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La délicate équation politique qu’ouvre pour Emmanuel Macron la collision du calendrier des Européennes et de celui du Grand débat
©NICOLAS TUCAT / AFP

Test de la patience des Français

Emmanuel Macron l'a annoncé, les Européennes prendront la place du Grand Débat d'ici quelques semaines. Repoussant la conclusion de cette séquence... en automne.

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico : Face aux prochaines échéances électorales, la conclusion du Grand débat pourrait être repoussée après les élections européennes. La grogne des Français, Gilets jaunes en tête, peut-elle s'accommoder d'un report ?

Chloé Morin : La grogne des Gilets jaunes, on le voit, rencontre de plus en plus de lassitude de la part d’une partie des Français. Leurs méthodes sont de plus en plus contestées, tout comme leur incapacité à s’organiser est regardée avec de plus en plus de sévérité par une partie du pays. Sauf réorganisation radicale et réorientation de leurs méthodes, le temps joue contre les Gilets jaunes. A cette aulne, on peut comprendre que le gouvernement ne soit pas pressé d’atteindre la fin du débat, d’autant plus que ce moment s’annonce potentiellement périlleux pour lui : une fois les mesures et conclusions du débat annoncées, quelle sera la réaction des Gilets jaunes, et des Français en général? Le mouvement pourrait-il s’appuyer sur une éventuellement déception pour se remettre en selle? L’exécutif sait sans doute que ce moment sera important, et l’on peut comprendre qu’il souhaite l’aborder dans les meilleures conditions possibles.

Au vu de ce qui se passe depuis quelques semaines - les violences sont placées au coeur du débat, et l’on parle beaucoup moins d’ISF, de justice sociale, de pouvoir d’achat qu’auparavant - le gouvernement a sans doute plutôt intérêt à reporter l’issue. Mais il doit prendre garde à ce que cela ne se retourne pas non plus contre lui. On ne sait en effet pas comment les Français interprètent ce report éventuel : tentative d’entourloupe, de fuir les revendications exprimées, de « laisser pourrir », ou bien volonté de prendre le temps nécessaire pour élaborer des solutions à la hauteur des enjeux? Nous n’avons pas de réponse à cette question, mais la première option mettrait sans doute le gouvernement en difficulté...

Les élections européennes souffrent d'un déficit de popularité et affichent des taux de participations bien moindres que les élections nationales. Emmanuel Macron peut-il se reposer sur cette élection souvent  considérée comme secondaire comme exutoire à la colère populaire ?

Comme pour toutes les élections, les enjeux du scrutin se mêlent aux enjeux nationaux, et les élections européennes ne feront pas exception. Dans la dernière intention de vote réalisée par IPSOS pour le CEVIPOF, Le Monde et la Fondation Jean Jaurès, 58% des français déclarent qu’ils se détermineront avant tout en fonction des propositions des partis sur des questions nationales, et 42% sur des questions européennes. C’est un grand classique de dire que les gens ne répondent jamais à la question posée lors d’un référendum, mais c’est aussi vrai, en partie, des autres élections…

Donc tout dépendra de la manière dont le débat tournera aux abords des Européennes - et l’on peut parier que beaucoup de partis vont essayer de transformer l’élection en référendum sur la personnalité et la politique du Président, Mélenchon avait déjà amorcé cette stratégie il y a quelques mois. Si le débat porte uniquement sur les questions nationales, ce sera un rendez-vous manqué de plus avec l’Europe et ce que nous souhaitons en faire. 

Quoi qu’il en soit, un Président qui sortirait en tête des élections, quelles qu’elles soient, serait forcément renforcé - ne serait ce qu’au sein de son camp. Cela ne vaudrait évidemment pas chèque en blanc pour poursuivre son action jusqu’en 2022 tranquillement, nous avons vu ces derniers mois à quel point les mandats pouvaient être contestés en cours de route. Mais cela lui donnerait sûrement un bol d’air temporaire.

Selon un sondage IFOP paru le 1er mars, le Grand débat est d'ores et déjà considéré comme "vain" par 62% des Français. Paradoxalement, les 38% d'opinions favorables restants peuvent-ils suffire à Emmanuel Macron pour redresser la barre ?

L’histoire a démontré que ce n’est pas parce que nous anticipons une déception que celle ci est moins fortement ressentie le moment venu. Je reste donc prudente sur l’interprétation de ces données. Nous avons bien vu que beaucoup de Français manifestaient un certain scepticisme dès l’entrée dans ce débat, mais cela ne les empêche pas de jouer massivement le jeu « pour voir » … Ils se méfient du gouvernement et n’ont pas confiance en les responsables politiques en général, mais cette défiance n’atténue en rien leurs attentes. 

La seule question qui vaille à mon sens, et que nous ne sommes pas capables de trancher à ce stade, est : est ce que les gens jugeront avant tout la méthode (« il a enfin écouté, il a eu le courage de se confronter au peuple, il a essayé de concilier des attentes contradictoires, il a montré qu’il cherchait à changer de méthode de gouvernance »…), ou bien jugeront-ils uniquement le résultat, c’est à dire les mesures qui sortiront du débat? Je pense que le paris Présidentiel est que la méthode comptera davantage, à la fois pour modifier son image hautaine et méprisante, et pour faire internaliser par une partie des français les contraintes qui sont les siennes (la nécessité de concilier des attentes contradictoires et changeantes, visible lors des débats où il s’est trouvé confronté aux Français), et donc d’acheter un peu d’indulgence de leur part. 

38%, pour autant que ce chiffre veuille dire quelque chose, c’est énorme au regard de la fragmentation de notre paysage politique, où pas un seul candidat aux européennes ne recueille plus d’un quart des intentions de vote à ce jour, et où beaucoup se trouvent entre 5 et 15%… La question pour les mois qui viennent est donc : Emmanuel Macron a-t-il réussi à ressouder un bloc électoral suffisamment solide et cohérent, et va-t-il parvenir à le conserver jusqu’à la fin de son mandat? 

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