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Simulation de maladie : la sophistication grandissante déployée par les prévenus pour tenter d’échapper à leurs peines
©Reuters

A l'infirmerie

D'après une étude comptant plus de huit cents participants, 17,5 % des personnes jugées incapables de subir leur procès (et donc envoyées dans un hôpital d'État plutôt qu'en prison) ont par la suite été identifiées comme simulant leurs symptômes.

Stéphane Lagana

Stéphane Lagana

Stéphane Lagana est psychologue clinicien hospitalier et intervient dans une maison d’arrêt.

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Atlantico : La simulation dans le système correctionnel est de plus en plus courante. D'après une étude comptant plus de huit cents participants, 17,5 % des personnes jugées incapables de subir leur procès (et donc envoyées dans un hôpital d'État plutôt qu'en prison) ont par la suite été identifiées comme simulant leurs symptômes. Est-il surprenant que les détenus mentent quant à leur état psychique ? De quoi est-ce le symptôme ?

Stéphane Lagana : Dans ma carrière, j'ai très rarement vu des détenus qui se portaient bien. La plupart des situations auxquelles un psychologue en milieu carcéral est confronté sont des situations d'une assez grande précarité : sociale, psychique, familiale. Il est aujourd'hui reconnu que la plupart des gens qui arrivent en prison sont issus de milieux familiaux explosés, avec un parent disparu ou absent ou violent au minimum, avec des situations historiques qui sont très souvent ubuesques. Dans ce contexte-là, mon métier est d'accueillir les gens qui demandent à me parler.

Mentir pour amoindrir les conséquences de la peine que l'on va subir n'est pas propre au milieu carcéral. Tout le monde ment : ce n'est pas un comportement propre aux détenus, aux condamnés ou aux prisonniers. Dès le plus jeune âge, on est amené à mentir : cela commence avec le fait de faire croire qu'on a un peu de fièvre pour ne pas aller à l'école. Le mensonge est un phénomène structurel : à partir du moment où l'on parle, on a tendance à orienter la vérité d'une certaine manière. De ce point de vue, je suis donc très dubitatif quant à l'augmentation des simulations de folie chez les détenus. Il y a toujours eu du mensonge et il y en aura certainement toujours. Les études qui portent sur ces phénomènes ne pourraient pas être comparées à la situation avant, et si tel était le cas, il serait intéressant de voir la nature du mensonge. Les gens sont de plus en plus familiarisés avec la dimension psychique : s'ils mentent, c'est normal qu'ils mentent sur des données d'actualité.

Quelle est la différence entre un condamné et un prévenu en termes de psychologie ? Sont-ils des patients comme les autres ?

D'une certaine manière, le condamné n'a plus besoin de mentir concernant son procès, puisqu'il a déjà eu lieu. En revanche, il peut avoir besoin d'atténuer les choses concernant sa libération, puisqu'un condamné peut s'attendre à des remises de peine en fonction de ses activités : aller voir les soignants pour ses auditions, des psychiatres, rembourser ses victimes etc. Lorsqu'il a fait cela, il a plus de chance à l'occasion des commissions qui vont lui être proposées de voir une quantité de remises de peine supérieures à ce qu'il aurait pu avoir à minima. Un condamné pourrait donc mentir pour bénéficier d'un reliquat supplémentaire de remise de peine.

Quant au prévenu, en attente de son procès, peut toujours agir pour son procès en resquillant. Cela dit, ce n'est pas facile de se faire passer pour fou lorsqu'on ne l'est pas. A titre personnel, il me semble que quelqu'un qui se fait passer pour fou ne va pas bien : c'est d'ailleurs un contre-sens. Ce n'est pas parce qu'on essaie de se faire passer pour fou qu'on ne l'est pas. La question est de savoir au fond ce qu'est la psychose : c'est un point compliqué parce que la psychose se distingue souvent sur des modes qui sont phénoménaux (au sens étymologique : très apparents), avec des délires, des hallucinations etc. En réalité, il y a des signes très discrets de la psychose qui ne nécessitent pas des éléments d'apparence : il n'y a pas toujours des hallucinations, et il peut pourtant y avoir de la psychose. Il faut donc avoir une clinique assez fine pour le distinguer.

Pour prendre un exemple, j'ai étudié la situation d'Anders Breivik, j'ai consulté son manifeste de 1500 pages. Au moment de son procès, on a eu du mal à déterminer s'il était fou ou non, les experts ont beaucoup débattu à ce sujet et ont conclu qu'il n'était pas si fou qu'il en avait l'air. Cela dit, il me semble que cet homme est dans une situation psychique très compliquée, et pourtant il a passé son temps à revendiquer sa normalité. Dans la psychiatrie française, notamment chez Lacan, on trouve chez Breivik exactement le prototype d'une "personnalité paranoïaque". La plupart du temps, les fous essaient de faire penser qu'ils ne sont pas fous : c'est davantage dans ce sens que cela se passe. Le phénomène inverse est plutôt rare.

En quoi la psychologie ou psychiatrie carcérale est-elle une discipline à part-entière ? Qu'a-t-elle de commun et de différent avec la psychologie générale ?

Il me semble qu'il y a une différence notoire : c'est la dimension du passage à l'acte. La plupart des gens qui arrivent prison sont passés à l'acte au moins une fois. Pour d'autres, si ce n'est pas du passage à l'acte, cela ne relève en tout cas pas de la logique commune. En prison, il y a des phénomènes qui concernent la violence et qui sont propres à la prison, qu'il s'agisse du mode des bagarres, des meurtres, des crimes, des viols etc. C'est la caractéristique qui distingue la psychologie générale de la psychologie carcérale.

Ce qu'il y a de commun entre les deux me semble plus important, à savoir la dimension du symptôme. C'est très actuel qu'on se soucie de la psychologie de ceux qui commettent des crimes ou des délits. Pendant longtemps, on ne s'en est pas préoccupé. On considérait que ce qui relevait de la transgression de la loi était nécessairement raisonnablement fait, par des gens qui n'étaient pas particulièrement atteints psychiquement. Dans ma carrière, j'ai très rarement vu des détenus qui se portent bien psychiquement, vu leur histoire, leur parcours, la dimension symbolique dans laquelle ils se trouvent. Les gens qui arrivent en prison y arrivent justement parce qu'ils vont mal. De ce point de vue, j'ai plutôt tendance à considérer la dimension de la délinquance et de la criminalité du côté du symptôme. Il faut les interroger comme l'on interroge un symptôme. Il faut permettre à ces gens de parler, parce qu'ils s'aperçoivent rarement des déterminations qui les poussent à agir de cette façon.

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