Elections en Israël : la France comprend-elle encore ce qui se passe au Moyen-Orient ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Elections en Israël : la France comprend-elle encore ce qui se passe au Moyen-Orient ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Entretien "informel"

Yair Lapid, numéro 2 du parti Kakhol s'est rendu ce vendredi à Paris pour une rencontre "informelle" avec Emmanuel Macron à seulement quelques jours des élections.

Frédéric Encel

Frédéric Encel

Frédéric Encel est Docteur HDR en géopolitique, maître de conférences à Sciences-Po Paris, Grand prix de la Société de Géographie et membre du Comité de rédaction d'Hérodote. Il a fondé et anime chaque année les Rencontres internationales géopolitiques de Trouville-sur-Mer. Frédéric Encel est l'auteur des Voies de la puissance chez Odile Jacob pour lequel il reçoit le prix du livre géopolitique 2022 et le Prix Histoire-Géographie de l’Académie des Sciences morales et politiques en 2023.

Voir la bio »

Atlantico : Emmanuel Macron a reçu Yair Lapid, candidat d'opposition à Benjamin Netanyahu lors des prochaines législatives qui auront lieu le 9 avril. Cet entretien, à la demande du candidat israélien, était "informel", précise l'Elysée et a eu lieu "à sa demande". L'Elysée a fait valoir les liens d'amitié entre Yair Lapid et Emmanuel Macron pour justifier cette rencontre. Mais à quatre jours du scrutin législatif israélien, cette rencontre ne sonne-t-elle pas comme une prise de position de la France envers un candidat que les sondages placent au coude à coude avec Netanyahu ?

Frederic Encel : D'abord, il est vrai que des contacts ministériels avaient déjà eu lieu entre les deux hommes respectivement aux affaire économiques voilà plusieurs années. Ensuite, il existe une forme de connivence générationnelle - même si Emmanuel Macron est plus jeune - et idéologique, au sens où les deux personnages politiques assument d'incarner ce qu'ils considèrent, là encore respectivement en France et en Israël, comme une sorte de rempart progressiste face au populisme montant dans nos démocraties. Enfin, le Français comme l'Israélien ne se définissent ni de droite ni de gauche. Quant à savoir si le Président de la République s'invite dans la campagne israélienne, on peut le voir ainsi ; néanmoins, en regard des gestes et mots lourds et massifs des Trump, Poutine et autre Bolsonaro, franchement, on fait là dans la dentelle !  
Mais inversons donc le postulat : si le candidat Lapid (n°2 de la nouvelle formation centriste Bleu-Blanc défiant le Likoud) a en effet demandé à rencontrer publiquement Macron, c'est bien que la France représente d'une façon ou d'une autre un pays de poids et de valeur aux yeux d'une partie importante de l'opinion israélienne ! Une réalité hélas trop ignorée chez nous et que je m'échine à rappeler depuis de longues années. 

Au menu de cette rencontre, des discussions autour du Moyen-Orient, du danger de l'Iran, de la montée de l'antisémitisme en Europe. Des discussions dignes d'une rencontre entre chefs d'Etat. Benjamin Netanyahu se vante d'avoir noué des relations personnelles et de confiance avec la diplomatie américaine, russe et japonaise, indienne, et s'érige en clé de voûte de la pacification au Moyen-Orient. En discutant de ces sujets avec un homme qui n'est pas élu ni chef de l'Etat d'Israël, Emmanuel Macron ne commet-il pas une erreur de lecture des enjeux géostratégiques au Moyen-Orient ?


Je nuancerai le propos, car d'une part Lapid est un élu - certes simple député (tout de même important) mais aussi un ancien ministre qui, dans les prochaines semaines, retrouvera peut-être un poste - d'autre part le Président français s'adresse à un bon connaisseur du Moyen-Orient. Après tout, on ne peut pas reprocher à l'hôte de l'Elysée d'avoir fort bien reçu et à plusieurs reprises le chef du gouvernement hébreu sortant ! Et puisque ses suggestions et recommandations qu'il lui a adressées ne semblent pas avoir porté, il choisit de recevoir aussi, à présent, un membre éminent de l'opposition et candidat de surcroît. Qu'est-ce que la France va y perdre en cas de victoire de Netanyahou ? Rien. En revanche, en cas de victoire de l'équipe centriste  Gantz/Lapid/Ashkenazi/Yaalon concurrente, peut-être l'influence de Paris y gagnera-t-elle. J'ajouterais que ce choix illustre assez bien la politique du tandem Macron/Le Drian ; jouer sans complexe une partition à la fois autonome et relativement proactive, y compris quand cela ne plaît guère à des gouvernements amis et/ou jaloux de leur influence dans telle zone ou sur tel dossier. 

Si Netanyahu devait perdre les élections, le processus de pacification du Moyen-Orient serait-il mis en péril ou retardé ? 

J'avoue que votre expression me laisse un peu perplexe. Même si la région fut à maintes reprises plus instable et chaotique qu'aujourd'hui, je ne décèle pas de vrai "processus de pacification"... Et si l'on décide d'admettre qu'un tel phénomène positif existe, je ne suis pas convaincu que le premier ministre israélien en constitue un moteur déterminant. Mais votre question renvoie à une interrogation très légitime : si Benny Gantz l'emporte, la politique diplomatique, sécuritaire, économique ou militaire de l'Etat juif en sera-t-elle substantiellement modifiée ? Je n'y crois pas, tout comme je ne crois pas à un changement de perception du monde arabe dans ce cas de figure. D'abord parce que l'ancien chef d'état-major n'est pas précisément un gauchiste et son bloc Bleu-Blanc entretient une vision très maintream de la défense et des intérêts stratégiques d'Israël, ensuite parce que le monde arabe sunnite se consacre essentiellement à son opposition massive et frontale à l'Iran chiite et ses alliés. A la limite, c'est sans doute sur le volet israélo-palestinien qu'il pourrait se produire des avancées, du moins si la nouvelle coalition incarne suffisamment de cohérence entre les partis qui la composent, ce qui reste à voir. En revanche, c'est sur les questions sociétales et identitaires internes à l'Etat hébreu qu'une coalition centriste - dépourvue d'ultra-orthodoxes - pourrait réorienter le pays, en imposant par exemple à ces derniers le service militaire, ou en défendant âprement le système démocratique menacé par des formations nationalistes. A la fin des fins, quelle que soit l'issue du scrutin, je n'envisage pas de renversement au Proche-Orient lié à cette élection démocratique.  

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !