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L’art d’être français et de ne pas démissionner... ou ce que le destin de Christophe Castaner révèle de l’état de la démocratie française
©GERARD JULIEN / AFP

"Attaque" de la Pitié-Salpêtrière

Christophe Castaner a reconnu vendredi qu'il aurait dû évoquer une "intrusion violente" concernant l'incident à la Pitié-Salpêtrière. Une étude, menée dans une centaine de pays, montre que les citoyens les plus sceptiques à l'égard de la démocratie et des institutions libérales seraient ceux qui se revendiqueraient du centre.

Olivier Gracia

Olivier Gracia

Essayiste, diplômé de Sciences Po, il a débuté sa carrière au cœur du pouvoir législatif et administratif avant de se tourner vers l'univers des start-up. Il a coécrit avec Dimitri Casali L’histoire se répète toujours deux fois (Larousse, 2017).

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico.fr : Après s'être publiquement fourvoyé à l'issue de la manifestation du 1er mai et sa déclaration sur l'attaque de la Pitié-Salpétrière par des Gilets Jaunes, Christophe Castaner, pourtant critiqué de nombreuses fois depuis sa prise de fonction en tant que ministre de l'Intérieur, ne devrait pas démissionner. Dans quelle démocratie, après de telles bourdes à un poste d'une telle importance une telle chose est-elle possible ? N'y a-t-il pas dans ce refus du pouvoir de céder une forme de défaillance à déceler dans sa vision de la démocratie ?

Olivier Gracia  : Ce qu'il faut surtout voir, c'est qu'Emmanuel Macron a aujourd'hui une équipe de fidèles soldats et ce qui est évident, c'est que Castaner représente pour lui une forme de fidélité. Quelles que soient ses erreurs et l'opinion qui lui est destinée, Emmanuel Macron le gardera auprès de lui. C'est d'ailleurs une manière pour lui de dire qu'il ne dépend pas de l’opinion publique dans le choix de ses ministres ni dans le choix de ses politiques. Il est comme ça depuis le début : toujours assez distant par rapport aux sondages et aux opinions, et comme il a une certaine dimension du pouvoir, il veut être seul décisionnaire. Et même pour une question de ressources : entre tous les collaborateurs qui ont déjà quitté l’Élysée, les différents ministres qui sont partis, ce n'est pas comme si Emmanuel Macron avait un vivier d'hommes politiques qui seraient prêts à assumer ses fonctions, fonctions difficiles, délicates et exigeantes. 

Selon une étude menée sur des données issues d'une centaine de pays, par le politologue britannique David Adler, les citoyens les plus sceptiques à l'égard de la démocratie et des institutions libérales seraient ceux qui se revendiqueraient du centre. Ainsi, en Europe, seuls 42% des "centristes" considèrent que la démocratie est un bon système, alors que la majorité des autres électeurs la jugent ainsi. LREM, dans sa façon de gouverner, n'illustre-t-elle pas parfaitement cette tentation censitaire, cette méfiance antidémocrate du peuple ?

Vincent Tournier : Le risque est d’abord de faire de mauvais diagnostics, voire des contresens. On assimile les électeurs qui votent mal à des fascistes en puissance alors que nombre d’entre eux aspirent au contraire à faire prévaloir les principes démocratiques. Or, plaquer une étiquette infâmante sur des électeurs démocrates n’est pas la meilleure manière de résoudre les problèmes.

L’autre risque, plus important, est de discréditer la démocratie. La situation est assez cocasse : ce sont les partis contestataires qui se revendiquent de la démocratie (il suffit de voir le FN ou la France insoumise, lesquels ne cessent de réclamer des référendums) alors que les partis de gouvernement hésitent à utiliser le mot, préférant dénoncer le populisme et la démagogie. Le risque est que le terme de démocratie devienne un gros mot, un label infâmant. C’est un peu ce qui s’est produit en France avec la laïcité : jusqu’à une date récente, la laïcité était défendue par les élites et par les gens modérés, mais depuis quelques années, on a assisté à un basculement qui fait que celle-ci est désormais défendue par des acteurs plutôt périphériques, voire par le Front national, alors que les partis de gouvernement la délaissent ou la considèrent franchement comme un problème. Dans le cas de la démocratie, on peut craindre une évolution comparable. Faut-il s’attendre à voir émerger un discours officiel, avec le soutien des médias et des institutions culturelles, expliquant que, tout compte fait, la démocratie, ce n’est pas vraiment formidable ? On n’y est pas car, pour l’heure, les électeurs continuent d’y croire. Mais la situation deviendrait assurément beaucoup plus compliquée s’ils venaient à changer d’avis.

Pourtant, ne peut-on pas voir ici, ou supposer, une différence de nature entre un pouvoir autoritaire souhaité par la droite, et un pouvoir autoritaire souhaité par les centristes ? 

Vincent Tournier : C’est l’autre résultat important de David Adler : il montre que, non seulement les centristes sont moins sensibles aux valeurs démocratiques, mais qu’en plus ils sont davantage demandeurs d’un pouvoir fort. Les centristes ne sont donc pas seulement éloignés de la démocratie ; ils ont bel et bien des velléités autoritaires. Cet attrait pour l’autoritarisme peut s’expliquer par une forme d’incompréhension par rapport aux élections : c’est le sentiment que le peuple ne suit pas, donc qu’il faut le ramener dans le droit chemin. On voit bien, depuis quelques années, que les résultats des urnes sont jugés décevants par une partie des élites. Le peuple vote mal. C’est un argument qui est ancien en France puisqu’il est apparu lorsque le FN a commencé à s’imposer dans le jeu électoral : dès les années 1980, des observateurs se plaisaient à rappeler qu’Hitler l’avait également emporté dans les urnes, argument qui n’est pas tout à fait exact. Depuis, cette suspicion a pris de l’ampleur. Elle s’est affirmée en 2005 lors du référendum sur la Constitution européenne, puis en 2009 lors du référendum suisse sur l’interdiction des minarets, et plus récemment lors du Brexit et de la victoire de Trump. Le succès des partis populistes conforte régulièrement cette méfiance. Les électeurs sont accusés de ne pas être fidèles aux valeurs démocratiques. Or, si on suit l’analyse d’Adler, c’est justement tout le contraire : c’est au nom de la démocratie que les électeurs se détournent des partis de gouvernement. C’est pourquoi le diagnostic sur la situation actuelle n’est pas très satisfaisant : régulièrement, on voit des observateurs qui s’insurgent contre les poussées populistes, les accusant de brader les valeurs démocratiques, comme l’a encore fait récemment Le Monde à propos de l’Italie, alors que le moteur de ces contestations est plutôt de nature démocratique face à des gouvernements qui ignorent les volontés populaires. Et curieusement, ces mêmes observateurs n’adressent pas la même critique aux institutions européennes alors que celles-ci ne sont guère satisfaisantes du point du vue des standards démocratiques. Bref, c’est toujours la faute des électeurs, jamais celle des élites. Pourtant, dans une entreprise, si un produit ne se vend pas, on ne va pas s’amuser à dire que c’est parce que le client n’est pas à la hauteur.

A jouer à l'opposition frontale contre le populisme, le macronisme ne se tend-il pas un piège en laissant aux extrêmes le combat pour la démocratie et contre une forme d'autoritarisme ? 

Olivier Gracia : Le vrai danger de l'impasse macronienne c'est que Macron va vouloir reproduire sans cesse le schéma qui nous a été offert en 2017 lors de l'élection présidentielle, à savoir : lui et la démocratie contre les extrêmes. Finalement, il ne laisse pas d'autres possibilités aux Français, et sa campagne européenne en est un bon exemple, que celle de choisir entre d'un côté les progressistes et de l'autre les populistes. Il donne cette impression qu'il est, lui, l'incarnation de la République, de tout ce qui reste de la démocratie et de la République puisque le reste n'existe plus, et que c'est lui contre les extrêmes. Cette position l'avantage beaucoup dans le sens où les Français ne sont pas extrêmes, dans la grande majorité, sinon le pays aurait basculé. D'ailleurs quand les Gilets jaunes posent la question de la démission de Macron, la première réponse du camp de la Macronie, est de dire qu'il n'y a pas d'alternative aujourd'hui à Emmanuel Macron. C'est lui contre le reste du monde.

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