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Cet autre mea culpa que devrait envisager Emmanuel Macron pour préserver la fin de son quinquennat
©YOAN VALAT / POOL / AFP

Collomb, Philippe, Loiseau et cie

Rien n'est moins sûr. Mais si Mea Culpa il y aura, il ne se fera certainement pas en public.

David Desgouilles

David Desgouilles

David Desgouilles est chroniqueur pour Causeur.fr, au Figaro Vox et auteur de l'ouvrage Le Bruit de la douche aux éditions Michalon (2015).

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Il y a quelques temps, Emmanuel Macron faisait son mea culpa vis à vis des Français, en s'excusant au sujet de ses petites phrases. Alors qu'il s'est souvent montré très dur avec eux -on se rappelle notamment de ses menaces en Conseil des ministres et des propos de Gérard Collomb après sa démission- le temps du mea culpa vis à vis de ses proches est-il venu ?

Christophe Boutin : On rappellera qu’Emmanuel Macron a toujours été très sobre dans ce que vous appelez ses mea culpa. Ce qu’il dit – parfois – regretter, c'est, dans le meilleur des cas, une formule par trop lapidaire par laquelle il a pu choquer les Français, mais ce n’est à aucun moment le choix politique que révélait la dite formule. Volontiers cassant dit-on lorsqu’il doit prendre des décisions, tout en sachant jouer de l’empathie quand il le faut, il est permis de douter qu’il présente ses excuses aux politiques qui sont à ses côtés, pas publiquement en tout cas… et c’est tant mieux.

Le monde politique est en effet un monde dur, aux enjeux importants, et comme dans d’autres mondes de ce type, s’il peut arriver que le dirigeant blesse, et s’il peut être honorable pour lui de savoir s’en excuser discrètement auprès de ceux qu’il a blessés, il ne lui faut en aucun cas succomber à cette demande de repentance permanente formulée par des médiacrates qui, eux, n’estiment jamais devoir présenter la moindre excuse, quelque énormité qu’ils aient proféré. On peut le regretter ou s’en réjouir, mais l’immense majorité des citoyens n’a que faire de ces mea culpa qui se succèdent, en partie au moins parce que ce n’est pas le style de la Ve République : comme le disait avec son humour caractéristique Jacques Chirac - qui aurait du s’en souvenir - « un chef, c’est fait pour cheffer », et pour ensuite assumer ses choix. Et c’est au peuple souverain qu’il appartiendra ensuite de les valider ou pas dans les urnes, et pas aux présentateurs d’une émission de télé-réalité plus ou moins lacrymale.

L'attitude intransigeante du président vis à vis de ses troupes est-elle viable ? Un tel comportement ne risque-t-il pas de l'affaiblir politiquement ? 

David Desgouilles : Charles De Gaulle avait dit à Georges Pompidou avant qu'il soit président, si vous endossez ce rôle "soyez dur". Le rôle d'un président, avec ses troupes, n'est donc pas d'être sentimental. L'attitude intransigeante et parfois dure d'Emmanuel Macron vis à vis de ses ministres peut donc paraître normale à prime abord. 

Néanmoins dans le contexte actuel elle paraît déplacée. Avant tout, parce que son parti politique, LREM, n'en est pas vraiment un. On l'a vu par exemple lors du meeting de la liste Renaissance à Valenciennes, il n'y avait qu'une cinquantaine de personnes. Certes, à Paris les salles sont plus remplies, mais le problème demeure le même : le parti existe à travers son chef et seul il ne suscite pas ou peu d'adhésion. 

Ainsi, dans ces circonstances, Emmanuel Macron se rend qu'il n'a plus vraiment de vraies "troupes" sur qui compter, il est comme nu. Le fait de mal les traiter n'aide en rien, c'est un aveu de faiblesse, un signe d’affolement. En outre, quelqu'un qui se désigne comme seul adversaire le RN devrait être fort, puissant, or actuellement ce n'est pas le cas. Le président est très affaibli et le sera davantage si la liste qu'il soutient n'arrive pas en première position dimanche prochain. Notons qu'Edouard Philippe a été plusieurs fois désavoué publiquement par le présidente sur la question des 80 km/h, avant d'être forcé la semaine dernière à avaler son chapeau.

Il choisirait donc, comme le révèle la une du JDD, son Premier ministre comme fusible. Mais peut-être devrait-il se méfier. S'il menace de limoger Edouard Philippe, qui pourra prendre sa place ? On pense éventuellement à François Bayrou mais cela enclencherait un changement radical. Face à Bayrou, Emmanuel Macron ne pourrait guère adopter laNotons qu'Edouard Philippe a été plusieurs fois désavoué publiquement par le président sur la q même attitude. Bayrou n'est pas Philippe, il ne se plierait pas devant le chef, ses conditions ne seraient pas les mêmes. Il pourrait également se tourner vers unprofil plus techno comme Jean-Michel Blanquer, qui adopterait probablement un style similaire à celui de Philippe mais cela ne réglerait pas plus ses problèmes actuels.

Dans les circonstances actuelles, changer de Premier ministre ne serait qu'un pansement, les problèmes de fond demeureraient et se reproduiraient à la prochaine élection. Trop dur avec ses troupes parce que faible, il se verrait potentiellement obligé de changer de Premier ministre à nouveau. La réelle solution pour Emmanuel Macron serait donc de changer d'attitude et cesse de passer pour arrogant, que ce soit avec ses propres ministres, avec l'opposition, et tout ce qui manifeste du désaccord en général. 

Alors que le Président de la République s'est toujours positionné comme étant le seul homme capable d'agir, n'est-il pas en train de se rendre compte que cette stratégie a échoué ? En d'autres termes, peut-il préserver une marge d’action pour la fin de son quinquennat sans remettre en cause son mode de gouvernance ?

Christophe Boutin : L'interventionnisme des présidents de la Ve République, après l'instauration du quinquennat, bien sûr, mais avant déjà – hors période cohabitation -, n'est pas un vain mot. Emmanuel Macron a, comme ses prédécesseurs, la volonté d'apparaître comme celui qui décide de la politique à mener, comme un « capitaine » largement plus que comme un « arbitre », pour reprendre les deux termes qui, classiquement, ont semblé définir le rôle du Président depuis Charles de Gaulle. À part peut-être sur le passage du réseau routier à 80 km/h, proposition sur laquelle il était resté en retrait, laissant à Édouard Philippe sa marotte, il aura été présent partout, et ce dès avant que la crise des « Gilets jaunes » ne l’y oblige. Avec à chaque fois, bien avant le « Grand débat », la même approche : convaincre des réformes en cours en expliquant la nécessité de la politique menée, et non, après avoir écouté les avis, modifier cette politique.

L'avantage de ce volontarisme, avantage qu'il ne faut pas oublier, quoi que l’on pense des choix qui sont faits, est qu’Emmanuel Macron ose faire des choix, qu’il ose réformer, et qu’il applique en grande partie ce faisant le programme pour lequel il a été élu, bien loin en cela d’autres Chefs de l’État qui ont passé des mandats avec pour seul objectif de faire le moins de vagues possibles. L’inconvénient, que nous avons déjà signalé, est qu’en étant ainsi en première ligne, il concentre sur lui toutes les critiques, et qu’il ne peut jouer sur les fameux « fusibles », si pratiques pour se dédouaner des responsabilités lorsqu’un mauvais choix a été fait.

Mais si demain, pour préserver la fin de son quinquennat, avec ou sans Édouard Philippe, avec ou sans  remaniement, il choisissait de se mettre un peu en retrait, en serait-il capable ? Il avait annoncé, au début de son mandat, que sa parole politique serait rare, qu’il ne serait pas présent en permanence, qu’il se contenterait de fixer les grandes lignes. À lui la stratégie, au Premier ministre, la mise en oeuvre, ce qui en faisait théoriquement plus qu’un « simple collaborateur » comme aima à le dire de François Fillon Nicolas Sarkozy. Et puis nous avons eu le contraire de ce qui avait été annoncé : une saturation complète des écrans par la présence présidentielle, et par une présence présidentielle voulu symboliquement la plus solitaire possible - au point d’en oublier jusqu’au protocole des cérémonies militaires. Acteur né, particulièrement doué, Emmanuel Macron aime trop à rejouer le grand oral de l’ENA pour se priver de briller. Et si l’on ne peut lui reprocher de vouloir gouverner au lieu de se laisser porter par une « gouvernance » aussi diffuse que délétère, il n’en reste pas moins que cette surexposition peut elle aussi abîmer la fonction quand elle n’est plus que théâtralisation.

Le JDD titrait ce dimanche « Pourquoi Philippe joue sa peau » expliquant que les jours du Premier ministre étaient probablement comptés si LREM n'arrivait pas en tête des élections européennes. Alors que Philippe est isolé et n'a pas créé de pôle centre-droit, sa « position du serviteur de Macron » face à un « président qui aime dominer », d'après les dires d'un conseiller gouvernemental cité dans le JDD, pourrait-elle le sauver ? En outre, si Emmanuel Macron opte pour le remaniement qu'est-ce que cela changerait vraiment ?

Christophe Boutin : Il convient d'examiner la question sous plusieurs angles. Un premier pose la question de savoir s’il est toujours nécessaire, dans un quinquennat, de changer de Premier ministre pour redonner un second souffle à la majorité en place, alors que l'on constate, de manière assez générale, une baisse de popularité du Président de la République et de son équipe au bout de deux années. Nous en sommes là, et, effectivement, Emmanuel Macron, et ce jusqu’à la fin 2020 ou au début 2021, peut se poser la question de savoir s'il doit ou non continuer avec Édouard Philippe. On rappellera, pour prendre les deux présidences précédentes, que Nicolas Sarkozy a choisi de garder François Fillon comme Premier ministre pendant toute la durée de son mandat, quand François Hollande a cru bon de remplacer Jean-Marc Ayrault par Manuel Vals – Bernard Cazeneuve n'étant venu à Matignon qu'en toute fin, alors que Manuel Vals avait choisi de reprendre sa liberté. Or, on le constate, le choix de Nicolas Sarkozy ne l’a pas empêché de perdre les élections suivantes contre François Hollande, et celui de ce dernier ne l’a pas empêché de continuer à descendre dans la confiance des Français, au point de choisir de ne pas se présenter. Et tout cas, parce qu’il s’agit ici d’un choix qui ne tient que peu compte de ses qualités réelles, le Premier ministre est donc toujours sous tension, comme l’expliquaient les anciens titulaires de la charge à Raphaëlle Bacqué dans son ouvrage justement intitulé L'enfer de Matignon, et les choses n’ont pas changé depuis. C'est tous les jours qu’il « joue sa peau », et que le Président soit le vibrionnant Sarkozy, Hollande le normal ou le jupitérien locataire actuel de l’Élysée ne change pas grand chose.

Second angle, il peut être nécessaire de changer de Premier ministre lorsque celui-ci a démérité ou qu’il choisit de s’opposer aux choix présidentiels. Emmanuel Macron aurait cependant mauvaise grâce à accuser Édouard Philippe d'avoir entraîné la défaite de la liste LREM aux élections européennes. En effet, le chef de l'État, après que son hubris l’ait conduit à proposer son leadership aux citoyens européens en publiant une lettre-programme, s'est impliqué dans le choix d’une tête de liste décidément peu convaincante, et maintenant dans la campagne. ne serait pas pour grand chose si la Renaissance ne se faisait pas.

Reprocher à Édouard Philippe de n’avoir pas été capable de constituer un pôle de centre-droit clairement rallié à LREM, pour les européennes ou au-delà, n’est pas plus crédible. On n’appâte pas les mouches avec du vinaigre, et les Bussereau et autres Estrosi, tous ces élus que l’on estimait en 2017 « macrono-compatibles », sachant, pour pratiquer la chose, que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent, aspiraient à autre chose qu’à voisiner sur une estrade avec Nathalie Loiseau. En attendant, constatant à la fois la baisse de l’équipe dirigeante dans l’opinion publique et la remontée de leur formation d’origine - dont ils croient que le poids local est plus important encore, ce qui est essentiel pour eux à un an d’élections municipales qui les concernent directement -, ils ont évoqué un soutien à la liste LR menée par François-Xavier Bellamy – et ce quand bien même le philosophe versaillais représentait-il il y peu encore un odieux conservatisme qu’ils disaient vouloir fuir. Mais pour Édouard Philippe, « à l’impossible, nul n’est tenu ».

Tout ce qu’Emmanuel Macron pourrait reprocher à son Premier ministre, c'est d'avoir été incapable de sentir venir, puis de désamorcer, une crise des « Gilets jaunes » dans le déclenchement de laquelle le choix devenu personnel du Premier ministre d'abaisser la limite de vitesse sur les routes à 80 km/h n'a pas été indifférent. Pour le reste, Édouard Philippe, dans la digne lignée d'un François Fillon ou d'un Jean-Marc Ayrault, pour prendre des exemples récents, a très clairement choisi la fidélité au Président de la République, veillant à faire taire les voix discordantes au gouvernement et à maintenir une équipe aussi soudée que possible. Certes, il est souvent soupçonné d’en favoriser les membres qui, comme lui, viennent du centre-droit, mais cela ne sort en aucun cas des choix présidentiels.

Reste qu’on l’a dit, on peut toujours remanier, erreur ou pas, discordance ou pas, et que certains Premiers ministres ont même pu accepter de « sauter » pour servir de fusible à un Chef de l’État qu’ils protégeaient par leur démission, boucs émissaires sacrifiés à la colère populaire. Mais l’implication personnelle du Président dans les réformes en cours rend la manoeuvre bien délicate et sa crédibilité bien douteuse. Et puis, troisième angle enfin, et dernière question, si l’on sait pouvoir remanier, encore faut-il savoir pour quoi faire, et comment. Or, d’une part, on a l’impression au fil des mois, en écoutant ses membres s’exprimer dans les débats ou en les voyant aux commandes, que la supposée dream team rassemblée autour de l’Élysée montre ses limites. Emmanuel Macron - mais c’est logique, puisque son élection a  été en partie au moins l’expression d’un certain « dégagisme » à l’encontre de la classe politique de « l’Ancien monde » -, ne semble disposer que d'un vivier relativement faible de politiques de qualité et d’une certaine pointure où puiser un remplaçant à Édouard Philippe. Quant au « pourquoi », un remaniement supposerait dans l’esprit des Français un changement de politique, mais s’il n’est pas question alors de reprendre quelqu'un du centre-droit, Emmanuel Macron n’est sans doute pas près à cet Acte II social qu’appellent de leurs vœux ceux qui aimeraient voir nommée une personnalité de gauche. Ne resterait alors que le choix d’un « technicien » peu politisé, mais c’est cette fois la méfiance accrue des Français pour la technocratie qui fait que même ce choix prétendument « neutre » n’est pas évident.

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