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Acte XXI : s’organiser pour éviter les pièges du « Grand débat »
©GEORGES GOBET / AFP

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La faible mobilisation de l’Acte XXI traduit-elle un essoufflement du mouvement des « Gilets jaunes », ou un changement de son axe d’effort au moment où débute la restitution des enseignements du « Grand débat national » par le gouvernement et alors que le Président imagine les propositions qui lui permettraient de clore la crise ? Et si nouvel axe il y a, comment penser les nouvelles luttes à mener ? Comment pourrait se survivre ce mouvement atypique ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : L’Acte XXI succède aux autres et finalement semble avoir moins mobilisé. Est-ce la fin du mouvement ou un essoufflement temporaire ?

Christophe Boutin : 33.700 manifestants pour l’Acte XX, (dont 4.000 à Paris), c’était peu – même si le Nombre jaune parlait lui de 105.084 manifestants. Avec 6.300 manifestants recensés à 14 heures, dont 3.100 à Paris (contre respectivement 5.600 et 1.800 la semaine dernière), on pouvait penser que la participation serait meilleure pour cet Acte XXI. Mais les 22.300 manifestants recensés en fin de journée par le ministère de l’Intérieur – et même si le Nombre jaune parle d’un total de 73.420 manifestants – prouvent le contraire. Il ne s’agit pas ici d’enterrer un mouvement qui a déjà connu des soubresauts, et ressurgi quand on ne l’attendait plus, mais on peut constater une déflation.

Pour le reste, nous sommes restés avec cet Acte XXI sur un terrain connu, avec d’abord deux manifestations à Paris, dont l’une avait pour thématique : « Pour une justice fiscale, sociale et écologique ». Elle partait de la symbolique place de la République pour se terminer dans le non moins symbolique quartier d’affaires de La Défense, son principal promoteur, Éric Drouet, voulant dénoncer « l’art de l’optimisation fiscale ». Une partie du cortège a tenté de sortir de l’itinéraire déclaré pour se diriger vers les Champs-Élysées, zone interdite, mais ils ont été stoppés par la police. Il y eut par ailleurs une courte tentative pour bloquer le périphérique, vite bloquée elle aussi.

En province ensuite, Rouen (appel à une « convergence nationale »), Nantes (« convergence régionale »), Lille (avec les « Marianne ») et Toulouse (appel à venir masqué pour un « carnaval des Gilets jaunes ») semblaient être des villes particulièrement visées. De fait, à Rouen (900 personnes, avec notamment des manifestants de la CGT) des heurts ont eu lieu entre les forces de sécurité et des jeunes vêtus de noir et scandant des slogans hostiles à la police, et il y eut bien quelques tensions à Lille, Nantes ou Toulouse, mais nous sommes très loin des scènes de guérilla urbaine déjà vues. Les manifestations avaient aussi lieu à Lyon, Dijon, Nice, Montpellier, Caen (600), Rethel (dans un centre commercial), Amiens, Bordeaux (où peu des 1.500 manifestants portaient un gilet jaune), Troyes (150) ou Calais (50).

On recensait enfin trois actions « ciblées : le 5 au soir quelques dizaines de « Gilets jaunes » ont été délogés des abords de la maison d’Emmanuel Macron au Touquet ; le 6 au matin il y eut la tentative de blocage de l’autoroute A9 près de la frontière avec l’Espagne au Boulou ; enfin, il faut signaler les 300 manifestants présents sur le barrage hydroélectrique de Bort-les-Orgues (Corrèze), pour une action visant à s’opposer à la possible privatisation des barrages, une « vente de la France à la découpe » selon eux.

Face à cela, il y avait interdiction des manifestations, à Paris sur les Champs-Élysées et dans le périmètre qui entoure l’Élysée et l’Assemblée nationale, et, en province, dans de nombreux centre-ville - Rouen, Caen, Toulouse, Charleville-Mézières, Auxerre ou Bourg-en-Bresse… On comptait à 16h plus de 10.270 contrôles préventifs à Paris seulement, 28 interpellations, et la verbalisation de certaines personnes – dont Éric Drouet – pour leur présence dans un périmètre interdit aux manifestations.

Une impression de déjà-vu donc, avec un mouvement retrouvant la plupart du temps de manière assez claire les revendications purement sociales des organisations politiques et syndicales de gauche. Un mouvement qui, certes, mobilise encore pour sa XXIème semaine d’action, mais qui mobilise de moins en moins, et qui doit donc se poser la question de son renouvellement.,

Comment justement se pose cette question du renouvellement ? Par des actions nouvelles, ou par une continuité ? Et s’il y a des actions nouvelles, comment pourraient-elles s’organiser ?

L’un des éléments spécifiques de cet Acte XXI était la tenue à  Saint-Nazaire d’une « assemblée des assemblées », sur le modèle de celle qui s’était tenue à Commercy à la fin du mois de janvier. 70 délégations venues de toute la France étaient alors présentes, et il en serait venu selon les organisateurs plus de 250 à Saint-Nazaire, 700 personnes réunies dans l’ancien  bâtiment de Pôle emploi rebaptisé pour la circonstance « Maison du peuple ».

Les intervenants étaient invités à réfléchir autour de plusieurs axes. Il s’agissait déjà de faire un bilan des moyens d’actions utilisés ou envisagés, et de leurs impacts passés, présents et futurs, comme de s’organiser dans la « lutte contre la répression ». On rappellera sur ce point que, selon la Chancellerie, il y a eu 8.645 gardes à vue depuis le 17 novembre, donnant lieu à 1.665  comparutions immédiates et à 800 condamnations à de la prison ferme - dont beaucoup ont fait l’objet d’aménagement, avec 388 mandats de dépôt.

On a beaucoup évoqué dans les médias le fait que le Conseil constitutionnel a déclaré jeudi inconstitutionnelle la disposition de la loi dite « anticasseurs » qui permettait à l’autorité administrative d’interdire de « participer à une manifestation sur la voie publique », voire « de prendre part à toute manifestation sur l'ensemble du territoire national pour une durée d'un mois » à des personnes présentant une menace « d'une particulière gravité » pour l’ordre public. Il est vrai que la Haute juridiction a considéré que les termes de la loi, trop vagues, portaient « au droit d'expression collective des idées et des opinions une atteinte qui n'est pas adaptée, nécessaire et proportionnée ». Mais il convient par ailleurs de noter que le même Conseil constitutionnel a par ailleurs validé la possibilité de fouilles préventives à la recherche d’armes – notion qui peut être largement entendue -, la mise en place de sanctions à l’encontre de manifestants se cachant le visage, et, surtout, qu’il n’a pas sanctionné le principe même de ces interdictions administratives, se contentant de trouver le texte mal équilibré. On comprend qu’il faille, dans ce nouveau cadre, se poser la question des modes d’action les plus efficaces.

Mais pour agir, encore faut-il qu’il y ait un minimum de cohérence. « L’assemblée des assemblées » de Saint-Nazaire devait envisager aussi des éléments touchant à l’organisation même, sinon du mouvement des « Gilets jaunes » au niveau national, au moins de ses organes de coordination. Comment, par exemple, former et faire fonctionner de telles « assemblées des assemblées », avec la possibilité de rédiger une « charte » d’organisation ? Comment, ensuite, rendre compte des décisions qui y seraient prises, ou a minima des orientations qui y seraient proposées ? Quelle communication - interne mais aussi externe – mettre en place, avec quel contrôle d’une parole qui devient sinon très et trop disparate ?

Il leur fallait aussi s’interroger sur la ou les suites à donner au mouvement autres que la continuation de ces manifestations hebdomadaires dont la participation fluctue et qui n’ont plus le même retentissement médiatique. On évoque la mise en place de listes pour les élections municipales de 2020, avec l’objectif avoué de « dégager » les maires qui s’opposent aujourd’hui aux actions des Gilets jaunes. Pour les élections européennes, elles bien plus proches, il s’agit d’un « appel à l’action pour les élections européennes dans toute l’Europe ». Mais pour quelle action ? Un porte-parole de la liste «Ralliement d'initiative citoyenne» (RIC) a évoqué dans la semaine la possibilité d’une alliance entre plusieurs listes de «Gilets jaunes» (deux ou trois). Ce pourrait être par exemple le cas avec la liste soutenue par le chanteur Francis Lalanne, une liste qui aurait une « caution financière ». Rappelons ici que le remboursement des frais de campagne suppose de dépasser les 3% de suffrages exprimés, mais qu’il faut en obtenir 5% pour participer à la répartition des sièges, et que la date limite pour déposer une liste de 79 candidats est fixée au 3 mai.

Revient enfin l’idée de convoquer et d’organiser des « États généraux », sans doute à la fois pour préparer les échéances électorales évoquées et pour tenter de lister des revendications qui, à ce jour, ne sont toujours pas clairement définies, et ce au moment où le « Grand débat national » touche à sa fin, ce qui peut conduire à être court-circuité par les réponses présidentielles.

Un mouvement sans revendications précises – et sans chefs clairement identifiés – face à un gouvernement qui tente de le désamorcer en proposant des solutions, la situation est quand même assez étonnante…

En effet, c’est tout l’enjeu de la quinzaine qui vient. Après plus de 10.000 réunions locales, après les 16.000 cahiers de doléances ouverts dans les mairies, après des centaines de propositions citoyennes, on va savoir si le « Grand débat national » ne servait qu’à expliquer une politique qui, de toute manière, ne changerait pas, une politique « trop subtile » pour reprendre la formule de Gilles Legendre, pour être comprise par le commun des mortels, et qui demandait donc ces one man show dans lesquels Jupiter se faisait bonimenteur, ou si on allait tirer de tout cela des éléments qui infléchiraient la politique gouvernementale – en fait présidentielle – en satisfaisant certaines revendications des « Gilets jaunes ».

Mais d’abord, faire le tri. Avec trois heures de synthèse lundi, faite par des organismes différents, devant des membres du gouvernement mais aussi les fameux « garants » de l’opération, des élus locaux, des fonctionnaires, des représentants de la société civile… un panel dit d’autant plus facilement « représentatif » que personne ne l’a choisi pour le représenter. Ensuite, deux discours du Premier ministre, mardi à l’Assemblée nationale, mercredi au Sénat, suivis tous deux de débats, mais sans votes – il ne s’agirait pas d’engager une quelconque responsabilité politique ! Et tout cela pour… attendre, pour attendre que le maître des horloges en personne fixe les objectifs à réaliser – ce pas avant la mi-avril, soit après l’Acte XXII et peut-être même le XXIII… 

Il faudra alors surprendre, car si l’on en croit le dernier sondage Elabe, pour 68% des Français les revendications exprimées ne seront pas prises en compte, et pour 79% le « Grand débat national » ne permettra pas de trouver une solution à cette crise qui dure depuis maintenant 5 mois. Les solutions suggérées çà et là, livrer à l’appétit égalitariste de certains quelques têtes de « nantis », propriétaires immobiliers dont le capital ne peut par définition fuir à l’étranger, élus ou hauts fonctionnaires dont on cite les salaires pour en cacher d’autres, autant de manoeuvres dilatoires pour préserver les intérêts de l’hyper-classe, suffiront-elles à abuser les citoyens ? Rien n’est moins sur, et moins encore si un panel de revendications est proposé dans l’intervalle par des « Gilets jaunes » structurés. Mais quel sera alors le poids de la lassitude de ces derniers, et celui de la déception de nombre d’entre eux devant les évolutions d’un mouvement repris en main par la gauche de la gauche ? On le voit, les jeux ne sont pas faits. À suivre donc…

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