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Entre promotion du multilatéralisme et construction de rapports de puissance, l’Europe sait-elle où elle en est vis à vis de la Chine ?
©ludovic MARIN / POOL / AFP

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Ce mardi 26 mars, Emmanuel Macron recevra Xi Jinping, Angela Merkel, et Jean-Claude Juncker à l'Elysée pour évoquer les questions commerciales et climatiques, dans une relation pourtant depuis transformée depuis la caractérisation de la Chine comme "rival systémique" par la Commission européenne

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Alors que la victoire de Donald Trump en 2016 avait pu produire une forme de rapprochement de la Chine et de l'Europe sur le terrain de la défense du multilatéralisme, en quoi la situation actuelle peut-elle révéler une forme de flou sur le positionnement européen ? 

Edouard Husson : Depuis le début des années 1990, l’Union Européenne s’est engagée dans une politique contradictoire: elle a voulu à la fois l’euro et l’ouverture à la Chine. Mais l’un était exclusif de l’autre. Soit on faisait l’euro mais il fallait alors protéger commercialement des pays obligés d’adopter une monnaie forte (la France, l’Italie); soit on s’ouvrait à la Chine mais il fallait alors laisser la flexibilité monétaire à nos pays. Comme nous avons voulu mener de front des politiques contradictoires, le résultat en est que l’Europe du Sud et la France, asphyxiées monétairement par l’euro, deviennent des cibles privilégiées pour les investissements chinois. 

En fait, la puissance financière de la Chine est devenue telle que c’est maintenant toute l’UE qui est inquiète, jusqu’à l’Allemagne. C’est d’ailleurs un rapport du BDI, la confédération patronale allemande, qui a déclenché le rapport de la Commission Européenne. Pour autant, le rapport de la Commission ne pourra pas faire l’unanimité: pourquoi l’Europe du Sud, soumise à des restrictions de « carburant » monétaire depuis quelques années, se priverait-elle d’investissements chinois? Notons cependant que les investissements directs chinois en Italie ne représentent pas plus de 23 milliards d’euros. Il faut mettre cette somme en regard des 180 milliards d’excédent commercial accumulés chaque année par une Allemagne qui ne veut pas de transferts financiers au sein de la zone euro et qui ne réinvestit pas ses excédents dans cette « Europe » qu’elle a organisé autour d’elle. 

Si le rapport caractérisant la Chine comme rival systémique intervient en fin de vie de la Commission Juncker, en quoi l'issue du prochain scrutin devra être l'occasion pour la prochaine Commission d'afficher un positionnement plus clair sur cette question ? Avec quelles conséquences ? 

Je ne suis pas sûr que le prochain parlement et la prochaine commission seront plus cohérents, plus efficaces vis-à-vis de la Chine. Ce n’est pas parce que les souverainistes, les conservateurs et les populistes seront présents en nombre au Parlement qu’on arrivera automatiquement à une position commune sur la Chine. Il faudrait pour cela que l’ensemble de la politique européenne puisse être révisée au point de donner à chacun la possibilité de disposer à nouveau des leviers de la croissance. Or les fédéralistes européens resteront, dans tous les cas, majoritaires au sein du Parlement. Et comme ils ne sont pas d’accord entre eux, ils continueront à s’entendre sur le plus petit dénominateur commun, l’absence de modifications du système. Assez naturellement, donc, chaque pays tendra à avoir sa propre politique vis-à-vis de la Chine.  

Quelles sont les tensions existantes entre différents pays européens sur cette question, entre approche multilatérale, et prise en compte des rapports de forces entre puissances ? 

En fait, l’Europe est en train de se morceler. Une première zone économique a surgi, sorte de « Mitteleuropa étendue », sous influence allemande directe. Elle inclut le Benelux, l’Autriche, la Tchéquie, la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie et les Balkans. Au-delà des tensions causées par le politique d’immigration d’Angela Merkel, il s’agit de la zone traditionnelle d’influence directe de l’économie allemande, qui épousera l’évolution allemande vis-à-vis de la Chine. Ensuite, vous avez une Europe du Nord (Scandinavie, Danemark, Pologne) qui se méfie de beaucoup de la Russie, un peu de l’Allemagne, souhaite cultiver le lien transatlantique et qui a tissé des liens économiques nombreux avec la Grande-Bretagne. Sans être très concernée mais se méfiant du rapprochement entre la Russie et la Chine, elle aura tendance à suivre les Etats-Unis dans leur durcissement vis-à-vis de Pékin tout en profitant des relations financières de la Grande-Bretagne vis-à-vis de la Chine. Enfin, il y a l’Europe du Sud, dans laquelle je mets la France, qui est asphyxiée par une politique monétaire inappropriée à ses besoins et qui a tendance à s’ouvrir aux capitaux chinois pour obtenir un peu de répit financier. 

Au total, on est donc très loin d’une politique étrangère commune vis-à-vis de la Chine. Lorsque Donald Trump a été élu, les Européens ont trouvé sa politique agressive vis-à-vis de la Chine. A présent, on commence à en comprendre la rationalité; mais on est incapable d’avoir une seule politique à l’échelle de l’Europe. 

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