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Sissi bis : les militaires algériens rêvent d’un scénario à l’égyptienne
©STRINGER / AFP

Boutez-Flika

Alors que la contestation populaire grandit contre la nouvelle candidature à la présidentielle d'Abdelaziz Bouteflika, la situation pourrait évoluer vers un passage en force des militaires.

Roland Lombardi

Roland Lombardi

Roland Lombardi est consultant et Directeur général du CEMO – Centre des Études du Moyen-Orient. Docteur en Histoire, géopolitologue, il est spécialiste du Moyen-Orient, des relations internationales et des questions de sécurité et de défense.

Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à la Business School de La Rochelle.

Il est le rédacteur en chef du webmedia Le Dialogue. Il est régulièrement sollicité par les médias du Moyen-Orient. Il est également chroniqueur international pour Al Ain.

Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment :

« Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI - Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104.

Il est l'auteur d'Israël au secours de l'Algérie française, l'État hébreu et la guerre d'Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.).

Co-auteur de La guerre d'Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d'Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022.

Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020. 

Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l'influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) - Préface d'Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)

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Atlantico: Alors que le contexte électoral algérien se trouve confronté à une opposition de la rue, par le biais de manifestations fustigeant la nouvelle candidature d'Abdelaziz Bouteflika, comment évaluer la situation à moyen-long terme ? Qui sont ceux qui pourraient tirer leur épingle du jeu ?

Roland Lombardi : Pour l’instant, ces grandes manifestations, assez inédites depuis une trentaine d’années, demeurent pacifiques. Certes, le pays est régulièrement traversé par des rassemblements, voire même de petites émeutes, mais ceux-ci sont toujours restés sporadiques et isolés. Le mécontentement et la colère sont grands et couvent depuis plusieurs mois notamment à cause des difficultés économiques et sociales grandissantes. Mais l’annonce de la candidature pour un cinquième mandat (inévitable donc) de l’actuel président, Abdelaziz Bouteflika a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Les Algériens ont, à juste titre, le sentiment d’être pris pour des imbéciles. Pour eux c’est une véritable « mascarade » ! En effet, nous connaissons tous l’état de santé du président algérien, qui a été littéralement foudroyé par un accident vasculaire cérébral en avril 2013. Depuis, fortement diminué et paralysé, ses apparitions publiques se sont faites de plus en plus rares voire quasi inexistantes. Et personne n’est dupe. Dans les faits, le pouvoir réel à Alger est entre les mains de trois « clans ».

Rapidement, il y a d’abord, ce qu’on appelle «le clan présidentiel», dirigé par Saïd Bouteflika (61 ans), le frère cadet du Président. Véritable éminence grise incontournable, le discret et non moins efficace et très influent conseiller spécial du palais d’El Mouradia, règne donc sur un ensemble composé des partis qui ont fait allégeance au président : le Front de libération nationale (FLN), le Rassemblement national démocratique (RND), le Mouvement populaire algérien (MPA) et le Rassemblement de l’espoir de l’Algérie (TAJ). Il faut également ajouter les milieux d’affaires, acquis au pouvoir en place, principaux propriétaires des médias algériens mais aussi très liés aux deux autres « clans » que sont l’Armée et les services de renseignement algériens, respectivement dirigés par le général Ahmad Gaïd Salah (79 ans) le puissant chef d’état-major et vice-ministre de la Défense et le général Athmane Tartag dit « Bachir » (69 ans), le patron du Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS) devenu depuis le Département de Surveillance et de Sécurité (DSS).

Il ne faut surtout pas oublier le retors Premier ministre Ahmed Ouyahia...

Or, en dépit d’un certain modus vivandi pour diriger le pays, les différents, les désaccords, les rivalités, les luttes d’influences et les jeux d’alliances sont toutefois fréquents et très fluctuants selon les circonstances, entre ces trois pôles comme d’ailleurs en leurs propres seins.

Du côté de l’opposition, les syndicats et les partis non inféodés au pouvoir, comme d’ailleurs les partis de gauche et les islamistes, sont faibles, divisés et demeurent très prudents devant ces évènements. Par ailleurs, il n’y a pas de leader sérieux et crédible qui semble émerger pour l’instant. Alors bien sûr, les médias occidentaux évoquent le nom de Rachid Nekkaz. C’est le fameux « syndrome Kennedy » dont est notamment friande l’Intelligentsia française : la « bella figura » pour la forme, mais le vide sidéral pour le fond !  Car cet homme d’affaires franco-algérien de 47 ans, véritable pro de la com’ et présenté comme « la nouvelle idole de la jeunesse algérienne », est certes populaire sur les réseaux sociaux mais que représente-t-il réellement ? Nekkaz combien de divisions ? De plus, ses actions médiatiques en France (Il paya les amendes des femmes verbalisées portant une burqa, il a soutenu le burkini...) me laisse assez perplexe quant à ses soutiens, ses prises de position et ses réelles ambitions... Enfin, dans le cadre des règles électorales actuelles en Algérie, il est fort probable qu’il ne puisse même pas se présenter aux futures élections. Non, soyons sérieux et il faut relire le dernier portrait qu’en a fait Kamel Daoud, pour comprendre que Rachid Nekkaz est peut être aussi virtuel que Bouteflika !

Au final, quoi qu’il advienne dans les prochaines semaines, et même si les avocats, les journalistes, les artistes et les étudiants algériens ont raison de dénoncer la corruption, le gâchis économique et surtout ce « système mafieux», malheureusement, et ne nous berçons pas d’illusions, rien ne se fera sans l’Armée (qui rappelons-le est une armée populaire) et les services spéciaux. Comme ailleurs dans la région, j’ai donc bien peur qu’il n’y ait pas de « printemps algérien ». Nous risquons d’assister plutôt à un nouveau « printemps des militaires », mais à quel prix ?

Quels sont les risques d'assister à un passage en force des militaires ? Avec quelles conséquences pour le pays ?

Jusqu’ici les manifestations, aussi impressionnantes soient-elles, restent relativement pacifiques et calmes. Les services de sécurité algériens, quant à eux, font preuve de retenue voire même de bienveillance. Certains évoquent même une énième manipulation de l’Armée, à savoir que ces manifestations serviraient en premier lieu leurs intérêts et leur permettraient de mettre la pression sur Saïd Bouteflika (dont la légitimité est contestée par beaucoup) pour mieux le sortir du jeu. C’est vrai que lorsque nous regardons la carte de la protestation, la mobilisation est importante à Alger, Oran, et dans les autres villes du Nord et de l’Est mais beaucoup moins (pour le moment) dans le Sud et l’Ouest du pays, considérés comme les fiefs du clan Bouteflika... Mais sans aller jusque là, et même s’ils sont de piètres stratèges économiques, les militaires algériens, qui sont réputés pour être des experts en manipulations et en infiltrations, peuvent très bien profiter de la situation pour imposer définitivement leur leadership. Reste à savoir comment.

Deux possibilités se présentent à eux. La première, la manière douce, le scénario idéal, serait effectivement de se servir de la contestation actuelle et de la pression populaire pour écarter Saïd et le clan Bouteflika (pour l’instant c’est loin d’être le cas puisque hier la candidature du président sortant a été confirmée !). Ainsi, afin d’organiser graduellement une certaine forme de transition politique, tout en préservant leurs prérogatives, l’élection présidentielle serait maintenue avec la promesse de la création d’une Assemblée constituante, la rédaction d’une nouvelle constitution soumise à un référendum et de nouvelles élections législatives. Pour cela, les militaires se devraient donc de choisir et soutenir (discrètement pour ne pas trop le discréditer) un candidat idoine, sérieux et « indépendant ». Peut-être, par exemple, l’ancien général Ali Ghediri (65 ans). Toutefois, ce n’est pas du tout gagné car ce dernier, candidat à la présidentielle, a pris ses distances avec le « système » et n’a cessé depuis de le critiquer. Enfin, et c’est une autre histoire, il faudrait que Tartag et Salah arrivent à s’entendre, mettent de côté leur rivalité et surtout leur ego, puisque tous deux, s’imaginent sûrement comme le futur « Sissi algérien »...  

Ceci nous mène alors à l’option la plus noire et qui se traduirait par un « pourrissement » volontaire de la situation afin, pour certains officiers, de se présenter, et finalement s’imposer, en ultime recours face au chaos comme en Egypte. Cependant, ce pari est fort risqué car nous savons comment commence une strategia della tensione mais nous ne savons jamais quelle en sera l’issue...

Comment imaginer la position française dans un tel scénario ? Quels en sont les risques pour Paris ?

Bien sûr, la « décennie noire » est encore dans tous les esprits des Algériens. Ces derniers restent traumatisés par la guerre civile des années 1990 qui a fait des dizaines de milliers de morts. Certains, nés au début de la guerre civile, ont environ 25 ans aujourd’hui (plus de la moitié de la population totale algérienne !) et beaucoup, ont alors été les témoins d’atrocités extrêmes. Toutefois, les plus jeunes, ceux qui ont actuellement 16, 17 ou 18 ans, eux, n’ont pas connu cette période dramatique. Dès lors, reste à savoir si les échecs, souvent tragiques, des Printemps arabes dans la région suffiront, à eux seuls, à faire oublier leur profond désarroi social et surtout calmer leur colère…

En attendant, dans le pire des scénarios, à savoir une guerre civile, celle-ci aurait inévitablement, comme dans les années 1990, des répercutions sur notre territoire où vit la grande majorité de la diaspora algérienne. Sans parler de la crise migratoire à travers la Méditerranée qui pourrait alors exploser, avec les conséquences déstabilisatrices que l’on imagine aisément. Une Algérie déstabilisée et plongée dans le chaos constituerait un problème majeur pour la région mais aussi pour l’Europe et en premier lieu pour la France. Rappelons que la France a besoin de l’Algérie au Sahel et que surtout, les services algériens (comme marocains d’ailleurs) nous ont grandement aidé (et continuent à le faire) pour enrayer les vagues d’attentats que nous avons connues ces dernières années...

Dans cette tragique éventualité, il faut simplement espérer que nos lamentables erreurs dans les dossiers libyen et syrien, nous aient au moins servi de leçon et que, la position de Paris restera alors prudente, réaliste et surtout soucieuse de nos seuls intérêts sécuritaires.

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