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"La chrétienté, si elle existe, est devenue un ailleurs"
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Bonnes feuilles

Dans son livre "Un catholique s'est échappé" (éditions du Cerf), Jean-Pierre Denis répond à la crise spirituelle que traversent l’Église, la France et l’Europe. 1/2

Jean-Pierre Denis

Jean-Pierre Denis

Après avoir dirigé la rédaction de La Vie, Jean-Pierre Denis a rejoint Bayard Presse pour créer de nouveaux médias. Intervenant régulièrement dans la presse, sur les ondes, les écrans et les réseaux sociaux, il est l'auteur de livres remarqués dont, récemment au Cerf, Un catholique s'est échappé.

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La chrétienté, si elle existe, est devenue un ailleurs, un hors-de-nous, un je-est-un-autre, une familiarité étrangère. Les Eglises historiques déclinent. Le luthéranisme d’Etat des Scandinaves est usé à force de servir le conformisme ; le calvinisme est exsangue ; l’anglicanisme agonise. La progression évangélique, charismatique ou pentecôtiste marginalise des institutions sclérosées, déjà presque entièrement dissoutes dans la sécularisation. Le protestantisme le plus libéral semble céder sur tout. Le catholicisme se lézarde. Le Vatican est vermoulu. L’Europe n’a plus la foi.

A mesure qu’il brade ses reliques, notre vieux christianisme devient un reliquat. Un chrétien sur quatre habite au sud du Sahara. Autant qu’en Europe. Près de la moitié de ceux qui se réclament du Christ vivent dans seulement dix pays. Trois américains : Etats-Unis, Brésil, Mexique. Deux asiatiques : Philippines et Chine. Ajoutez la Russie. Intégrez trois Etats africains : Nigeria, RDC, Ethiopie. Pour les Européens, il reste à peine une place. Elle est pour l’Allemagne, mais cela ne durera guère.

Il y a déjà beaucoup plus de chrétiens au Nigeria ou en Chine qu’en France. En Chine, d’ailleurs, le christianisme compte plus de fidèles que le parti communiste d’adhérents. Dans plusieurs pays éprouvés par le totalitarisme athée, la foi connait un printemps. Au Vietnam, les églises sont pleines : une messe de semaine à la cathédrale de Hanoı¨ réunit plus de jeunes qu’une messe du dimanche à Notre-Dame de Paris. Le christianisme de résistance et de résilience ne meurt pas.

Le nombre de chrétiens a triplé en un siècle, dépassant les deux milliards trois cents millions. Il est vrai que cette expansion suit l’augmentation générale de la population. L’explosion démographique la nourrit, plus que l’énergie missionnaire. En proportion, on constate plutôt la stabilité´ du christianisme, autour d’un tiers de l’humanité, à peu près comme il y a cent ans.

Une évaporation rapide transforme les pays les plus emblématiques du vieux monde. Là où la foi fondait l’identité culturelle, donnant à tant de peuples leur âme, la flamme vacille. Le Québec a apostasié d’un coup, lors de la « révolution tranquille » des années 1970. La Belgique n’a plus grand-chose de catholique, nombre de ses institutions se sont sécularisées avec la société, comme les scouts, la JOC ou l’université de Louvain. La Pologne de Jean Paul II ressemble à un rêve déçu, entre capitalisme et identitarisme. L’Irlande digère mal la remontée de la mémoire – trop d’abus commis par le clergé, trop de pouvoir. En Espagne, l’Eglise n’est plus que l’ombre recroquevillée de ce qu’elle fut de grand, de mystique, de missionnaire – et aussi de populaire. Aux États-Unis, le nombre de personnes qui ne sont affiliées à aucune religion atteint désormais 20 % de la population adulte. La proportion s’élève à un tiers chez les moins de 30 ans, contre 9 % chez les plus de 65 ans. L’exception américaine touche peut-être à sa fin, alors que les scandales sexuels n’en finissent pas d’atteindre l’institution catholique, tandis que les évangéliques s’égarent dans un trumpisme qui finira par leur coûter cher.

Un fossé s’est creusé

D’un côté, une Eglise qui a longtemps voulu tenir. Tenir la foi et les clés du Royaume ; tenir la société comme si elle en était un des services d’ordre ; tenir l’intime malgré l’aspiration de l’individu à l’autonomie ; tenir face aux pouvoirs qui entendaient la contrôler et qu’elle ne pouvait plus que mollement sermonner ; tenir la morale, à défaut de pouvoir encore la faire, toujours inconsciemment accrochée à l’idée que le salut vient des œuvres et qu’en étant gentil avec le pape, ou avec le roi, ou désormais avec les pauvres, on s’achètera une concession céleste. Et si cette Eglise tient toujours, si elle est toujours ce grand vaisseau fantôme, son influence réelle s’est réduite à presque rien.

De l’autre, une société qu’obsède le désir de s’émanciper. S’émanciper de l’Eglise, s’émanciper de la nature, s’émanciper de l’histoire, s’émanciper d’elle-même. S’émanciper de l’homme, le remplacer par des robots, de la technique, du scientisme. Du coup d’ailleurs, l’Eglise aussi s’est émancipée. La laïcité l’a libérée de l’emprise de l’Etat.

Et au bout du compte, notre époque est si complétement libérée que rien ne semble plus tenu par rien – ni la nation, ni la vie publique, ni les familles, ni les personnes. D’où, d’un côté, le désir ressurgissant de murs et de frontières, de protection, d’identité, de retour à, de repli sur soi, d’égotisme affranchi, d’exclusion et de pureté. Et de l’autre, l’importance accordée aux « valeurs », celles de la démocratie, de la république, de l’égalité, de l’entreprise, de l’école. Un nouveau puritanisme, vide de consistance mais d’autant plus virulent, se voue à policer la langue et à traquer de nouvelles déviances – homophobie, islamophobie, christianophobie – réduisant tout et chacun à des identités assignées. Quand le corps social part en lambeaux, les valeurs ressemblent à des sparadraps usages posés sur une large cicatrice ; elles ne peuvent que recouvrir et infecter davantage une plaie purulente que l’on ferait mieux de laisser respirer.

Les causes profondes de cette situation n’ont pas grand-chose à voir avec les débats politiques qui nous obsèdent, avec les vieilles querelles liturgiques, avec les cases et les oukases du prêt à classer. Ce n’est pas une question de « réacs » et de « progressistes ». C’est la sécularisation qui agit comme un rouleau compresseur, qui écrase tout, et pas seulement la religion, car plus rien de vertical ne tient. Et ce qui n’est pas aplati par la sécularisation est broyé´ par la marchandisation.

L’horizon consumériste s’est substitué à l’horizon eschatologique. Effet dissolvant de la marchandisation, autonomie de l’individu, relativisme des vérités, ventres locatifs, pères facultatifs, liquidité de la société... les facteurs de désaffiliation sont à la fois multiples, convergents, et extérieurs à la sphère religieuse.

La crise culturelle d’un Occident qui ne s’aime plus, qui réduit son histoire à la faute et à la honte du « vieux mâle blanc chrétien » pèse plus sur la pratique et sur l’appartenance religieuse que la crise cultuelle. L’apostasie religieuse n’aura été qu’un avant-spectacle, un prologue un peu confus.

L’individuation progressive de la culture, centrée sur la quête de l’épanouissement immanent et immédiat, ne fait que précipiter la crise du culte.

On ne croit plus en Dieu, tout simplement, parce qu’on ne le croise pas dans son smartphone. On ne croit plus en un Dieu personnel, moins encore en un Dieu créateur et trinitaire, on s’en tient à son moi – la seule vénération qui tiendra toujours est celle du moijenisme.

Extrait de "Un catholique s'est échappé" de Jean-Pierre Denis, publié aux éditions du Cerf.

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Un catholique s'est échappé

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