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Mais d’où vient le récent succès des bars sans alcool ?
©PATRIK STOLLARZ / AFP

Et en plus c'est sans alcool

Sans alcool ne veut pas pour autant dire sans goût. Aujourd'hui, les commandes "spirit free" représentent une part non négligeable des commandes passées à votre bar préféré.

François Beck

François Beck

Responsable du département Enquêtes et Analyses statistiques à l'INPES

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Atlantico : En 2016, l'enquête Espad (European School Survey Project on Alcohol and Other Drugs) révélait que la consommation régulière d’alcool avait réduit de plus de 30% chez les lycéens depuis 2011. Selon vous, quelles seraient les raisons de cette baisse ? Quel rôle la prévention a-t-elle joué dans ce processus (d'après vos rencontres, observez vous toujours une forme de romantisme pour l'alcool chez les jeunes) ?

François Beck : En matière d’addiction, quand on observe une tendance, il faut toujours la resituer dans un contexte plus large : par rapport à ce qui s’est passé sur la période antérieure, par rapport aux tendances sur les autres substances psychoactives (cannabis, tabac , autres drogues) et par rapport aux grandes évolutions de la société, en France et au niveau international.

Sur l’alcoolisation des adolescents et jeunes adultes, les études, notamment celles menées par l’OFDT et Santé Publique France au collège, au lycée ou en population générale, sont concordantes. Elles montrent que les usages de tous les produits sont à la baisse, il n’y a donc pas substituabilité entre alcool, tabac, cannabis.

La baisse observée dans les consommations et dans les épisodes d’alcoolisation ponctuelle importante est notamment liée à une diminution des opportunités de contact avec le produit. Par ailleurs, les technologies de l’information et de la communication (TIC), les réseaux sociaux virtuels permettent aux jeunes de rester en contact avec leurs amis sans pour autant les soustraire systématiquement au regard des parents ou autres adultes référents : on peut être chez soi, dans un contexte beaucoup moins propice à l’alcoolisation, tout en restant très connecté à sa bande. Il faut souligner que ces opportunités de contact avec l’alcool ont tendance à diminuer ces dernières années, mais elles restent importantes, dans les soirées notamment.

L’interdiction de vente d’alcool aux mineurs va aussi dans ce sens et même si son application est dans les faits bien difficile à mettre en œuvre et à contrôler, la présence des affichettes (sous forme de rappel de la loi)  bien visibles sur les lieux de vente contribue à la « dénormalisation » de vente d’alcool aux mineurs.

Les adolescents démarrent de plus en plus tard leurs consommations, ce qui est très positif par rapport au risque de basculer ultérieurement vers des usages problématiques.

Quant à savoir si c’est un phénomène durable, nos outils d’observation et d’analyse ne nous permettent pas de le dire : nous disposons d’enquêtes précises, mais pas d’une boule de cristal. L’expérience nous permet néanmoins de dire que les facteurs sont multiples, qu’il y a des effets de mode importants, que l’accessibilité des produits joue un rôle crucial. Sur cette base, on peut faire quelques hypothèses : grâce aux études qualitatives qu’on a pu mener, on voit que l’image du tabac s’est nettement dégradée ces dernières années, mais celle de l’alcool pas vraiment, il est donc possible que la baisse observée ne soit que temporaire. En revanche, les nouveaux modes de sociabilité liées aux réseaux sociaux virtuels et à l’usage des TIC est une tendance de long terme qui pourrait aboutir à une baisse durable de l’alcoolisation des jeunes, en particulier des plus jeunes adolescents.

Les motifs de consommations sont nombreux et dépendent des contextes et des individus. Les jeunes constituent une cible privilégiée pour tous les acteurs de l’offre qui développent des stratégies pour rendre leur marchandise la plus visible et attrayante pour les jeunes. Face à cela, le rôle de l’entourage est capital. L’influence parentale domine dans l’enfance, avant de s’estomper au fil de l’adolescence au profit des modèles promus par les pairs. Les consommations s’inscrivant dans des pratiques relationnelles et de sociabilité, c’est d’ailleurs sur cette capacité à bien gérer l’éventuelle pression du groupe que se jouent une partie des actions de prévention aujourd’hui mises en place pour aider les jeunes.

Les actions de prévention visant à réduire les risques liés à l’alcoolisation des jeunes ne sont pas toutes efficaces. Pour l’être, il faut que ces actions s’appuient sur des méthodes validées et s’inscrivent dans la durée (les actions ponctuelles sont inefficaces).

Peut-on ainsi parler d'une fracture générationnelle (cf. par opposition aux raisons poussant les générations précédentes à boire plus) ou plutôt d'un changement de société global (développement du bio, mauvaise image de la cigarette...etc) ?

C’est une hypothèse qu’on ne peut écarter, mais je n’ai pas suffisamment d’éléments pour l’étayer solidement. Les parents de cette génération boivent moins et moins systématiquement que les parents des générations précédentes, cela contribue ainsi à diminuer la présence de boissons alcoolisées dans le quotidien et dans la norme familiale et cela a toujours un impact sur les comportements des jeunes.

Quand on regarde l’évolution de l’alcoolisation dans la population française depuis les années 1950, on a plus envie d’évoquer une baisse assez continue qu’une fracture générationnelle. Il faut enfin souligner que les niveaux d’alcoolisation ponctuelle importante des jeunes restent à des niveaux assez élevés, montrant qu’on est encore bien loin d’une génération sans alcool.

Enfin, cette baisse de la consommation chez les plus jeunes étaient contrebalancées par une hausse de la consommation chez les 20-25 ans, et notamment les filles. Avez-vous une explication ?

Les consommations régulières d’alcool concernent nettement plus les hommes que les femmes mais cette hausse chez les jeunes femmes est observée depuis la fin des années 1990 en France et elle rejoint une tendance qu’on a pu observer dans de nombreux pays europénes.

La consommation d’alcool a baissé régulièrement en France depuis les années 1950. L’alcool est désormais plus souvent consommé occasionnellement, mais également en plus grande quantités lors de ces consommations ponctuelles. Cela est surtout dû à la diminution de la consommation de vin, notamment au cours des repas. Elle est délaissée au profit de la bière, des alcools forts et des nouveaux types de boissons alcoolisées (mélanges aromatisés et sucrés) qui visent des publics plus jeunes et plus féminins.

On observe ainsi, depuis quelques années, un rapprochement des conduites d’alcoolisation des hommes et des femmes, à l’instar de l’uniformisation des rôles sociaux, plus marquée dans les classes favorisées et parmi les actifs occupés que chez les inactifs ou chômeurs. Ainsi, l’élévation dans l'échelle sociale s’accompagne, pour les femmes, d’un rapport plus étroit à l’alcool, qui peut être interprété comme un corollaire de leur émancipation.

Si ça vous intéresse, voici quelques autres commentaires sur l’alcoolisation des jeunes :

La principale préoccupation des parents vis à vis de leur enfant doit être d’éviter le contact précoce avec l’alcool. Il faut donc être vigilant, en particulier avant 15 ans, à veiller à ne pas banaliser l’usage des boissons alcoolisées.

Face à un adolescent qui boit régulièrement, il est nécessaire de reconnaître la notion de plaisir sous-jacente aux usages des adolescents (plaisir festif, convivialité, partage de valeurs, d’émotions…) dans la perspective d’un dialogue constructif. Ce qui importe c’est d’arriver à déceler derrière un comportement d’usage de substance quelle qu’elle soit une éventuelle souffrance ou une carence et, le cas échéant, réfléchir avec l’adolescent à d’autres solutions qui peuvent être mieux adaptées. Il est primordial que ce dernier les perçoive comme telles pour pouvoir s’y engager. Par exemple, un adolescent qui consomme un produit pour se donner confiance en lui et faire évoluer son image aux yeux des autres jeunes aurait pu puiser dans d’autres compétences (estime de soi) pour repousser ou limiter l’usage de substance. Encore une fois, tout va dépendre du style de l’adolescent, mais il peut s’appuyer sur de petites stratégies de protection pour résister aux sollicitations (danser, s’occuper de la musique…).

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