A quoi le maoïsme dont semble s’être inspiré Emmanuel Macron pour lancer le Grand Débat le mènera-t-il maintenant qu’il est terminé ?

Atlantico : Emmanuel Macron en 2017 avait a plusieurs reprise fait référence à Mao Zedong, parlant notamment de « Révolution culturelle » et allant jusqu’à affirmer publiquement qu’il était maoïste, reprenant les mots du Grand Timonier : « Un bon programme économique est un programme qui marche ». Quepensez-vous de cette référence ?

Sylvain Boulouque :  Il est tout à fait scandaleux, quand bien même on ne se réfère pas aux dégâts qu’il a produit, de se dire maoïste aujourd’hui. Rappelons que le Grand bond en avant a provoqué une des plus grandes famines de l’Histoire de l’humanité, que la Révolution culturelle a été un massacre de masse et la destruction d’une grande partie du patrimoine culturel chinois. 

Après, il s’agit d’un mauvais jeu de mot pour mettre en avant sa volonté d’aller directement vers le plus efficace. En cela, c’est d’autant plus malvenu que la majeure partie de l’analyse historique de la politique de Mao tend aujourd’hui à montrer que bien à rebours de ce que pense Emmanuel Macron, que l’action du Grand Timonier a été tout sauf efficace, et qu’il n’est pas parvenu aux buts fixés (la grandeur de la Chine), contrairement à ses successeurs. 

S’il s’agit bien entendu de faire référence à un élan, à une réelle transformation de la société qui n’a rien à voir avec la transformation de la société en paradis communiste, les références d’Emmanuel Macron ne sont-elles pas si farfelues que cela quand il parle de Révolution culturelle ? Cela ne correspond-il pas d’une certaine façon à sa vision stratégique de la politique ?

Evidemment la référence a ses limites. Lors de la révolution culturelle, Mao utilise une partie de la jeunesse pour mettre à bas toutes les anciennes structures, notamment du parti. Emmanuel Macron peut utiliser ces références pour dire qu’il a mis à bas tous les vieux partis, et que son livre Révolution a des airs de Petit livre rouge. Sauf que le cadre est vraiment tout autre. Il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit pour une grande partie d’une référence qui se veut principalement humoristique. Car Emmanuel Macron n’a pas la volonté de soulever la jeunesse, loin de là, pensez à l’épisode du jeune qui l’interpelle en criant « Manu », et où Emmanuel Macron lui nie la capacité de contester ainsi la solennité du pouvoir. 

Mais quand on pense au Grand débat…

Le Grand débat en effet à quelque chose en apparence de très maoïste : il s’agit de mobiliser l’ensemble du corps national pour sortir de la crise mais surtout arriver à ses fins. Cela ressemble à du maoïsme et à la Révolution culturelle en particulier en ce qu’on mobilise un corps pour l’opposer à un autre. Cependant, les gardes rouges ne sont pas des Gilets jaunes aujourd’hui. Le Grand débat a permis de renverser l’ordre des choses si on le compare à la Révolution culturelle : il ne s’agit plus de détruire la société mais le mouvement social lui-même. La déstabilisation par l’appel à la masse vise cette fois-ci la masse elle-même. 

Tout cela est bien entendu de la communication politique, et est peut-être lié au fait qu’Emmanuel Macron est probablement entouré de conseillers en communication qui sont d’ex-maoïstes ou des fils d’ex-maoïstes qui ont été nombreux dans l’intelligentsia issue de mai 68. Ces conseillers doivent trouver amusant de s’en référer à Mao pour construire leurs stratégie. On le voit très bien, quand Emmanuel Macron faisait référence, au début du mouvement En marche ! à la Longue Marche (la marche mythique de Mao qui parcours la Chine à pied pour rassembler le peuple autour de lui) pour parler de l’envoi en mission de ses militants pour remplir des questionnaires auprès de tous les Français. Tout cela est une référence au maoïsme français, qui était bien aveugle à la tragédie qui se jouait alors en Chine populaire. Cela montre à quelle point en France l’histoire du communisme reste connotée positivement pour une grande partie de la population alors que cette idéologie a été le ciment des plus grandes tragédies du XXe siècle. Il faut voir à quel point la communauté chinoise expatriée en France pour fuir leur pays réagit quand on lui présente une effigie du Grand Timonier. Lors de Tienannmen en 1989, ces Chinois expatriés cassaient des portraits de Mao (alors pourtant mort) pour protester

La Révolution culturelle n’a pas bien terminé pour Mao comme pour la Chine… L’avenir de cet ersatz étrange de Révolution culturelle qu’est le Grand débat sera-t-il aussi funeste ?

Ce qui s’est passé, c’est que le mouvement de marche qui voulait supprimer tous les corps intermédiaires s’est retournée contre lui, donc déjà le mouvement des gilets jaunes est une contestation visible de sa première stratégie de révolution culturelle avec le mouvement En Marche ! On pourrait dire que participant du même élan, les Gilets jaunes, qui demandent eux aussi une transformation de la société et ont été déçu par Emmanuel Macron ont retourné ce mouvement contre lui. Pour la suite du quinquennat, les choses risqueraient d’empirer, en ce qu’Emmanuel Macron utiliserait cette assise artificielle pour affermir encore son pouvoir… Enfin la comparaison a bien entendu ses limites !