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Emploi record et hausse des salaires au Royaume-Uni...  Mais que se passe-t-il à 9 jours du Brexit ?
©DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

Apocalypse now, or never ?

Le taux de chômage au Royaume-Uni a reculé pour atteindre 3.9%. Un plus bas historique depuis 1975 malgré les incertitudes liées au Brexit.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Avec un chômage à 3,9% (chiffre le plus bas depuis 1975), et une croissance des salaire de 3,4% (soit le plus haut depuis 2008), l'approche imminente du Brexit ne semble pas plonger le Royaume-Uni. S'il traverse indéniablement une crise politique, pourquoi est-ce que l'économie semble (pour l'instant ?) se porter très correctement outre-Manche ? 

Michel Ruimy : A l’approche de la date officielle du Brexit, alors que la scène politique britannique est rythmée par d’incessants rebondissements, eux-mêmes liés au bras de fer entre Londres et Bruxelles, l’économie britannique affiche, en apparence, malgré ce chaos, de beaux résultats.
Le marché du travail britannique semble bien résister au contexte économique actuel. Le taux de chômage - un peu moins de 4% - est au plus bas depuis le milieu des années 1970. Le taux d’emploi c’est-à-dire la capacité d’un pays à employer sa main d’œuvre, a atteint un nouveau record historique à plus de 75%. Enfin, malgré un ralentissement économique général - la croissance économique observée en 2018 est à son niveau le plus bas depuis 2012 - qui provoque un tassement de l’investissement, les salaires, primes comprises, ont nettement progressé de 3,4% sur un an, renforçant le pouvoir d’achat des ménages qui avait souffert en 2017 d’une forte hausse des prix.
En fait, les entreprises britanniques ont du mal à recruter et la nécessité de suivre le rythme des revalorisations salariales de la concurrence expliquent notamment cette forte augmentation des salaires. Par ailleurs, les traitements de la fonction publique n’augmenteront pas autant que les rémunérations du secteur privé, avec une hausse d’environ 1% attendue cette année, après une brève poussée à 2%.
Avec une inflation bien présente - près de 2% en évolution annuelle - les salaires, en termes réels, restent ainsi inférieurs à ce qu’ils étaient avant la crise financière mondiale survenue voici plus de 10 ans. Ceci s’explique par la baisse de la productivité, qui serait inférieure d’environ 20% à ce qu’elle aurait été si la tendance pré-crise s’était maintenue. En conséquence, la croissance des salaires est dramatiquement à la traîne.
Cette hausse n’a qu’un effet limité sur la bourse britannique. Les traders restent inquiets sur les conséquences du Brexit. Le scénario le plus facile pour les marchés, en ce moment, est que la situation s’éclaircisse parce qu’il lèverait complètement les doutes planant autour de la sortie britannique de l’Union européenne. 

Dans quelle mesure l'action de la banque d'Angleterre permet-elle d'absorber le choc ?

A la fin du mois de novembre de l’année dernière, la banque centrale britannique avait tiré le signal d’alarme sur l’impact d’un Brexit sans accord. Dans un « scénario du pire », l’économie souffrirait plus que lors de la crise de 2008, avec une chute du Produit intérieur brut (PIB) de 8% d’ici à 2024, le taux de chômage monterait à 7,5%, l’inflation à 6,5%, les prix de l'immobilier chuteraient de 30% et la livre perdrait un quart de sa valeur !
Pour 2019, la Bank of England (BoE) a abaissé sa prévision de croissance du PIB, pour cette année, à 1,2% contre une estimation précédente à 1,7% faite en novembre. Cette révision en baisse de la prévision est la plus importante depuis celle intervenue après le référendum de 2016 sur le Brexit et place la Grande-Bretagne sous la menace de sa plus faible croissance dans les 10 ans qui ont suivi la crise financière.
Malgré ce pessimisme, elle a laissé sa politique monétaire inchangée avec un taux directeur à 0,75% alors que des tensions inflationnistes apparaissent. Cette hausse des prix est alimentée par une pression des coûts extérieurs résultant de la dépréciation de la livre et d’une hausse des prix de l’énergie. Les marchés s’attendent désormais à voir le taux directeur atteindre 1,1% fin 2021 contre 1,4% après les prévisions de novembre. Toutefois, l’institut d’émission a prévenu les investisseurs que les taux pourraient monter plus rapidement : elle anticipe une inflation dans deux ans à 2,1%, soit légèrement au-dessus de son objectif de 2%.
Mais, la mission de la BoE consistant à maîtriser son inflation tout en soutenant la croissance et l’emploi est rendue plus compliquée par le Brexit. Le brouillard actuel entraîne de la volatilité à court terme dans les indicateurs économiques et, plus fondamentalement, crée une série de tensions dans l’économie et pour les entreprises. La banque centrale a déjà signalé que les perspectives de remontée des taux ne seraient plus de mise en cas de Brexit sans accord car l’économie, dans son ensemble, n’est toujours pas préparée à une sortie sans accord et sans transition.
Il est certain que la levée des incertitudes entourant le Brexit serait un facteur qui conduirait la banque d’Angleterre à davantage d’optimisme en matière de croissance et d’inflation. 

Outre-Atlantique cette fois-ci 71% des Américains sont satisfait de leur économie, soit le plus haut depuis 2001. Si des effets de tassements de la croissance se font sentir, qu'est-ce qui explique que la politique si décriée menée par le gouvernement de Donald Trump fonctionne aujourd'hui ?

Les derniers chiffres de l’économie américaine sont-ils la preuve éclatante que le président américain est en train de réussir là où les experts anticipaient son échec inéluctable ? Des performances à faire pâlir d’envie la plupart des dirigeants européens. Pour flatteuses qu’elles soient, ces données ne décrivent toutefois qu’une partie de la réalité de l’économie américaine, qui pourrait rapidement connaître des lendemains plus difficiles. L’euphorie tient, en grande partie, à la baisse drastique de l’impôt sur les sociétés votée fin 2017, qui est allée directement grossir les profits des entreprises. 
Pourtant, cette décision, positive à court terme, hypothèque sérieusement l’avenir. Les recettes publiques ont déjà chuté d’un tiers et le déficit budgétaire s’agrandit. Généralement, ce type de stimulus est utilisé en sortie de récession. 
Or, l’économie américaine tourne à plein régime. Cette politique expansionniste fait courir le risque d’une surchauffe, que la banque centrale américaine devra inévitablement prévenir en relevant les taux d’intérêt. Ce resserrement monétaire couplé à une dette publique élevée pourrait avoir des effets désastreux. Lorsque le retournement de conjoncture se produira, les Etats-Unis n’auront plus de marge de manœuvre budgétaire pour relancer la machine.
Par ailleurs, les effets positifs des baisses d’impôts sont contrariés par les conséquences des tensions commerciales avec la Chine. Pour compenser les mesures de rétorsion prises par la Chine et l’Union européenne, le gouvernement américain s’est vu contraint de dépenser 12 milliards de dollars pour aider ses agriculteurs. La chambre de commerce américaine a calculé que, si une telle mesure devait être étendue à l’industrie, il en coûterait 39 milliards au contribuable. Ces mesures, dignes d’une économie administrée, ne seront pas longtemps soutenables.
Plus grave à long terme : en bouleversant les règles du libre-échange, M. Trump est en train d’écorner sérieusement l’attractivité des Etats-Unis. Les investissements directs étrangers ont été divisés par trois entre le premier trimestre 2016 et la même période de 2018. Un signal inquiétant, alors que les baisses d’impôts et la croissance devraient attirer les capitaux. Cette situation est d’autant plus dommageable qu’elle ne réglera en rien le déficit commercial américain, qui est davantage dû à un manque d’épargne qu’à des barrières douanières défavorables aux Etats-Unis. L’accroissement du déficit budgétaire ne fera qu’aggraver cette situation.
Cette année devrait être une année de ralentissement modéré de la croissance. L’automne arrive, mais pas l’hiver.

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