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Mais quelle Europe défendent vraiment Nathalie Loiseau et Emmanuel Macron ?
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Quand c’est flou

Emmanuel Macron et la République en Marche entrent dans la campagne européenne en se voulant être le seul parti présentant une ligne européenne claire. Mais les personnalités qui composent la liste LREM tendent à nuancer cette impression.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico: Entre les déclarations médiatiques de Nathalie Loiseau, le tribune d'Emmanuel Macron, et ce que peut impliquer la présence des personnalités qui composent la liste LREM, ne peut-on pas voir une absence de clarté sur la réalité du projet européen porté ?

Christophe Bouillaud: Il faut bien dire que la première sortie de Madame Loiseau en tant que tête de liste a été sublime : se plaindre d’emblée et dans le cadre d’un vague brouet écologiste que l’Union européenne finance des autoroutes en Slovaquie et que cela devra cesser, quoi de plus démagogique ? Il ne semble pas que LREM soit radicalement contre la construction d’autoroutes en général au nom de la lutte contre le réchauffement climatique, puisque le gouvernement appuie les projets en ce sens en France. Il s’agit donc bel et bien de se plaindre que le bel argent durement gagné du contribuable français aille aider ces étrangers que sont les Slovaques aux oreilles de l’auditeur moyen, supposé peu européiste dans le fond par les stratèges de LREM. C’est le nouveau « Mourir pour Dantzig », non merci. Quand on connait l’importance des fonds structurels dans le fonctionnement de l’Union européenne, comme ne peut manquer de le savoir une Nathalie Loiseau, on mesure l’étendue de la trahison de l’idéal européiste d’unification, au moins économique, de l’Europe. Cette saillie prend aussi tout son sel quand on sait par ailleurs que la France d’Emmanuel Macron promeut depuis 2017 à force de discours et tribunes  grandiloquents un budget beaucoup plus important pour la zone Euro. Or, surprise, surprise, la Slovaquie fait bel et bien partie de la zone Euro. En résumé, Madame Loiseau prend ainsi la tête d’une liste qui soutient un Président français qui plaide pour un grand effort budgétaire européen, tout en se plaignant que l’argent français, via l’Union, aille chez ces étrangers que sont les Slovaques. Par cette simple saillie, la messe est dite si j’ose dire. Les officiants se montrent pour les tartuffes qu’ils sont. La seule mesure qui pourrait démentir cette analyse serait le renvoi immédiat de cette tête de liste pour trahison des valeurs européennes dont LREM prétend se réclamer.

Par ailleurs, en regardant la liste, tout cela parait à première vue des plus contradictoires : vouloir mettre sur la même liste des ralliés écologistes à la Pascal Canfin et à la Pascal Durand et l’actuel président d’un syndicat des jeunes agriculteurs tendance FNSEA, c’est vraiment le « en même temps » poussé à l’extrême.  Ensuite, ce mélange correspond en réalité au fait que la liste LREM/Modem, au-delà de tout ce fatras sur les valeurs européennes que va nous infliger Madame Loiseau à longueur de discours, correspond à la défense du statu quo européen dans ses grandes lignes, telles qu’acquises au cours des dernières décennies : modérément libéral en économie, modérément libertaire en matière de mœurs,  modérément attentif aux enjeux écologiques, et pas du tout fédéraliste derrière les atours de l’ « intégration toujours plus étroite ». Au-delà des apparences d’un changement, d’une « renaissance » proclamée, cette offre politique, centriste, correspond de fait à la poursuite molle, voire folle, du même. C’est dans le fond plus qu’évident en matière écologique : LREM n’est pas vraiment écolo, elle est par contre à plein dans le greenwashing, d’où sa possibilité de concilier sur sa liste la présence d’un représentant de l’agriculture « productiviste » et celle d’un écolo des plus fade venu du WWF. Mais c’est aussi évident en matière d’affaires européennes : la liste LREM a embarqué l’italien du Parti démocrate, Sandro Gozi, un ancien Ministre aux affaires européennes de Matteo Renzi et Paolo Gentiloni, mais surtout actuellement président de l’Union des fédéralistes européens. Ce politicien professionnel, ce partisan de l’Europe fédérale, que pense-t-il de la démagogie xénophobe de sa tête de liste ? Rien sans doute qu’il puisse exprimer, mais il faut bien continuer à faire carrière par un moyen ou par un autre.

Cette offre, comme on le voit déjà dans les sondages préélectoraux, séduit bien sûr uniquement la partie aisée et satisfaite de la société, qui veut bien changer tout pourvu que tout reste pareil pour elle.  On ne dispose cependant pas encore à ce stade du programme de la liste LREM/Modem, mais cela serait surprenant qu’elle rompe avec sa défense déguisée en « renaissance » du statu quo.

Par contre, avant même le programme, il y a certes un collant à cette liste : la peur affichée de tout perdre, avec une antithèse : le Rassemblement national, et plus généralement le nationalisme. Il faut noter que, sauf à prendre le Rassemblement national pour un parti national-socialiste assoiffé de faire rendre gorge aux « bourgeois » avec ses sections d’assaut  – ce qu’il n’est pas, comme le montre son attitude dans la crise des « Gilets jaunes » -, tout cet électorat de LREM a finalement peu à perdre dans la victoire du Rassemblement national, à part peut-être une certaine image de soi-même comme représentant le « bien sur terre ». 

 En dehors de proposer une opposition au nationalisme, et en réalité au Rassemblement national, quel autre ciment permet de rassembler ces différentes positions ?

A regarder les noms des trente premières personnes de la liste des candidats LREM, il n’y a guère qu’un affichage européiste, centriste, de ces personnes, centre-droit ou centre-gauche. A part peut-être Madame Keller, sénatrice, et encore plus l’italien Sandro Gozi, tous ces candidats sont vraiment par ailleurs des poids plume de la politique nationale. La personnalité sans doute la plus connue du grand public n’est autre que le journaliste Bernard Guetta. Ses éditoriaux sur France-Inter en faveur de l’Europe, selon les jours telle qu’elle est ou telle qu’elle devrait être,  auront sans doute marqués des générations d’auditeurs.

Il est difficile donc de nier que toute la petite famille de ceux qui louent l’Union européenne quoi qu’il arrive se trouve assez bien réunie sur cette liste.

Comment mesurer l'audience du projet d'Emmanuel Macron au niveau européen, parmi les partis potentiellement alliés ? Peut-on voir une cohérence entre ces différentes visions ?

Sauf énorme surprise,  tous les élus LREM vont rejoindre ceux du MODEM dans le groupe libéral de l’ALDE, sauf peut-être Sandro Gozi qui siégerait avec les autres élus du PD au sein du groupe S&D – à moins qu’il y ait une scission du PD à cette occasion. De fait, les positions de l’ALDE – libérale en économie, libertaire en matière de mœurs, et greenwasheuse en matière écologique – sont très compatibles avec celles de LREM, à un énorme détail près : les transferts budgétaires entre Etats membres.

Sur ce point, le groupe ALDE s’affiche comme un groupe fédéraliste, mais, en pratique, tous les grands partis libéraux qui dominent le groupe ALDE sont radicalement contre l’augmentation des transferts budgétaires entre Etats membres. Pour être plus concret, il faut savoir qu’un des piliers historiques de l’ALDE n’est autre que le FDP allemand, or ce parti est encore plus hostile que la CDU-CSU, si c’est possible, à tout transfert, via le budget européen, des riches contribuables de l’Europe du nord vers les pauvres assistés et fainéants de l’Europe du sud. La vision économique est donc bien moins « solidaire » que celle que réclame, du moins selon ses discours et tribunes, Emmanuel Macron. Mais, par contre, Madame Loiseau en tançant ainsi d’emblée les Slovaques pourrait faire une candidate FDP de qualité.

De ce point de vue, si Macron reste un peu cohérent avec sa position affichée, il serait presque plus logique de rejoindre le groupe S&D avec le PD italien, ou de créer un groupe parlementaire distinct de celui de l’ALDE. Ou simplement un sous-groupe structuré dans le groupe ALDE, qui se distinguerait sur ce point des transferts budgétaires.

Enfin, il faut signaler que le seul allié vraiment officiel à ce jour de LREM, à savoir le parti espagnol, Ciudadanos, tend dans le cadre de la crise constitutionnelle en Espagne autour du statut de la Catalogne à considérer qu’il n’a pas d’ennemi à droite. Cela pose évidemment un petit problème d’image à LREM à s’afficher avec un parti qui n’entend pas jouer le « cordon sanitaire » contre sa propre extrême-droite émergente.

En pratique, tous ces aspects d’alliance ne joueront pas trop pendant la campagne des élections européennes, car très peu d’électeurs français votent en fonction des alliances possibles au niveau européen du parti national pour lesquels ils votent, le seul qu’ils identifient vraiment et dont le succès leur importe.

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