleurs indiqué que son pays, fidèle à sa tradition de médiation, tentait de « calmer les tensions » régionales.

La menace iranienne plane sur les intérêts à la fois saoudiens et américains au Moyen-Orient, on le voit notamment au Yémen, illustration de cette opposition dans la péninsule arabique. Les Etats-Unis travaillent-ils dans l’ombre pour voir se constituer un front uni dans cette zone ? Quels sont leurs intérêts ?

Les Etats-Unis ont l’ambition affichée de parvenir à la constitution d’un front uni anti-iranien, une idée caressée dès le déplacement du président Donald Trump en Arabie saoudite, le 22 mai 2017, une visite qui avait donné lieu à plusieurs réunions, outre la rencontre bilatérale entre le président américain et le roi saoudien, une deuxième avec les dirigeants des pays du Conseil de Coopération des Etats Arabes du Golfe (CCEAG), et une troisième avec les représentants des 55 Etats arabes et islamiques rassemblés pour l’occasion à Riyad.

Le sommet avait été initialement prévu pour le mois de mai, mais les réunions avec la Corée du Nord et l’impasse dans laquelle se trouvait le différend avec le Qatar l'ont retardé jusqu'en octobre.

Le 28 juillet 2018, des media comme The National[4],se faisaient l’écho du fait que le président américain Donald Trump envisageait de convier les pays arabes du Golfe à un sommet à Washington, pour la mi-octobre 2018, avec l’ambition derenforcer la coopération entre les dirigeants du Golfe et les Etats-Unis dans les domaines sécuritaire, militaire et politique pour faire pièce à l’Iran. Le sommet avait été initialement prévu pour le mois de mai 2018, mais les réunions relatives à la Corée du Nord et l’impasse dans laquelle se trouve le différend avec le Qatar l’auraient déjà retardé jusqu’en octobre 2018.Pour l’Administration américaine, cela devait être l’occasion d’annoncer la mise en place d’un cadre institutionnel intitulé The Middle East Strategic Alliance (MESA), sorte d’« OTAN arabe » destinée à constituer une alliance d’Etats du Moyen-Orient afin de contrecarrer ce qui est perçu comme l’expansionnisme de l’Iran dans la région.L’alliance en question ayant vocation à comprendre l’Egypte, la Jordanie et les six pays du Conseil de coopération du Golfe, viserait à encourager la coopération militaire entre les pays, notamment en matière de défense antimissile et de lutte contre le terrorisme. « Le MESA servira de rempart contre l’agression iranienne, le terrorisme, l’extrémisme et apportera la stabilité au Moyen-Orient », avait ainsi déclaré un porte-parole du Conseil national de sécurité des Etats-Unis. Des groupes de travail censés se réunir en août et septembre 2018 devaient en fixer l’ordre du jour.

Mais les choses ne se sont pas déroulées comme prévu. L’Administration Trump avait été contrainte de reporter à plusieurs reprises la tenue du dit sommet. En septembre 2018, le président américain avait repoussé pour la deuxième fois la tenue de ce sommet. Le retard, signalé d’abord par le site Al Monitor[5], devait reporter le sommet au mois de janvier 2019 comme date provisoire.Le site d’informations avait attribué ce retard au « calendrier des voyages du président américain Donald Trump avant les élections de mi-mandat de novembre », mais des sources parlant sous le sceau de l’anonymat avaient déclaré à The National[6],que cela était lié au conflit au Qatar même si l’Administration semble convaincue qu’elle est en mesure de réunir les dirigeants du CCEAG et créer son format de Middle East Strategic Alliance (MESA), en faisant l’économie de la résolution du différend sur le Qatar.

L’une des principales raisons qui hypothèquent ce projet d’OTAN arabe réside sans doute largement dans l’incapacité de l’Administration Trump à mettre en place une stratégie cohérente pour l’ensemble de la région du Moyen-Orient avec la persistance de ces tensions entre le binôme Arabie saoudite-Emirats Arabes Unis d’un côté et le Qatar de l’autre. On peut rappeler que le président américain Donald Trump avait, dans un premier temps, offert un soutien public sans réserve au blocusdécrété contre de le petit émirat, tweetant, le 6 juin 2017, que « ce sera peut-être le début de la fin de l’horreur du terrorisme »alors même que son secrétaire d’Etat de l’époque, Rex Tillerson appelait l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis à lever l’embargo sur le Qatar. Il se dit même aujourd’hui que son limogeage-surprise[7], le 13 mars 2018, ne serait pas étranger à cette « affaire qatarie ». Dans les mois suivant son départ, la presse américaine faisait état des pressions qui avaient été faites par l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis pour écarter Rex Tillerson, au motif qu’il s’efforçait de trouver un compromis dans le conflit avec le Qatar. Lors d’une rare apparition devant les caméras, Rex Tillerson avait même appelé, le 9 juin, les Saoudiens à « alléger » le blocus. Or, d’après le magazine en ligne The Intercept[8], la véritable raison sous-tendant cette défiance vis-à-vis de Rex Tillerson aurait en réalité tenu au fait qu’au cours de l’été 2017, Rex Tillerson serait directement intervenu pour contrecarrer un plan secret initié par les Saoudiens et soutenu par les Emirats Arabes Unis pour rien moins qu’envahir le Qatar, selon des informations fournies par un membre actuel de la communauté du renseignement américaine et deux anciens fonctionnaires du département d’Etat, parlant sous couvert d’anonymat. Ce plan qui était probablement à quelques semaines de sa mise en œuvre, prévoyait le franchissement de la frontière terrestre du Qatar par des troupes terrestres saoudiennes et, avec l’appui militaire des Emirats Arabes Unis comme lors de l’invasion de Bahreïn en mars 2011, une progression fulgurante vers Doha sur une centaine de kilomètres. Il semblerait que, dans les jours et les semaines ayant suivi la rupture des liens diplomatiques entre l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, l’Egypte, Bahreïn avec le Qatar, une rupture concrétisée par la fermeture de leurs frontières terrestres, maritimes et aériennes avec l’émirat, Rex Tillerson aurait passé une série d’appels téléphoniques pour exhorter les autorités saoudiennes à ne pas engager d’opération militaire contre ce pays[9]. Selon les sources de The Intercept, lors de ces appels, Rex Tillerson, qui entretenait des relations de longue date avec le Qatar en tant qu’ancien PDG d’Exxon Mobil (2006-2016) - partenaire de l’émirat pour le développement du champ gazier de North Field - aurait exhorté le roi saoudien Salman bin Abdulaziz Al Saud mais surtout son fils, le prince héritier Mohammed bin Salman bin Abdulaziz Al Saud, dit MBS, ainsi que le ministre des Affaires étrangères saoudien Adel al-Jubeir à ne pas agresser militairement le Qatar. Rex Tillerson aurait également encouragé le secrétaire à la Défense américain de l’époque, James Mattis, à appeler ses homologues en Arabie saoudite pour leur faire comprendre que cela ne serait pas une idée opportune et ce, d’autant moins que le Qatar abrite le siège avancé de l’USCENTCOM avec quelque 13 000 militaires américains, notamment installés sur la base aérienne d’Al Udeid, près de la capitale Doha, laquelle base sert de hub stratégique pour toutes les opérations américaines dans la région du Golfe, et même au-delà puisqu’il couvre la zone de Moyen-Orient et de l’Asie centrale. Les pressions exercées par Rex Tillerson avaient fait reculer Mohammed bin Salman bin Abdulaziz Al Saud, qui craignait sans doute qu’une invasion du Qatar ne portât atteinte aux relations à long terme entre l’Arabie saoudite et les Etats-Unis alors même qu’il devenait prince héritier le 21 juin suivant l’instauration de cette « mise au ban » du Qatar, laquelle n’a semble-t-il pas eu les objectifs escomptés compte tenu de la résilience dont le Qatar a su faire preuve depuis son ostracisation du Conseil de Coopération des Etats Arabes du Golfe (CCEAG).

Toujours est-il qu’on voit mal comment un projet tel que The Middle East Strategic Alliance (MESA) pourrait voir le jour en l’absence du Qatar pour les raisons susmentionnées. Par-delà la question non-résolue du Qatar, la MESA aurait en tout état de cause vocation à se substituer aux autres dispositifs sécuritaires et politiques existant dans la région. Le plus ancien et le moins opératoire, se trouve être le Traité de défense commune et de coopération économique signé le 17 juin 1950 entre les membres de la Ligue arabe. Ce traité avait théoriquement pour objectif d’affirmer l’unité arabe en matière de défense pour le cas d’une nouvelle guerre liée à la question palestinienne. Un Conseil de défense avait été créé dont les décisions sont exécutoires et prises à la majorité des 2/3. Mais ce Conseil est censé in fine être contrôlé par le Conseil de la Ligue arabe lequel ne prend de décision qu’à la majorité des voix ce qui réduit d’autant ses moyens d’action réelle.Mais uneMiddle East Strategic Alliance (MESA)devrait également conduire à la suppression du cadre opérationnel du CCEAG dit « Bouclier de la péninsule »ainsi que de l’Alliance militaire islamique pour combattre le terrorisme (AMICT)[10], deux pactes militaro-sécuritaires mis en place et financés par les dirigeants du Golfe, au premier rang desquels l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis. Enfin, last but not least, la question demeure posée du rôle que pourrait jouer Israël dans une telle architecture sécuritaire régionale face à la priorité de la menace iranienne pour l’ensemble des pays concernés, exception faite peut-être justement du Qatar même si un accord a récemment été signé, le 7 mars 2018, entre les Etats-Unis et le Qatar sur un mode d’action standard pour les forces de… l’OTAN au Qatar[11].

Le Qatar a montré sa résilience face au blocus. Qu’a-t-il intérêt à faire ? Se rapprocher des pays du Golfe ou conserver ses relations avec l'Iran ? Ou peut-être un mélange acrobatique des deux ? Le pays ne devra-t-il pas choisir, à la fin, un camp ? 

Pour le Qatar, « le pire de la crise » lié au blocus mis en oeuvre à partir de juin 2017 est « passé », a déclaré l’Institut Capital Economics dans un rapport en mai 2018. « La performance de croissance reste robuste » au Qatar, a estimé le Fonds monétaire international (FMI) dans son dernier rapport publié le 30 mai 2018. « L'impact économique et financier direct » de la crise « a pu être géré ». Malgré la baisse des recettes pétrolières, la croissance du Qatar s'est établie à 2,1 % en 2017 et devait atteindre 2,6 % en 2018, selon le FMI. L’économie du Qatar demeure en croissance en dépit de la crise qui oppose ce pays riche en gaz à ses voisins du Golfe, a estimé une mission du Fonds monétaire international (FMI) à l’issue d’une visite dans cet émirat entre le 24 octobre et le 4 novembre 2018. « Les résultats économiques du Qatar continuent de se renforcer », écrivait le FMI dans un communiqué à la fin de sa mission. Selon les projections du FMI, le PIB du Qatar pourrait approcher les 3 % en 2019 et tourner annuellement autour de 2,7 % entre 2020 et 2023, alimenté par les exportations gazières et l’accueil du Mondial de football en 2022. Finalement le Qatar aura réussi à transformer cette crise en opportunité. Le Qatar a fait preuve de résilience et d’un pragmatisme certain en s’adaptant rapidement à la nouvelle réalité et en mettant en place des arrangements commerciaux des arrangements commerciaux et logistiques alternatifs qui ont lissé les coûts de la crise.

Dans le secteur de l’énergie, le Qatar a repris sa place de leader mondial de GNL[12]. L’émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, a affirmé le 6 novembre 2018, que l’émirat resterait le plus grand exportateur mondial de gaz naturel liquéfié, ajoutant que Doha avait multiplié les accords énergétiques, mentionnant de nouveaux contrats avec la Chine. Qatar Petroleum a annoncé son intention de porter sa production de 77 à 100 millions de tonnes par an, garantissant sa première place pour les 20-25 prochaines années. Soucieux de préserver son rôle de stabilisateur énergétique, le gouvernement a tenu à assurer ses obligations contractuelles malgré la situation qui lui aurait permis d’opposer la « force majeure ». Tous les clients transatlantiques, transpacifiques, méditerranéens et de l’océan Indien ont été livrés. Malgré une tentative émiratie de faire pression sur les compagnies étrangères, les plus importantes sociétés pétrolières et gazières du monde, notamment ExxonMobilShell et Total, ont continué à investir et plus de 120 sociétés nouvelles ont reçu des licences du Qatar Financial Center (QFC), plateforme financière fondée sur le Common Law Britannique.

Parallèlement, le Qatar a annoncé, le 6 décembre 2018, qu’il se retirerait de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, l’OPEP, au motif qu’il serait plus que jamais sous la coupe de Riyad. Il s’agissait d’une décision de fait plus politique qu’économique puisque le Qatar fait figure de « Gulliver » gazier en étant devenu le n°1 mondial du GNL, alors qu’il est « Lilliput » pétrolier représentant à peine 2 % des volumes de l’OPEP. Mais cela renforce mécaniquement sa relation avec son riverain perse, une relation conspuée que le blocus avait la vocation déclarée de mettre à mal. Cette volonté de ménager son riverain perse s’explique pour partie - mais pour partie seulement - par des intérêts économiques partagés. Il faut rappeler que la richesse du Qatar provient à la fois du pétrole et du gaz, mais surtout du gaz puisqu’il est assis sur 14 % des réserves mondiales de gaz naturel, dont il est à la fois le troisième détenteur (soit environ 26 milliards de m3) et le troisième producteur, après la Russie et l’Iran de l’autre côté du Golfe, et avec lequel le Qatar partage l’un des plus grands gisements off-shore du monde, appelé North Dome du côté qatari, et South Pars du côté iranien, soit 9 700km2dans le golfe Persique, qui court de part et d’autre de la limite des eaux territoriales des deux pays. Le Qatar a toujours veillé à garder de bonnes relations avec l’Iran.En effet, le Qatar est par la force des choses - la géologie en l’occurrence - contrainte de prendre langue avec Téhéran, même si cela indispose fortement les autres membres du CCEAG.

Effet paradoxal s’il en est de la mise au ban du Qatar, cela n’a fait qu’actualiser un rapprochement entre Doha et Téhéran. L’Iran avait, de fait, envoyé des avions de produits alimentaires dans l’émirat à la suite de l’embargo imposé à cet émirat par l’Arabie saoudite, les Emirats Arabes Unis et Bahreïn. Par ailleurs, l’Iran avait en outre annoncé qu’il allait permettre au Qatar d’utiliser trois de ses ports pour faciliter les importations de nourriture dont l’émirat est dépendant.

Le Qatar a signalé à maintes reprises qu’il n'oublierait jamais le soutien apporté par l’Iran à leur pays lors de son blocus économique.Deux jours après l’injonction de quatre pays arabes de rompre tout lien avec l’Iran, Doha avait ostensiblement affirmé son intention de développer ses relations avec Téhéran, notamment pour résoudre les problèmes du monde islamique. «Mon pays est prêt à développer les relations et à coopérer avec l’Iran en vue de résoudre les problèmes du monde islamique qui traverse une période compliquée», avait affirmé TamimBin Hamad al-Thani.L’émir du Qatar avait fait cette déclaration sur les relations avec l’Iran, le 25 juin 2017, après avoir reçu une liste de treize exigences de l’Arabie saoudite et de ses alliés, dont la première d’entre elles enjoignait Doha de rompre les relations diplomatiques avec l’Iran : « Restreindre les relations diplomatiques avec l’Iran et fermer toutes les représentations diplomatiques qataries en Iran. Expulser les membres de la garde révolutionnaire iranienne présents au Qatar et annuler toute opération militaire conjointe avec l’Iran. Le commerce et les échanges avec l’Iran doivent se faire en conformité avec les sanctions imposées à l’Iran par les Etats-Unis et la communauté internationale ».

C’est dire à quel point le Qatar est soucieux que son territoire ne puisse en aucun cas servir en cas de conflit entre les Etats-Unis et l’Iran. Les tensions s’étant récemment accentuées à propos de l’Iran, le ministre qatari de la Défense, Khalid Bin Mohammad al-Attiyah,s’était exprimé sans ambiguïté lors du 17ème sommet Shangri-La Dialogue sur la sécurité en Asie qui s’était tenu à Singapour, le 3 juin 2018, quant à l’attitude de son pays à l’égard d’un éventuel conflit contre ce pays. Il avait déclaré que le Qatar n’envisageait pas de participer à un quelconque conflit contre l’Iran et optait résolument pour le dialogue.«L’Iran est juste à côté. Nous devrions appeler « l’Iran, mettre tous les dossiers sur la table, et discuter pour amener la paix, et non la guerre», a-t-il expliqué. A la question de savoir si les bases aériennes étrangères installées au Qatar pourraient un jour être utilisées pour mener des opérations militaires contre l’Iran, le ministre avait souligné que son pays n’était pas «un fan de la guerre», ainsi qu’il privilégiait toujours le dialogue. Une manière de faire preuve d’acrobatie sur un problème particulièrement difficile à gérer.


[1]Le CCG (Conseil de Coopération du Golfe) ou CCEAG (Conseil de Coopération des Etats Arabes du Golfe) a été créé le 5 mai 1981 - soit moins d’un an après le début de la guerre Iran-Irak en septembre 1980 - sous l’impulsion de l’Arabies saoudite avec le soutien déterminant des Etats-Unis dans le but de créer une structure de coopération politique, économique et sécuritaire qui soit en mesure d’assurer la stabilité et la sécurité de la région du Golfe. Il s’agit en réalité plutôt d’une alliance au sens large des pétro-monarchies du Golfe, composée de six pays (L’Arabie saoudite, le Koweït, Bahreïn, le Qatar, les Emirats Arabes Unis et le Sultanat d’Oman). Un accord de sécurité intérieure est signé en 1982 entre les Etats membres à la suite d’une tentative de putsch fomenté en décembre 1981 par le nouveau pouvoir de la République islamique d’Iran à Bahreïn. Au niveau militaire, les forces armées des pays du Conseil de coopération du Golfe Arabique organisent depuis 1983 des manœuvres conjointes dans le cadre dit « Bouclier de la Péninsule ». A partir de 1984, il est décidé que les unités participant à ces manœuvres forment une « force de déploiement conjointe » pour venir en aide à l’un des Etats membres qui serait directement menacé - noyau d’une putative armée commune - dont le quartier général se trouve à Hafar al-Batin, dans le nord-est de l’Arabie saoudite. Son commandant est un général saoudien.

[2]La Ligue des Etats Arabes (Jāmiaat ad-Duwal al-Aarabīya) : Organisation régionale créée le 22 mars 1945 par les sept états arabes alors indépendants (Egypte, Irak, Liban, Arabie Saoudite, Syrie, Jordanie, Yémen). Elle compte aujourd’hui 22 membres. Cas particulier, l’OLP, qui a été admise comme membre à part entière de la Ligue en 1976 ; depuis 1989, elle en est membre comme « Etat de Palestine ». Née de l’aspiration des pays arabes à l’unité et à l’indépendance, la Ligue est composée d’Etats contigus géographiquement, parlant la même langue, partageant la même culture et dont les populations partagent majoritairement la même foi. C’est avant tout un instrument de concertation et de recherche d'un consensus vis-à-vis des grands problèmes auxquels ces pays sont confrontés. L’organisation de la Ligue des Etats Arabes repose sur quatre organes principaux : le Sommet des Chefs d’Etat, le Conseil des Ministres, les Comités Permanents et le Secrétariat Général. Le siège de la Ligue arabe, déplacé à Tunis en 1979 suite à la suspension de la participation de l’Egypte après les accords de Camp David, est retourné au Caire en 1989. Son Secrétaire Général est actuellement l’Egyptien Ahmed Aboul Gheit, ancien ministre Ministre égyptien des Affaires étrangères.

[3]L’Organisation de la coopération Islamique (Munaẓẓamat at-Taʿāwun al-islāmī):créée le 25 septembre 1969, à l'initiative de l’Arabie saoudite et suite à l’incendie criminel de la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem, ressenti comme une agression contre l'ensemble du monde musulman, l’Organisation de la Conférence Islamique (O.C.I.), composée aujourd’hui de 57 pays. Le siège de l'Organisation est fixé à Djeddah et son actuel Secrétaire Général est le Saoudien Yousef Bin Ahmed Bin Abdul Rahman Al Othaimeen. L'organisation a un statut d'observateur au sien des Nations Unies. Elle se donne pour buts essentiel s: de promouvoir la solidarité entre états membres ; de prendre toute mesure pour aider à la paix et à la sécurité internationale fondée sur la justice ; de coordonner les efforts de sauvegarde des lieux saints et appuyer la lutte du peuple de Palestine et l’aider à récupérer ses droits et libérer son territoire. Dans les faits, c'est un relais important, au sein de l’arène internationale, des prises de position politiques de la Ligue des Etats Arabes même si les pays membres de la Ligue n’y sont plus majoritaires depuis 1984 et si leur population représente moins du quart de celle de l'ensemble des pays de l’O.C.I.. La structure de l'Organisation est assez semblable à celle de la Ligue des Etats Arabes : Sommet, Conférence des Ministres des Affaires étrangères, Secrétariat général et organisations subsidiaires. La Conférence des Rois et des Chefs d'Etats et de Gouvernements - le Sommet islamique - se réunit tous les trois ans et la Conférence des Ministres des Affaires étrangères deux fois par an en sessions normales. Notons que les décisions peuvent ici être prises à la majorité des 2/3, ce qui est une différence notable par rapport au fonctionnement de la Ligue des Etats Arabes.

[4]Cf. « Exclusive : US plans to host GCC summit in October », on The National, 28 juillet 2018 (https://www.thenational.ae/world/exclusive-us-plans-to-host-gcc-summit-in-october-1.754648).

[5]Cf. Jack Detsch, « Trump Shelves Gulf talksuntilnextyear », on Al Monitor, 6 septembre 2018 (https://www.al-monitor.com/pulse/originals/2018/09/trump-shelves-gulf-gcc-talks-iran.html).

[6] Cf. « Donald Trump to support plan for ‘Arab Nato’ », on Al Monitor, 22 septembre 2018 (https://www.thenational.ae/world/gcc/donald-trump-to-support-plan-for-arab-nato-1.772804).

[7] Cf. Alex Simmons, « Saudi Arabie Planned To Invade Qatar Last Summer. Rex Tillerson’s Efforts To Stop It May Have CostHimHis Job », in The Intercept, 1 août 2018 (https://theintercept.com/2018/08/01/rex-tillerson-qatar-saudi-uae/).

[8] Cf. Alex Emmons, « Saudi Arabie Planned to Invade Qatar Last Summer. Rex Tillerson’s Efforts To Stop ItMay Have CostHimHis Job », on The Intercept, 1er août 2018 (https://theintercept.com/2018/08/01/rex-tillerson-qatar-saudi-uae/).

[9] Cf. Gardiner Harris, « State Depart. Lashes Out at Gulf Countries Over Qatar Embargo », in The New York Times, 20 juin 2017 (https://www.nytimes.com/2017/06/20/world/middleeast/qatar-saudi-arabia-trump-tillerson.html).

[10] L’Alliance militaire islamique pour combattre le terrorisme (AMICT) est le nom d’une coalition politico-militaire formée à l’initiative de l’Arabie saoudite fin 2015. Cette alliance militaire islamo-sunnite a été ébauchée par la coopération militaire entre plusieurs pays du CCEAG tels que l’Arabie saoudite, Bahreïn, le Koweït, le Qatar, les Emirats Arabes Unis, mais aussi d’autres pays arabes tels que l’Egypte, la Jordanie, le Soudan, le Maroc, ainsi que des pays non arabes musulmans sunnites comme le Pakistan, pour le lancement de l’opération militaire au Yémen. Mais c’est en décembre 2015 que l’Alliance militaire islamique voit officiellement le jour.

[11]L’accord a été signé à Bruxelles, le 7 mars 2018, par le vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères qatari, Cheikh Mohammed Bin Abdulrahman Bin Jassim Al-Thani et le secrétaire général-adjoint de l’OTAN, Rose Gottemoeller. L’accord est censé permettre aux forces et au personnel de l’OTAN de transiter au Qatar et d’utiliser la base aérienne d’Al-Udeid. « Cela facilitera les missions et les opérations de l’OTAN dans la région, y compris la mission Resolute Support en Afghanistan, a indiqué l’agence QNA en citant le service de presse de l’OTAN.

[12]Hamad Bin Khalifa al-Thani, le père de l’actuel émir du Qatar, a compris très tôt que le Gaz naturel liquéfié (GNL) était un produit d’avenir. Le Qatar est ainsi devenu le 1er exportateur de GNL (Gaz naturel liquéfié). Extrait du gisement off-shore de North Dome, le plus vaste du monde, situé à quelque 80 kilomètres au large des côtes qatariennes, l’émirat produit 77 millions de tonnes de GNL par an via 14 trains de production.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !