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Facebook et Google seront-ils has-been dans 5 ans ?
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RIP

A l'image du destin de MySpace qui était l'une des premières réussites du web avant de perdre son attractivité à vitesse grand V, quelques experts annoncent la fin des géants de l'Internet Google et Facebook, qui n'arriveraient pas à moderniser leurs modèles économiques.

"Ajoute-moi sur MySpace". Cette affirmation a beaucoup de chances de faire sourire vos interlocuteurs. Plus personne n'est sur MySpace aujourd'hui, si ce n'est quelques fans de musique. Pourtant, le réseau social fondé en 2003 était encore incontournable il y a à peine sept ans, un peu comme l'est Facebook aujourd'hui. Et de se demander si Facebook, mais aussi Google, pouvaient eux-aussi disparaître ? Pas complètement bien évidemment, mais devenaient, comme Myspace, les has-been du web. Cette théorie a quoi de faire sourire, d'autant plus quand tout le monde affirme que l'entrée en bourse de Facebook prévue le 18 mai sera la plus grosse d'une entreprise de la net économie, après Google justement. Mais cette idée fait son bout de chemin.

Jean-Pascal Mathieu, directeur de l'innovation d'une agence digitale, affirme ainsi sur un blog de l'Express que Facebook ne durera pas. Selon lui, la cote de popularité du réseau social devrait s'estomper avec l'arrivée de nouvelles générations."Plus il devient mass-media, moins il est sexy. Tôt ou tard surgira un réseau social alternatif qui deviendra le nouveau lieu des rebelles de tous âges. Facebook est condamné à subir ce qu'il a infligé aux Skyblogs ou à Myspace : une ringardisation accélérée". Facebook, l'annuaire des années 2000 ? Plusieurs concurrents sont déjà venus se frotter au site crée par Mark Zuckerberg : LinkedIn, Viadeao, WePlug, et surtout GooglePlus, qui devait détrôner Google. Mais rien. Rien ne s'est vraiment produit et Facebook reste le leader incontesté des réseaux sociaux. GooglePlus ne compte que 60 millions d'utilisateurs quand Facebook en réunit 800 millions !

Le changement de générations n'est toutefois pas l'unique raison avancée pour expliquer la fin de Facebook.

Eric Jackson, diplômé d'un doctorat de l'UFR Management de l'Université de Columbia à New York, ne donne pas cinq ans à Facebook et Google. Selon lui, les deux entreprises n'arriveront pas à se moderniser. Ils évoquent trois phases. La phase Web 1.0 qui a vu le succès des moteurs de recherche, comme AltaVista, Lycos ou encore Excite. Mais tous, si ce n'est Google, ont quasiment disparu. La phase Web 2.0 correspond à l'essor des réseaux sociaux, les plus célèbres restant Myspace, qui a fait son temps, Facebook ou encore LinkedIn. Nous entrons aujourd'hui peu à peu dans une troisième phase dans laquelle les compagnies considèrent les téléphones portables comme la plateforme la plus importante pour se développer. Bonjour le succès d'Instagram. Certains affirment ainsi que les géants d'ajourd'hui n'arriveront pas s'insérer dans la troisième phase. L'application Facebook pour tablettes et téléphones a mis très longtemps avant d'être lancée, et n'est que l'ombre de ce qu'elle est sur ordinateur. Google a beaucoup de mal ne serait-ce qu'à entrer dans la phase deux. Et Yahoo n'est plus ce que l'entreprise a été au début des années 2000. Même si les trois entreprises continuent à gagner de l'argent, rien à voir avec leurs heures glorieuses. Le rachat d'Instagram, entreprise de phase trois, par Facebook indiquerait que l'entreprise de Mark Zuckerberg cherche à se moderniser. Mais Eric Jackson n'y voit que "la peur de Facebook de se faire doubler par une entreprise liée aux téléphones portables". Facebook, Google, colosses aux pieds d'argile ?

Les deux entreprises trouvent des défenseurs. Haydn Shaughnessy affirme qu'elles ne peuvent disparaître car c'est tout un système qui disparaîtrait avec elle. Rendez-vous dans cinq ans alors pour voir qui a raison.

Atlantico a interrogé Edouard Fillias, homme d'affaires, consultant en communication et spécialiste des stratégies digitales.

Atlantico : Et vous, pensez-vous que Google et Facebook risquent de mourir ? Y a-t-il des risques qu’ils périclitent ? Ou peut-on imaginer qu’ils seront toujours là dans 5 à 6 ans ?

Edouard Fillias : Un des exemples les plus frappants, c’est Altavista, qui était Le moteur de recherche de référence à la fin des années 90, et qui en l’espace de deux mois a été balayé par Google. Le propre d’un avantage construit sur la technologie, c’est qu’il est friable. Quand on construit ses différences sur le marché par une technologie, on peut être très rapidement dépassé par une autre technologie.

C’est arrivé à beaucoup d’entreprises Internet. C’est d’ailleurs pourquoi Google investi autant d’argent sur des secteurs aussi variés que les solutions de « Cloud computing », la bureautique en ligne, l’archivage de livres ou la géolocalisation et la recherche de documents. Pourquoi cet éclectisme ? Simplement pour consolider le plus possible leur avantage acquis. En fait, y a une transition chez Google de la technologie au contenu.

Donc, oui, Google et Facebook sont éminemment en danger, ce qui explique pourquoi Facebook est prêt à mettre 1 milliard de dollars pour racheter Instagram, qui compte seulement 14 collaborateurs. Le prix peut sembler énorme, mais en réalité il est à la mesure du risque de Facebook. Car ils savent qu’une boite de 10 personnes peut inventer le nouveau Facebook. Ce qui a été fait par Mark Zuckerberg peut être fait par d’autres.

C’est ce qui explique aussi la bataille des brevets à laquelle on assiste actuellement entre les géants de l’Internet. Car une autre façon de se protéger lorsque l’on a connu le succès, c’est le fortifier sa propriété intellectuelle. Mais les brevets sont souvent des forteresses de papier, car il est difficile d’empêcher l’innovation avec un brevet, fut-il très ciblé.

Existe-t-il des exemples d’entreprises qui ont été capables de s’adapter et de survivre sur la durée ?

Oui, par exemple IBM était connu dans les années 70 et 80 pour être un fabricant d’ordinateurs. Mais l’entreprise a complètement raté le virage vers l’ordinateur personnel, l’invention du « personal computer ». Au contraire, IBM, c’était l’ordinateur d’entreprise.

Mais Ils ont quand même réussi à se reconvertir, en changeant leur business model et en passant sur une logique de service. Aujourd’hui, ce sont les champions de l’ingénierie complexe, de la résolution de problèmes, de l’installation de systèmes informatiques en fonction des besoins de l’entreprise. Bref, c’est devenu une société de conseil. Ils ont su se réinventer.

Autre exemple : Apple. Au départ, c’était un fabricant d’ordinateurs. Ils ont eu le génie de s’étendre à de nouveau territoires, comme la téléphonie, les tablettes et la distribution de musique. Mais finalement, ce qui fait le cœur de la valeur ajoutée d’Apple, c’est le positionnement qu’ils ont su inventer, c’est-à-dire rendre la technologie facile et accessible à tous. Ils ont déplacé le cœur de leur valeur ajoutée depuis la technologie elle-même, vers les services qui rendent la technologie accessible à tous.

Qu’en est-il des entreprises comme Facebook qui travaillent véritablement sur Internet ? Existe-t-il des exemples d’entreprises qui ont su s’adapter ?

Il y a une entreprise archétypale : Amazon. Tout le monde pensait que Jeff Bezos allait finir par s’écrouler. Dix fois, on l’a cru mort. On l’a cru mort quand l’e-commerce a explosé, et qu’il s’est retrouvé avec des concurrents sectoriels, des super-portails vendant aussi des livres. Le positionnement de vendeur de livre qui était celui d’Amazon était contesté par une dizaine d’autres portails de vente de livres en ligne. Ils ont su se réinventer.

Ils sont devenus les champions de la logistique. Ils ont mis en place des procédés d’une technologie incroyables pour livrer à temps des livres, assurer le service client, gérer la relations avec le client. Ce sont les inventeurs de la relation client sur internet. Ils ont su déplacer leur business model de la vente de livres en ligne vers la relation avec le client et à la logistique.

Aujourd’hui Amazon est en train de devenir un supermarché : ils ouvrent des segments sur les produits de grande consommation comme les vêtements, les jeux et jouets. Autre exemple : Skype. L’entreprise a quand même presque dix ans. Ils ont eu des problèmes terribles, des limites techniques par exemple des problèmes de qualité de la voix portée. Ils ont su s’adapter aux attentes des consommateurs : ajouter de la technologie, par exemple des vidéos, dès que ça a été possible.

On dit souvent que sur Internet, tout va plus vite. Est-ce aussi le cas pour le besoin d’innover et de s’adapter ?

Sur Internet, vous avez deux paramètres : la technologie d’une part, et les usages de la technologie d’autre part. Ce sont deux choses différentes qui peuvent être au diapason, ou ne pas l’être. La technologie peut être très en avance par rapport aux usages. C’est le cas pour la géolocalisation : on peut faire beaucoup plus de choses que l’on en fait en réalité. Mais les gens ne sont pas habitués, par exemple dans leurs magasins, à faire appel aux fonctions de géolocalisation.

Dans d’autres domaines, la technologie est à la traine. Les gens en voudraient plus. Par exemple, la voix sur IP (la diffusion du flux de la voix sur les réseaux Internet, ndlr) pourrait marcher beaucoup mieux si la technologie était un peu plus performante.

Même chose pour le téléchargement en ligne, de vidéos, de films et de séries. La plupart des gens vont sur le site DP Stream pour faire du streaming. Il n’y a pas en face une technologie et une offre qui permettraient de distribuer et de monétiser les vidéos sur Internet. Alors chacun fait son offre de vidéo à la demande et de vidéos de rattrapage.

De toute façon, quand vous êtes une entreprise de l’Internet, vous êtes voué à être dépassé, soit par les usages, soit par la technologie. Vous êtes dans une bataille constante contre le marché et contre  vos concurrents pour rester dans le coup en termes de technologie et d’usages. Mais cette bataille, vous êtes à peu près sûr de la perdre tôt ou tard. Parce que plus vous grossissez, plus vous avez de salariés, de couts, de frais, plus vous êtes rigide, plus vous avez de management intermédiaire, plus le changement devient difficile.

Une nouvelle technologie arrive sur le marché, et tout d’un coup il faut tout déconstruire, et tout reconstruire. Cette adaptation est facile quand vous êtes 10, c’est un casse-tête chinois quand vous êtes 1000. La seule façon que les entreprises de l’internet ont de résister à l’épreuve du temps, c’est de déplacer leur avantage compétitif vers une autre forme de positionnement auprès de leur client. C’est ce qu’ont réussi Apple et Amazone.

Google, c’est leur stratégie. Ils ont développé une technologie d’algorithme de recherche. Mais ils ne parient pas sur cet algorithme pour leur avenir en tant que business. Ils parient plutôt sur les contenus qu’ils arriveront à stocker, et sur leur capacité à s’étendre à de nouveaux produits. Facebook aussi invente de nouveaux usages. « Shuffle status » qui permet de porter votre statut Facebook sur l’ensemble du web, et donne la possibilité à n’importe qui de « liker » ce statut.

Mais il n’est pas toujours évident d’innover. Quand vous grandissez, la bureaucratie s’accroit, mais aussi l’arrogance : vous commencez à empiler les millions, votre statut social s’élève, vous commencez à penser que vous savez tout mieux que tout le monde. Peu de gens échappent à ce phénomène assez humain.

Par exemple, je ne trouve pas que ce soit un très bon signal que Mark Zuckerberg  fasse ses présentations à ses investisseurs en jean et baskets. C’est peut-être le signe qu’il perd le contact avec une certaine forme d’humilité. Je ne vais pas extrapoler, mais Facebook est une boite qui ne tient à pas grand-chose.

Pour en savoir plus, Atlantico a également interrogé Nicolas Colin, fondateur de la société technologique CauseBuilder, spécialisée dans le social marketing et maître de conférence à l'Institut d'études politiques de Paris

Atlantico : Les entreprises telles Lycos ou MySpace peuvent-elles survivre à un changement de génération ?

Nicolas Colin : Les utilisateurs d'Internet sont comme des enfants : ils s'enthousiasment très vite, mais ont tôt fait de se lasser et de s'échapper ailleurs. Il sont si sollicités qu'il est difficile de capter leur attention. Ils utilisent Internet dans leur intimité, une sphère dans laquelle ils tiennent à conserver – et c'est normal – une maîtrise absolue de ce qui se passe. Des entreprises comme Lycos ou Myspace sont probablement vouées à disparaître car, pour des raisons diverses, elles n'évoluent pas assez vite ni assez fort pour continuer à captiver leurs utilisateurs. Tandis que Facebook surprend et passionne par la mise en ligne fréquente de nouvelles fonctionnalités, par l'évolution continue de son interface, par l'intensité des interactions entre ses utilisateurs, ces entreprises plus anciennes sont comme figées, monotones et vite périmées.

En reprenant les exemples d'Amazon et Google, est-il possible pour une entreprise de rattraper les failles initiales d'un modèle économique ?

Bien sûr. Jeff Bezos, PDG d'Amazon, s'est aperçu très tôt d'une faille gigantesque de son modèle économique : la diminution de ses marges. Lorsque vous faites de la vente de détail en ligne, l'intensité de la concurrence vous oblige à baisser les prix, à rogner vos marges. Pour préserver sa rentabilité, un *e*-commerçant est condamné à croître sans cesse ou à disparaître. Un article fameux de 1999, écrit par le grand éditorialiste du New York Times Thomas Friedman, identifiait bien cette faille du modèle économique d'Amazon et prédisait sa disparition prochaine. Mais Amazon n'a pas disparu, parce que Bezos a pressenti le danger et a transformé radicalement son modèle économique : en quelques années, il a imposé à ses équipes la transformation de toute son infrastructure informatique en une architecture orientée services, puis a mis ces services à la disposition du marché. Avec Amazon Web Services, Amazon a généré une nouvelle source de revenus à partir d'une infrastructure existante, et s'est même payée le luxe de continuer à y pratiquer des faibles marges.
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Facebook a montré sa lenteur de réaction quant à la prise de conscience de l'importance du surf sur les portables... Est-il trop tard ?

Cette lenteur de réaction est la conséquence de contraintes technologiques. Un portable est dotée d'une interface beaucoup plus petite qu'un ordinateur. La qualité de la connexion est bien inférieure : elle est plus lente, souvent coupée en cours de navigation. C'est pourquoi, sur un téléphone portable, il est beaucoup plus agréable d'utiliser une *app* au périmètre fonctionnel restreint qu'une application aussi riche et dense que
celle que propose Facebook. Le succès des *App Stores *n'a pas d'autre explication : sur un téléphone, une application ne peut utiliser qu'un nombre limité de ressources et doit rendre un service bien circonscrit et optimisé. Sur le Web, c'est différent : une expérience peut s'appuyer sur des centaines de services différents, dont elle mélange les ressources d'une infinité de manières, avec une porosité très grande entre applications. C'est d'ailleurs une limite des applications mobiles : remarquablement conçues et réalisées, mais cloisonnées et aux ressources limitées. HTML5 permet d'adapter le Web aux terminaux mobiles et de recréer cette profondeur qui fait la richesse de la navigation sur Internet. Mais les connexions restent de mauvaise qualité, la navigation est lente et met à l'épreuve la patience des utilisateurs.

Facebook qui achète Instagram prouve-t-il qu'ils ont conscience de cette prise de retard... Cela suffira-t-il ? 

 Il y a probablement de ça. Facebook est une application inventée pour une utilisation depuis un ordinateur. Elle est riche, large, extrêmement personnalisée, en temps réel, elle se ramifie profondément dans Internet. Il n'y a pas de Facebook sans les liens partagés qui nous emmènent vers d'innombrables ressources ailleurs sur le Web. Cette expérience unique est difficile à transposer sur mobile : lorsque vous cliquez sur un lien dans Facebook, votre iPhone ouvre Safari et tente péniblement de charger une page qui, bien souvent, n'a pas été optimisée pour s'afficher sur un si petit écran. Facebook excède donc purement et simplement les capacités fonctionnelles et techniques des téléphones portables. Pour cette raison, les dirigeants de Facebook ont peut-être conclu qu'ils devaient découper l'expérience Facebook en une collection de mini-applications indépendantes, au périmètre fonctionnel beaucoup plus restreint. L'une de ces applications, c'est le partage de photographies. Et la meilleure application sur ce marché, c'est Instagram.
Nicolas Cilin publiera le mercredi 16 mai prochain, L'Âge de la multitude – Entreprendre et gouverner après la révolution numérique, co-écrit avec Henri Verdier 

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