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Cesare Battisti ou les erreurs qu’Ismael Emelien et LREM feraient bien de méditer dans leur lutte contre les populistes
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Chasse au fascisme imaginaire

L'ancien militant communiste italien vient d'avouer quatre meurtres et a déclaré dans le même temps avoir trompé tous les intellectuels et les hommes politiques français qu'il a connus.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

Voir la bio »

Atlantico : 40 ans après les faits Cesare Battisti a finalement reconnu sa responsabilité dans quatre meurtres, tout en déclarant, à propos des intellectuels et des personnalités politiques (visite de François Hollande en 2004) qui lui avaient apporté leur soutien « Je n’ai jamais été victime d’une injustice, je me suis moqué de tous ceux qui m’ont aidé, je n’ai même pas eu besoin de mentir à certains d’entre eux ». Au delà du cas de Cesare Battisti, quels ont été les cas historiques les plus importants d'aveuglement causés par une volonté de lutte antifasciste ? 

Edouard Husson : La liste est extrêmement longue. Elle se confond presque avec l’histoire de la gauche. Du parti communiste allemand refusant de s’allier au SPD pour lutter contre le nazisme, sous prétexte que celui-ci avait laissé les Corps Francs écraser la révolution de 1918-1919 (c’était vrai historiquement) à la destruction programmée de l’ancienne Yougoslavie en assimilant Milosevic au fascisme (alors qu’il s’agissait d’un post-stalinien et que les néofascistes se trouvaient dans l’UCK, mouvement indépendantiste kosovar). Du bricolage intellectuel de Bernard Henri Lévy dans L’idéologie française (livre impardonnable, où BHL traîne dans la boue le plus grand philosophe français, Henri Bergson, et insulte la mémoire d’un autre de ses camarades normaliens, Charles Péguy) à l’aveuglement de la gauche française, il y a une quinzaine d’années, concernant Battisti. En fait tout ceci repose sur une profonde méconnaissance de ce que fut vraiment le fascisme: l’apologie de la guerre totale, vécue comme une expérience positive, comme le seul véritable creuset de la communauté nationale. Le fascisme est un mouvement qui emprunte autant à la gauche qu’à la droite et qui prétend dépasser l’une et l’autre dans l’expérience positive de la conquête exterminatrice. Historiquement, le fascisme a existé dans la Turquie exterminatrice des Arméniens, en Italie, en Allemagne, dans la Croatie des Oustachis. Rien à voir avec les petits jeux politiciens de François Mitterrand agitant le spectre de l’extrême droite pour souder la gauche et diviser la droite. 

Quels sont, encore aujourd'hui, les cas qui pourraient illustrer un aveuglement reposant sur les mêmes bases, notamment sur le soutien parfois apporté aux blacks blocs ? 

Historiquement, la violence politique moderne est essentiellement une violence de gauche. La Révolution française voit une nouvelle génération bourgeoise et individualiste s’imposer par l’intimidation, le piétinement des règles de cette civilisation si raffinée qu’était l’Europe du XVIIIe siècle. La France n’échappe aux ravages de la guerre civile déclenchée par les Jacobins qu’en exportant sa violence dans toute l’Europe. Or, parce qu’elle prêchait la liberté et l’égalité, la Révolution a réussi à imposer l’idée qu’il y avait une violence politique légitime, à gauche; et une violence politique inadmissible, celle venant de la droite. Le communisme soviétique, le maoïsme ont eu pendant très longtemps une véritable aura en Occident. C’est sans doute le régime des Khmers Rouges, sorte de réalisation hystérique du rousseauisme, qui a fait basculer l’intelligentsia, définitivement, contre le communisme. Mais nos intellectuels et la gauche en sont-ils devenus plus raisonnables pour autant? Il ne faut pas oublier que beaucoup des néoconservateurs américains venaient du trotskisme. En Europe comme aux Etats-Unis, on a détruit les Etats irakien, yougoslave, libyen au nom de la lutte contre un dictateur devenu une sorte de réincarnation de Hitler. Tony Blair a pu mentir effrontément sur les armes de destruction massive irakiennes parce qu’il était, il est de gauche. Ce qui est vrai au plan extérieur l’est aussi au plan intérieur. Aux yeux d’Emmanuel Macron, la violence des black blocks est tolérable - instrumentalisable pour effrayer le bourgeois; en revanche la violence des Gilets Jaunes est purement et simplement inacceptable. 

En voulant s'afficher comme l'incarnation d'un progressisme face aux populistes et aux nationalistes, Emmanuel Macron, comme son ancien conseiller Ismaël Emelien - qui vient de publier un livre consacré au progressisme (Le progrès ne tombe pas du ciel), la majorité présidentielle ne risque-t-elle pas de tomber dans les mêmes errements ?

Effectivement, la rhétorique anti-Gilets Jaunes n’est guère qu’un recyclage: on les traite de « foule haineuse », de ramassis de racistes ou d’antisémites. Au fond, Macron ne fait que rejouer la bonne conscience de la bourgeoisie individualiste, destructrice des corps intermédiaires, fossoyeuse des institutions de l’ancienne France et qui, suite à son œuvre de destruction, eut à affronter, en 1794, de multiples révoltes populaires, dont la Vendée n’est que la plus connue. L’élément le plus évident, c’est la manière dont le pouvoir essaie de plaquer de fausses analogies, empruntées aux années 1930, sur une réalité qui relève en fait d’une lutte des classes, d’un conflit social profond. Emmanuel Macron voudrait nous faire croire à des « Chemises Jaunes », incarnation nouvelle du fascisme; sans se rendre compte que la violence qui a déclenché la crise, dès l’Acte 2, le 24 novembre, se trouve du côté des unités de police et de gendarmerie. Alors qu’il ressemble de plus en plus à un président autoritaire latino-américain, envoyant les forces de l’ordre contre les classes populaires criant leur misère, le président espère continuer à entretenir un affrontement entre lui et Marine Le Pen, avec d’un côté le progressisme et de l’autre le populisme nationaliste et raciste. Mais il paraît peu probable que cette histoire mal ficelée tienne jusqu’à la fin du quinquennat. 

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