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Alain Juppé ou l’homme emblématique de cette génération politique qui a jeté l’Europe dans le fossé
©MICHEL CLEMENT / AFP

Mon Europe, ou le chaos !

En réduisant tout débat sur l’Europe a un pour ou contre plutôt qu’à un comment, Alain Juppé n'a cessé lors de toute sa carrière d'hystériser la question européenne.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Ce vendredi 1er mars, avant de rencontrer Emmanuel Macron à Bordeaux dans le cadre du grand débat, Alain Juppé a déclaré que les prochaines élections européennes du 26 mai consisterons en un choix entre "ceux qui croient vraiment à l'Europe et ceux qui n'y croient pas vraiment, voire par du tout". Dans quelle mesure cette rhétorique d'un "tout ou rien" -un choix moral - utilisée par Alain Juppé étouffe-t-elle toute possibilité d'un débat constructif sur l'Europe, son efficacité, et ses nuances ? 

Edouard Husson : D’abord, il est assez étonnant qu’Alain Juppé se permette d’intervenir encore dans le débat public alors qu’il a été annoncé qu’il rejoignait le Conseil Constitutionnel. Lorsqu’on se demande pourquoi les Français ont largement perdu confiance dans leur classe politique, il ne faut pas chercher bien loin. Nous avons affaire à des gens qui pensent pouvoir jouer sur tous les tableaux. Alors qu’il y a très clairement un conflit d’intérêt. Le maire de Bordeaux sortant aura pour charge de veiller à la conformité des lois avec la Constitution. Or rien ne garantit que Monsieur Juppé n’aura pas à se poser la question d’une incompatibilité entre telle transposition des textes européens et la Constitution. S’il n’en tient pas compte, on le soupçonnera d’être resté l’Européen non-critique qu’il a confirmé être ce jour dans sa dernière intervention publique. S’il contribue à faire rejeter un texte, on se demandera pourquoi il l’a fait finalement sans qu’on puisse s’en expliquer avec lui. 

Ensuite, deuxième remarque, il est pour le moins cocasse qu’un des membres les plus éminents de ce qu’Alain Minc appelle “le cercle de la raison” se réclame à ce point d’une croyance en l’Europe. En fait, le regretté Philippe Murray avait montré dans son magnifique ouvrage intitulé Le XIXè siècle à travers les âges qu’au XIXè siècle, déjà, les plus rationalistes en apparence étaient aussi ceux qui avaient le plus de chance d’être porteurs d’une croyance, plus ou moins avouée. Au moins, avec Juppé, on sait à quoi s’en tenir. 

En quoi Alain Juppé est-il emblématique d'une génération politique qui a contraint de le débat européen dans cette logique binaire du pour ou contre ?

Cela a commencé au moment de la campagne qui a précédé le référendum sur Maastricht à la fin de l’été 1992. Il y avait déjà une tendance insupportable, de la part des défenseurs du Traité, à expliquer qu’ils étaient du côté lumineux de la force tanfis que les autres, ceux qui s’apprêtaient à voter non, étaient des individus rétrogrades. Je me rappelle très bien avoir pensé que, même si je n’avais pas eu d’autre objection à faire au Traité, j’aurais voté non à cause de l’intolérance des partisans du oui. C’est le moment où s’est constitué ouvertement le “cercle de la raison”. Ce dernier porte bien son nom: il s’agit d’une pensée essentiellement circulaire, qui consiste à dire que l’Europe est une bonne chose parce que c’est l’Europe, qui est une bonne chose d’ailleurs. Soit vous vous joignez à la ronde, soit vous êtes du côté obscur de la force. Alain Juppé a joué un rôle essentiel dans le ralliement du RPR à cette pensée circulaire. 

En quoi cette logique du pour ou contre se rapproche-t-elle de la volonté punitive qui s'exerce à l'égard du Royaume Uni dans le contexte du Brexit ?

Les 52% de britanniques qui ont voté pour le Brexit sont sortis du “cercle de la raison”. Le secret espoir de tous les européeistes, c’est d’obtenir la renonciation au Brexit lors d’un second référendum, qui inverserait le résultat. Et il suffit de regarder le déroulement des négociations depuis des mois pour constater que les dirigeants de l’UE sont dans une irrationalité totale: ils refusent de négocier, contre toute règle politique. Ce sont les idéologues et les croyants fondamentalistes qui se comportent ainsi. Dans une Europe vieillissante, la croyance en l’Europe est la dernière utopie, un peu faiblarde mais solidement enracinée dans les cohortes les plus âgées. 

Il est d’ailleurs utile de se rendre compte qu’il existe une véritable coupure générationnelle. Un sondage Opinion Way donne les intentions de vote suivantes dans le groupe des 25-34 ans: 30% pour le Rassemblement national et seulement 15% pour LREM. La coupure n’est plus seulement sociale, elle aest aujourd’hui générationnelle aussi! Que dire, dans ce cas: est-ce qu’en plus de la dictature des métropoles on instaurera une dictature des générations les plus âgées? C’est peu probable mais les mauvaises idées ont la vie dure.  

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