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A l’insu de son plein gré : le « nouveau monde » finira-t-il par faire basculer la France dans une nouvelle culture démocratique « grâce » à ses vieux travers ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

De l’affaire Benalla aux ratés sur le maintien de l’ordre

De la non démission de Christophe Castaner à la réaction du gouvernement face au renvoi de collaborateurs du Président devant la justice par le Sénat, le quinquennat Macron paraît bien loin de ses promesses de renouveau démocratique. Les Français en profiteront-ils pour pousser le dégagisme jusqu’à faire renoncer leurs élites à une culture politique monarchique et cynique ?

Jean-Marc Boyer

Jean-Marc Boyer

Jean-Marc Boyer est diplômé de Polytechnique et de l’Ecole Nationale de la Statistique et de l’Administration Economique (ENSAE). Il a commencé sa carrière en tant que commissaire contrôleur des assurances puis a occupé différentes fonctions à l’Inspection Générale des Finances (IGF), à la Commission de Contrôle des Assurances et à la direction du Trésor. Il est cofondateur de GLM et de la Gazette de l’Assurance.

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Guillaume Bigot

Guillaume Bigot

Guillaume Bigot est membre des Orwéliens, essayiste, et est aussi le Directeur Général d'une grande école de commercel. Il est également chroniqueur sur C-News. Son huitième ouvrage,  La Populophobie, sort le 15 septembre 2020 aux éditions Plon.

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Atlantico:  Ce genre de procédure est extrêmement rare dans l'histoire de la Ve République. Le Sénat, en acceptant de saisir des proches du Président, sort de la culture monarchique ou machiavélienne habituellement en cours dans le pays qui fait qu'on accepte, tant que cela sert l'intérêt commun, que le politique passe avant la règle. Faut-il voir dans cet événement un petit tournant dans la culture politique française ou s'agit-il d'une exception ? 

Guillaume Bigot :  L’objet de la saisine de la Commission ne semble pas concerner un sujet politique au sens d’un sujet intéressant l’intérêt général. Il ne s’agit pas de défense nationale, d’ordre public ou de défendre nos emplois… L’affaire Benalla et ceux qu’elle éclabousse relèvent, pour l’instant et de ce que l’on en sait, de fait du prince, pour ne pas dire d’une caprice du président de la République qui a cherché à tous prix à protéger l’un de ses proches et qui a, pour cela, fermé les yeux sur des manquements inacceptables et incité ses collaborateurs à enfreindre les règles.

Les Sénateurs étant conduits, dans le cadre de leurs auditions, à constater des délits sont obligés d’alerter les juges. C’est une réponse légale à des libertés prises avec la légalité en ce sens, c’est en effet le respect des règles qui s’impose contre le respect du pouvoir. Mais ce pouvoir n’est pas fragilisé parce qu’il a violé des règles au nom de la raison d’Etat mais au nom de le déraison du Prince.

En 1962, le fondateur de la Vème, De Gaulle, prend soin de ne plus dépendre du vote des assemblées en faisant adopter l’élection du président au suffrage universel. Le Chef de l’Etat peut dissoudre les chambres mais les chambres ne peuvent rien contre lui.

La présidence de la République devient inexpugnable. Face aux assemblées, c’est le pot de fer contre deux pots de terre.

Notons toutefois qu’en dépit de cette majesté et de ce pouvoir incarné et surplombant, le plus monarchique de nos présidents, Charles de Gaulle, sera aussi le plus démocrate et le plus respectueux du suffrage universel : il démissionnera aussitôt après la perte du référendum de 1969.

De Gaulle n’a jamais hésité à affirmer la prééminence politique du président (face au pouvoir des juges, par exemple, lorsqu’en 1962, il pense à dissoudre le conseil d’Etat qui voulait sauver la vie à des officiers félons). En contrepartie et contrairement à tous ses successeurs,  il a toujours eu d’immenses scrupules à utiliser son pouvoir à des fins personnelles ou politiciennes.
Et c’est cet héritage le plus désagréable du pouvoir monarchique : le bon plaisir de souverains qui ne passe plus sous de la Ve République.

Mais ne soyons pas naïf : les Sénateurs peuvent se rebiffer car le pouvoir exécutif est à terre. Il est extraordinairement affaibli et l’audace des Sénateurs en offre une singulière illustration.

Jean Petaux :Méfions-nous tout à la fois des événements que l’on croit synonyme d’un tournant (petit ou grand) ou que l’on imagine relever de l’exception, autrement dit non durable et surtout improbable dans leur répétition. En l’occurrence, pour ce qui concerne les relations entre le Sénat et l’exécutif, plus précisément le président de la République, il y a eu plus d’une exception et si « un tournant dans la culture politique française » est constatable il s’agit d’une grande courbe, longue d’au moins une soixantaine d’années…

Dès l’origine de la Vè République les relations ne sont pas bonnes entre le général de Gaulle et la « chambre haute », le  Sénat. Il a même été question d’en finir avec la pratique du bicaméralisme dans les travaux du Comité constitutionnel en supprimant le Sénat. S’il n’y avait eu la question du mode d’élection du chef de l’Etat par un collège de grands électeurs de la France métropolitaine et de la Communauté française (plus de 85.000 personnes), dont le Sénat était évidemment partie prenante, on aurait pu voir retenue la proposition visant à le supprimer. Très vite d’ailleurs les relations vont être exécrables et elles vont atteindre un point de conflit maximal en octobre 1962 avec la décision du général de Gaulle de modifier le mode de scrutin présidentiel en ayant recours à l’article 11 de la Constitution utilisant le référendum pour les question se rapportant « à l’organisation des pouvoirs publics ». Gaston Monnerville, l’ombrageux président du Sénat, qui va présider sous la IVè République (de 1947 à 1958) le Conseil de la République (l’équivalent du Sénat) en tant que sénateur de Guyane (son département natal) puis du Lot, et le Sénat sous la Vè République (1958 – 1968), n’aura de cesse de pourfendre l’exécutif gaulliste dans toutes ses tentatives de mettre à mal le Sénat. En 1962, dans son opposition au mécanisme-même de révision de la Constitution,  il va jusqu’à employer à l’égard du premier ministre Pompidou, qui fait ainsi un rude apprentissage de la fonction, le mot de « forfaiture », terme extrêmement sévère justifiant du passage en Haute Cour pour celui qui se rend coupable d’un tel crime. C’est dire combien le Sénat n’a cessé de mener une opposition frontale contre les gaullistes.

Et cela va se poursuivre voire s’accentuer sous Pompidou qui va d’ailleurs affronter au second tour de la présidentielle de 1969, le nouveau président du Sénat, Alain Poher. Cette même année, quelques semaines avant cette présidentielle, aussi bien Gaston Monnerville qui a laissé son fauteuil de président du Sénat à Alain Poher, mais qui va encore siéger six années au Sénat, qu’Alain Poher lui-même, organisent l’opposition contre le référendum voulu par le général de Gaulle et portant sur la régionalisation, la participation et… la suppression du Sénat dans sa forme fixée en 1958…. Cette opposition va d’ailleurs l’emporter, le « Non »  va gagner et le général de Gaulle quitter immédiatement le pouvoir.  En 1971, le successeur d’Alain Poher, « ose » (crime de « lèse exécutif ») déférer au Conseil constitutionnel une loi adoptée par l’Assemblée (loi Marcellin, du nom du ministre de l’Intérieur de l’époque, très obsédé par les casseurs et les gauchistes… déjà)  soumettant la déclaration d’une association en préfecture au titre de la loi de 1901 à l’accord préalable du préfet. Cela va donner l’occasion au Conseil constitutionnel de produire sa première vraie grande décision « autonome », celle dite « Liberté d’association », du 16 juillet 1971 et faisant entrer dans le « bloc de constitutionnalité », la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946… Tout cela c’est l’œuvre du Sénat en quelque sorte.

Il va falloir attendre l’élection de Valéry Giscard d’Estaing à l’Elysée, en 1974, pour voir les relations s’apaiser entre l’exécutif et le palais du Luxembourg. Mais dès mai 1981, le conflit repart de plus  belle. Le Sénat est la seule instance qui échappe à la grande alternance et à la « vague rose » de 1981. Il ne va avoir de cesse de mener une politique de guérilla parlementaire contre les gouvernements Mauroy et Fabius en déférant systématiquement les lois au Conseil Constitutionnel aussi grâce à l’extension du droit de saisine adopté sous VGE en 1974 et autorisant 60 députés ou sénateurs à exercer cette prérogative. Bien plus tard, entre 1997 et 2002, Lionel Jospin va évoquer à plusieurs reprises son intention de faire une réforme constitutionnelle qui supprimerait purement et simplement le Sénat considéré par les socialistes et leurs alliés comme « un empêcheur de réformer en paix »… Désormais et depuis plusieurs années (réforme Sarkozy de la constitution advenue en août 2008, et adoptée par une voix au-dessus de la majorité des 3/5è du Congrès, la voix de… Jack Lang !) avec l’extension des compétences des commissions parlementaires, y compris les commissions ad hoc s’érigeant en commission d’enquête, les outils juridiques constitutionnels existent pour que ces commissions poussent les feux d’une mise en cause de l’exécutif. C’est exactement ce qui se passe dans le cas de l’affaire Benalla où les sénateurs utilisent à fond les armes dont ils sont dotés. Cela ne signifie pas du tout qu’il y aurait un quelconque abandon d’une pratique française visant à privilégier l’obtention d’un objectif ou un but à atteindre en utilisant n’importe quel moyen (ce que vous appelez une « culture machiavélienne »), cela correspond au jeu politique où une partie du Sénat, hostile au président Macron, cherche à affaiblir l’Elysée et donc l’exécutif en utilisant les différents atouts produits par la lamentable gestion politique de cette « affaire d’été »… Le Sénat qui décide ainsi de saisir le parquet fait de la politique, avec en plus une forme de surenchère interne entre le président actuel titulaire du « plateau » (c’est le nom du fauteuil du président), Gérard Larcher et le président du principal groupe de sénateurs, le très droitier Bruno Retailleau, l’un des leaders de « Sens commun » et ancien organisateur de la campagne de François Fillon, aux primaires de la droite et jusqu’au premier tour de la présidentielle de 2017…  C’est à qui sera le plus dur envers le président Macron, à qui « lavera le plus blanc »… Ce qui ne manque pas de saveur d’ailleurs.

Il faut considérer la démarche actuelle de la majorité sénatoriale et de ses responsables comme une posture de combat politique, tout à fait légitime et logique eu égard aux stratégies politiques en vigueur et surtout pas comme l’apparition d’une forme de révolution copernicienne dans les rapports entre le palais de l’Elysée et le palais du Luxembourg.

Jean-Marc Boyer :Au-delà du vote des lois, les parlementaires contrôlent l’action du Gouvernement, comme le veut l’article 24 de la Constitution. Il existait des commissions d’enquête et, depuis la loi du 14 juin 1996, les commissions permanentes (celle des Lois en l’occurrence) peuvent demander d’exercer les prérogatives des commissions d’enquête.

Mais la nouveauté en l’occurrence, c’est que l’affaire touche la Présidence de la République, et pas le Gouvernement. Alors que l’Assemblée Nationale apparaît solidaire de l’Elysée, le Sénat joue sa partition de contre-pouvoir. Il se relégitimise ainsi à la veille du bras de fer sur la réforme des institutions (notamment le projet de diminuer d’un tiers le nombre des parlementaires).

Le tout arrive alors que bruissent les rumeurs de remaniement, qui pourraient aussi impacter la Présidence de la République. Heureusement pour lui, Macron (qui est aussi l’anagramme de Monarc) a étudié la rhétorique florentine de Machiavel et il pourra transformer ce nouvel écueil en opération de communication pro domo.

Pourtant,  Emmanuel Macron est un président qui se veut Jupitérien voire impérieux, pourquoi dites-vous qu’il est faible ?

Guillaume Bigot : S’il y avait un  pouvoir exécutif fort, c’est-à-dire légitime et s’appuyant sur un soutien de l’opinion, il est peu probable que le Sénat aurait osé s’en prendre à ses collaborateurs directs. Cela dit quelque chose du rapport de force en cours : les sénateurs d’une certaine façon sont au diapason des Français qui s’interrogent sur la crédibilité et même sur la solidité d’un pouvoir dont la base électorale est si faible et qui pourtant, se croit tout permis, comme investi d’un blanc seing.

Un président de la République puissant, efficace et populaire peut se permettre quelques faiblesses et s’affranchir de respecter scrupuleusement les règles, céder au favoritisme ou se comporter comme un chef de parti plus que comme un chef d’Etat. Mais quand son autorité est aussi faible et contestée, un président même rendu omnipotent par la Vème République devrait être forcé sinon à la vertu ou à l’exemplarité, du moins à la prudence.

Le Sénat s’en prend à une certaine arrogance qui accompagne de nombreux franchissements de ligne rouge de la part du Président notamment. Il le fait car l’Assemblée Nationale est totalement aux mains des marcheurs.

Cette même semaine, le ministre de l'Intérieur a été fortement mis en cause pour sa gestion de la manifestation de samedi dernier à Paris, lors de laquelle l'excuse du manque de préparation ne tient pas. Cependant Christophe Castaner n'a pas été renvoyé, malgré un certain nombre de fautes dont la Préfecture de Paris ne semble pas devoir porter seule la responsabilité. Cette pratique du pouvoir vous semble-t-elle compréhensible ? 

Guillaume Bigot : Dans le cas de Castaner, on est pour le coup dans une mise en cause politique classique et logique. Le Sénat contrôle son action parce qu’elle a échouée à maintenir l’ordre public. On est d’ailleurs en droit de se demander si le pouvoir n’a pas laissez  émeutiers et black blocs saccager les champs Élysée pour décrédibiliser le mouvement des GJ.

D’ailleurs, la préfecture de police de Paris qui a la charge de l’ordre public a pris le soin de faire tout valider - tous ces choix et décisions - auprès de l’Intérieur. Ces derniers ne peuvent pas faire comme s’ils n’étaient responsables de rien. Il n’y a aucun doute sur le fait que c’est Castaner qui donné les ordres. Dès lors, le législateur est fondé à se demander s’il n’a pas donné des ordres politiques consistant à laisser la manifestation s’enflammer. On peut se demander si les images de violences terrifiantes qu’on a observé n’étaient pas celles que le pouvoir voulait que la population voit. 

Si ce n’est pas ça, c’est un échec technique et la preuve d’une incompétence notoire. 

Quoi qu’il en soit, la situation est inhabituelle, puisque c’est un quinquennat dans lequel le Président n’a pas la main sur une des deux chambres. Il n’a pas de fusibles ni de moyen de changer de politique du fait du quinquennat. Il est obligé d’éviter de fragiliser le dispositif qu’il a mis en place. D’une certaine façon, depuis la mise en place du quinquennat, il n’y a pas eu beaucoup de rotation. Nicolas Sarkozy n’a eu qu’un seul Premier ministre, François Fillon. Hollande en a eu trois dont le dernier n’était qu’un intérimaire. Le pouvoir législatif est vidé de sa substance à la fois par la Vème mais aussi par l’UE.

L’alignement entre le scrutin législatif et le scrutin présidentiel renforce cet effet de domestication du parlementarisme. Le scrutin est trop court pour risquer une dissolution même si Macron serait bien inspiré de dissoudre et de nommer Marine Le Pen ou Laurent Wauquiez à Matignon pour les user et les confronter à la réalité du pouvoir. Il n’en aura pas l’audace, ni l’étoffe. Macron ne peut pas non plus renvoyer Castaner car il a déjà changé le titulaire de la place Beauveau.

De plus, il se garde sûrement une cartouche en réserve sous la forme d’un changement de gouvernement voire de Premier Ministre si la situation tournait auvinaigre.

Jean Petaux : Elle est parfaitement compréhensible, du point de vue de la logique des acteurs en cause. Ce qui ne veut absolument pas dire qu’elle est juste ou conforme à une quelconque morale. Mais il ne s’agit pas de parler de la morale ici, il s’agit d’essayer de comprendre une situation politique. Ce qui, encore une fois, doit s’entendre dans le sens wébérien de « verstehen »ou dans le même sens que Max Weber emploie dans l’expression « sociologie compréhensive ». Et pas du tout dans le sens d’une excuse ou d’une acceptation. La pratique du « fusible » qui est celle du haut fonctionnaire qui « saute » pour ne pas faire « griller » le ministre ou l’autorité politique, est une pratique parfaitement rodée et commune dans la vie d’un appareil d’Etat. On a même vu, jusque dans les années 1990, le président de la SNCF présenter sa démission à « sa » tutelle (le ministre des Transports) quand survenait une catastrophe ferroviaire (pas un accident de passage à niveau quand même…). Alors que, bien évidemment, ce n’était pas le président de la compagnie nationale ferroviaire qui avait mal actionné un aiguillage faisant que deux trains roulaient l’un vers l’autre à leur pleine vitesse autorisée, sur une même voie… Cette pratique du « préfet qui saute » elle date même de Napoléon qui ne faisait pas de détails… On a même pris l’habitude dans nombre de films policiers, ou de séries télévisées, de montrer le ministre de l’Intérieur appelant le préfet de police, lui-même appelant le commissaire divisionnaire, lui-même haranguant ses troupes (les flics de base sur le terrain ou les « Brigades du Tigre » sous Clémenceau) pour arrêter tel ou tel serial killer, ou la « bande à Bonnot » au début du XXè siècle… Tout ce beau monde, tout au long de la chaine de commandement disant : « Au-dessus ça chauffe… si vous ne trouvez pas le coupable, on va tous sauter… ». En réalité seulement les chefs… Donc le fait que Christophe Castaner n’ait pas (encore) été sacrifié sur l’autel de la politique mais que ce soit le préfet de police qui ait été ainsi sanctionné n’a rien d’étonnant… Là où il y a une forme de nouveauté c’est que ces mutations-sanctions ont aussi concerné d’autres hauts fonctionnaires sous l’autorité du préfet Delpuech. Ont ainsi été impactés son directeur de cabinet (responsable des questions d’organisation du maintien de l’ordre) et un autre haut gradé de la « PP » (Préfecture de Police) en charge de l’ordre public. C’est plus rare. Ce qui est clair c’est que le chef de l’Etat et le premier ministre ont voulu signifier à la Préfecture de Police (dont on dit que c’est un Etat dans l’Etat) qu’elle n’avait plus de liberté de manœuvre. Mais ils ont aussi indiqué du même coup à Christophe Castaner qu’il avait « cramé » tous ses jokers et que, sans doute, le prochain sur la liste serait lui… Est-il plus mauvais que certains de ses prédécesseurs dont on taira les noms ?… Sans doute que non. En revanche s’il fallait le comparer à Bernard Cazeneuve qui occupa le poste au pire moment des attentats terroristes de 2015 et 2016, on aurait un écart comparable entre un « Rafale » (Cazeneuve) et un biplan de meeting aérien faisant des acrobaties (Castaner). Raison de plus pour considérer que c’est toujours, des deux avions, le biplan qui se crashe… D’évidence, peu crédible parce que novice dans la fonction, Christophe Castaner semble apparemment bien trop dilettante pour être craint et respecté. Il faut dire que le dernier « épisode » (même s’il s’agit-là de vie privée) dont il a été le « héros » relève davantage de « Plus belle la vie » et ce n’est pas parce que cette  télénovela-à-la-française est tournée à Marseille, ville chère au cœur du « kéké Castaner », qu’il doit nécessairement y jouer les crossover (« incursions » en français : terme désignant dans une série un invité « surprise » figurant au générique d’une autre série et tournant un épisode en tant qu’invité ou guest star).

Si les manifestations de ce prochain samedi prennent la même tournure, à Paris au moins, que celles de samedi dernier, la logique politique voudrait que le titulaire du ministère de l’Intérieur tire lui-même les leçons de cet échec et prenne la mesure de leurs conséquences pour présenter lui-même sa démission. Ce serait, au moins, une manière de servir de « fusible » au président de la République et au premier ministre…

Jean-Marc Boyer :Cette pratique de fusible préfectoral est d’autant plus polémique que les griefs sont multiples. L’ancien Préfet de police de Paris paie aussi pour son témoignage contesté concernant A. Benalla. Le nouveau Préfet a également connu des déboires dans les manifestations à Bordeaux.

La pertinence d’utiliser des militaires de l’opération Sentinelle (avec des fusils d’assaut) est également contestée, alors que l’utilisation des LBD avait déjà été jugée disproportionnée par l’ONU et les députés européens. Dans ce contexte, le différé dans l’application de la loi « anti-casseurs » par saisine du Conseil Constitutionnel interpelle. La présence du Président au ski ou celle du ministre de l’Intérieur en boite de nuit ont parachevé le tableau.

Cette pratique de fusible est compréhensible, mais peu acceptable par l’opinion, et surtout, elle est vouée au court-circuit. F. Hollande avait bien maintenu J. Cahuzac, alors qu’il pouvait disposer des informations, notamment fiscales de la DRFiP. Mais ici, c’est plus exposé pour E. Macron qui avait promis une révolution, y compris dans la moralisation de la vie publique.

Le Sénat est-il en train de joueur un nouveau rôle et ce rôle est-il positif ?

Guillaume Bigot : Oui, mais seulement parce que l’Assemblée monochrome et macronienne ne le peut pas. Ceci étant dit, même l’assemblée a été contrainte de redécouvrir le rôle de contrôle du pouvoir exécutif qui est le second rôle des assemblées (et en fait le seul puisque le rôle du vote de la loi est considérablement rogné) durant l’affaire Benalla. Tous les citoyens se sont mis à regarder LCP ou YouTube pour entendre les parlementaires cuisiner les hauts fonctionnaires de l’Élysée ou de Beauveau. Il entrait certes une part de voyeurisme et de curiosité malsaine dans l’intérêt porté à ce spectacle mais pas seulement. Il est très intéressant d’observer le fonctionnement du pouvoir d’Etat et de constater que les dirigeants peuvent politiquement rendre des comptes.

Dans ce sens, le Sénat dans l’opposition est une nouveauté, et il se doit de jouer son rôle de contre-pouvoir à plein, mais ne peut se permettre de le jouer à la légère, ses responsabilités étant très importantes. 

Les réactions du Premier ministre et du Président de l'Assemblée nationale ne montrent-elle pas une forme d'allergie démocratique de la part du parti majoritaire quand il se sent attaqué ? N'aurait-il pas été plus logique d'aller se défendre que de refuser la confrontation comme c'est ici le cas ?

Guillaume Bigot : Si, et c’est d’autant plus cruel pour Emmanuel Macron qu’il n’a eu de cesse de se projeter dans le fameux nouveau monde dans lequel devait se déployer un surcroit de démocratie et où il affirmait devoir rendre compte de ce qu’il faisait ou ne faisait pas. Il est pris à son propre piège. Ils réagissent aujourd’hui comme les gens du vieux monde, laissant, ironiquement, le rôle du jeune monde au Sénat. 

C’est le nouveau monde qui fait de la bonne politique politicienne et affirme que toute critique est un calcul politique, et non l’utilisation des pouvoirs qui sont garantis par la Constitution au pouvoir législatif. 

Alors effectivement, le pouvoir de contrôle est peu utilisé en France mais il faut rappeler que nous disposons de très peu de moyen pour cela. Pensons aux moyens pléthoriques dont disposent les commissions sénatoriales américains pour mener des enquêtes et auditer le fonctionnement du pouvoir, le traitement des dossiers, examiner les nominations; etc. , La commission Benalla a au contraire montré que les salles du Sénat ou de l’Assemblée étaient exiguës, mal agencées, sans faste républicain, très loin des ors de l’Elysée ou de Matignon. Mais c’est un début. Comme l’avait bien compris Philippe Seguin, la revivification de notre démocratie ne passera pas par le RIC mais passera à la fois par la rupture du lien de subordination juridique avec Bruxelles sur de nombreux domaines et sur la mise en œuvre effective d’un vrai contrôle parlementaire du pouvoir exécutif.

Jean Petaux : Vous ne pouvez vous défendre ou tenter de le faire, quelle que soit la situation, que si vous avez des arguments pour cela ou si vous vous sentez assez fort pour, en toute mauvaise foi, construire votre argumentation en défense. Dans le contexte politique actuel aussi fluide qu’insaisissable, à maints égards paradoxal et où se superposent plusieurs « affaires » y compris celle totalement ridicule de « Benalla », ou moins de 30.000 personnes parviennent à maintenir sous pression tout un appareil d’Etat, où guère plus de 2.000 activistes dans toute la France transforment une ou des villes en quasi-théâtre de guerre, où l’on fait appel à la force Sentinelle pour une mission qui n’a strictement rien à voir avec ce pourquoi elle est conçue, on voit bien que ce qui domine c’est la désorientation et l’absence de perspective. L’idée du grand débat était excellente a-t-on dit, à plusieurs reprises, pour gagner du temps mais aussi pour mettre en œuvre cette « démocratie de la parole ». Il aura suffi que quelques black blocks hyper-violents laissent libre cours à leur délire et à leurs pratiques anti-démocratiques pour que le poids des images (un kiosque qui brûle sur fond d’Arc de Triomphe, une vingtaine de dingues courant vers une voiture de police qui n’a comme d’autre issue que d’enclencher la marche arrière et de battre en retraite, lamentablement) vienne totalement amoindrir la force des mots échangés depuis cinq semaines et prononcés par Emmanuel Macron dans une série de stand updont presque tout le monde, y compris les sceptiques, y compris les adversaires, ont salué la performance. Comment voulez-vous, dans un tel contexte, que les logiques les plus élémentaires gardent leur place ?

Jean-Marc Boyer :Il s’agit moins d’une cohésion de parti (le Premier ministre était LR et n’est pas LREM, et le Président de l’Assemblée était PS) que de la nécessité pour le pouvoir de faire bloc face aux contestations. Mais cette réaction exagérée est contre-productive, car il s’agit à ce stade de signalements au ministère public, et non de condamnations.

R. Ferrand avait dû démissionner de son poste ministériel au bout d’un mois pour cause de l’affaire des Mutuelles de Bretagne, avant d’être ensuite promu au perchoir. Dans ces conditions, jouer les vierges offusquées par des affaires, en refusant un débat politique, relève du contre-emploi.

S’abstenir d’aller aux questions parlementaires pour le Premier ministre ne saurait être une attitude pérenne. Pour les deux, refuser d’aller à la concertation (« combattre ensemble » en latin) présente un risque : les absents ont toujours tort.

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