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5 indicateurs de la (faible) culture démocratique du gouvernement
©LUDOVIC MARIN / AFP

Merci les contre-pouvoirs

Même s’il serait absurde de prétendre que la France du quinquennat Macron ne serait plus une démocratie, dans le fil des critiques faites par le gouvernement au Sénat, de la loi anti-casseurs ou des propos de Marlène Schiappa sur la manif pour tous, certaines questions gênantes se posent néanmoins.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Frédéric Mas

Frédéric Mas

Frédéric Mas est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef de Contrepoints.org. Après des études de droit et de sciences politiques, il a obtenu un doctorat en philosophie politique (Sorbonne-Universités).

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Atlantico : Quel est le degré de culture démocratique réel du gouvernement d'Edouard Philippe…

En termes de respect de la liberté d'expression et de conscience ? 

Frédéric Mas : Emmanuel Macron appartient à cette fraction des élites occidentales qui a vécu l’élection de Donald Trump de l’autre côté de l’Atlantique comme un avertissement : la liberté de parole sur les réseaux sociaux a généré les fake news qui sont à l’origine de la défaite d’Hillary Clinton, Celle-ci, au fond, était presque naturellement destinée à régner aux yeux des progressistes. Livré à lui-même, le peuple est incontrôlable, versatile et manipulable. Sa parole doit être contrôlée par plus compétent que lui, ses informations recoupées pour éviter qu’il ne s’égare. L’esprit de la loi anti-fake news, adoptée le 20 novembre dernier, considère le citoyen ordinaire comme un mineur que les juges ou les pouvoirs publics se doivent de contrôler pour suppléer à sa déficience de jugement. Emmanuel Macron a également prévu de faire collaborer les services de l’Etat avec Facebook pour expurger le fameux site des contenus racistes, antisémites, homophobes ou sexistes.

Cette défiance fondamentale à l’endroit de la liberté du citoyen ordinaire n’a pas d’origine démocratique, mais provient plutôt de l’origine technocratique de la garde rapprochée de Macron. Venant principalement de Bercy et de la haute fonction publique, elle se voit comme omnicompétente et n’accepte pas que ses administrés puissent avoir son mot à dire dans leurs décisions. Elle veut bien être jugée par ses pairs, mais pas par ces citoyens incultes, incompétents et occasionnellement réactionnaires.

Bertrand Vergely : Il y a aujourd’hui un problème de liberté de conscience. Et de ce fait de liberté d’expression. Quand on commence à surveiller le langage, à interdire certains mots comme père et mère et à les remplacer par parent 1 et parent 2 sous prétexte de nous rendre démocratiquement corrects en nous faisant bien penser et bien parler, nous ne sommes plus en démocratie, mais dans un régime totalitaire du style Big Brother. Marlène Schiappa dans son interview ne parle pas de parent 1 et de parent 2. Mais, elle a le bon sens de reconnaître que l’écriture inclusive est d’un ridicule achevé et qu’elle ne peut aboutir qu’à faire haïr la cause qu’elle prétend défendre. Dommage que sa lucidité quant à l’écriture inclusive n’ait pas inspiré ses propos sur La manif pour tous. 

Par ailleurs, quand nous entrons dans un monde où nos téléphones surveillent ce que nous disons et interviennent dans nos conservations en nous fournissant des informations sous prétexte de nous aider, nous ne sommes plus dans un monde de liberté et de conscience mais dans un monde totalitaire, là encore du style Big Brother. 

En termes de respect de l'indépendance de la justice ?

Frédéric Mas : Le gouvernement actuel ne semble pas plus respectueux de l’indépendance de la justice que ses prédécesseurs, hélas. Depuis maintenant des décennies, le pouvoir exécutif en France s’attache à réduire l’autorité d’une justice qu’il a toujours soupçonné de vouloir empiéter sur ses plates-bandes. C’est le fameux, mais totalement fantasmé, « gouvernement des juges », des Eva Joly, Van Ruymbeke ou encore du regretté Thierry Jean-Pierre.

Avec l’affaire Benalla, on a vu que le respect du droit et la peur du juge n’étaient pas vraiment dans les mœurs de l’Élysée. Pire encore, lorsque le Sénat demande des comptes à l’Elysée, la ministre de la justice en personne monte au créneau pour défendre l’exécutif contre ce qu’elle désigne comme le non-respect de la séparation des pouvoirs… en dépit du fait que la vénérable assemblée est dans son rôle légitime et n’a fait que formuler des recommandations. Comme l’a rappelé récemment Dominique Rousseau, le parlement a pour devoir de contrôler l'action de l'exécutif et l'utilisation des deniers publics, le Sénat n’outrepasse pas son rôle. Entendre un ministre de la justice prendre partie pour défendre la zone de non droit élyséenne contre les commissions qui tendent d’établir un peu de transparence a quelque chose d’extrêmement inquiétant pour la démocratie.

Bertrand Vergely : La façon dont l’affaire Benalla est menée est pour le moins étrange. Un jour, il procède en toute impunité alors qu’il devrait être poursuivi, un autre jour, il est incarcéré. On parle de secret de l’instruction. Les medias ne cessent de le violer en nous donnant accès à des informations considérées comme confidentielles. La République commence à ressembler à la République des courants d’air où non seulement tout le monde se mêle de tout mais tout se divulgue et tout est divulgué. Dans ce contexte, les medias ainsi que les réseaux sociaux se mêlent d’être une justice à la place de la justice. Ils sont même le tribunal permanent de la société. Ce qui rend la justice très vulnérable. Ayant peur d’être mal jugées par les médias ainsi que les réseaux sociaux, celle-ci se met inconsciemment à être aux ordres. On a pu s’en rendrez compte à l’occasion du boxeur qui a tabassé un gendarme lors d’une manifestation des gilets jaunes. Tout a été fait pour ne pas trop mécontenter la foule. Essayez d’aller tabasser un gendarme. Vous verrez si  vous ne vous en tirez qu’avec quelques semaines de prison. 

En termes de respect du Parlement ?

Frédéric Mas : La verticalité du pouvoir macronien ne voit l’Assemblée Nationale que comme le prolongement naturel de l’exécutif, dans la mesure où le groupe macroniste est majoritaire, et le Sénat comme un obstacle à surmonter par tous les moyens possibles, dans la mesure où c’est l’opposition qui est majoritaire. La culture démocratique du débat, avec ses discussions et ses compromis y passe au second plan au nom de l’efficacité et de la compétence technocratique.

Comme le note Jean-Marc Daniel dans son livre Macron. La valse folle de Jupiter (2018), le groupe La République en Marche au parlement est avant tout un « club de supporters » du président, qui ne doit son élection et son unité qu’à la personne d’Emmanuel Macron. En aucun cas on ne leur demande une participation active à l’élaboration du projet présidentiel.

Là encore, l’affaire Benalla a agi comme un révélateur de la culture démocratique des « marcheurs ». A l’assemblée nationale, la commission d’enquête n’a jamais pu remettre de rapport car la majorité n’a jamais pu s’entendre avec l’opposition pour que le débat se déroule et se conclut sereinement. De son côté, le Sénat a gagné en popularité et en prestige grâce au travail unanimement salué de Philippe Bas, qui a su coopérer avec les autres groupes politiques pour auditionner et interroger Benalla. La fracture culturelle démocratique est aujourd’hui encore ouverte !

Bertrand Vergely : Là encore, c’est le tourbillon qui domine. Un jour, les députés proposent de criminaliser l’antisionisme. Le lendemain, machine arrière, il n’est plus question d’un tel projet qui tombe à la trappe. Dès qu’un problème surgit dans la société et dès que les medias en parlent, le Parlement est saisi. Vite une loi. Ce n’est plus la République des courants d’air mais du tourbillon.

En termes de respect des libertés publiques ?

Frédéric Mas : Non seulement Emmanuel Macron s’est fait le continuateur de François Hollande en termes de restriction des libertés, mais, avec le mouvement des Gilets jaunes, il en a profité pour revenir étendre un peu plus l’emprise de l’administration au nom de la répression des violences, et cela au détriment du juge. Dans un Etat de droit bien réglé, c’est ce dernier qui devrait avoir le dernier mot en matière de libertés publiques.

De plus, Emmanuel Macron n’a pas levé l’état d’urgence, mais l’a intégré au droit commun. La législation d’exception a été adoptée sans franche protestation. Elle permet désormais à l’administration de jouir d’un pouvoir sans précédent en termes de perquisition, de dissolution de groupes ou encore d’assignation à résidence sans passer la case judiciaire. C’est un blanc seing donné au pouvoir politique. Ceci montre malheureusement qu’en matière de culture démocratique, les gouvernés sont aussi démunis que les gouvernants, et leur attachement au constitutionnalisme passe bien après leur demande de sécurité.

Avec la loi anticasseurs récemment adoptée, le préfet pourra interdire préventivement la tenue d’un rassemblement en cas d’atteinte à l’ordre public. Là encore au nom de l’efficacité technocratique, tout semble se concentrer autour de l’administration, et au détriment du juge et de la protection des libertés individuelles.

Bertrand Vergely : Pour qu’il y ait débat, il faudrait que l’on s’écoute. Mais s’écoute –t-on ? Tout le monde parle en même temps et c’est à qui parlera le plus fort. L’interview de Marlène Schiappa en est l’illustration. On ne parle pas. On cherche à donner l’impression que l’on parle de tout. On confond parler et parler de tout.  

En conclusion, je dirai qu'il y a aujourd’hui exacerbation des libertés individuelles et en même temps restriction de celles-ci. D’une façon sournoise et insidieuse le politiquement correct modèle les consciences. On parle de faire un référendum sur le cumul des mandats. Mais quand il s’agit de supprimer les termes de père et de mère, le politique ne demande pas l’avis  de la population, que cela concerne quand même quelque peu. N’oublions pas l’affaire Fillon. Pendant des années, celui-ci a recours à une pratique au sein de l’Assemblée Nationale que tout le monde connaît. On ne dit rien. D’autant qu’il n’est pas le seul. Soudain, il est balancé, on ne sait pas encore par qui. Ce qui change du tout au tout la donne des élections. On porte toujours avec soi la mémoire de ses fonds baptismaux. Il y a un malaise dans notre démocratie actuelle. Cela vient de ce que celle-ci porte en elle un lourd secret. 

En termes de respect du débat public ?

Frédéric Mas : La culture technocratique du gouvernement présuppose une inégalité fondamentale entre le gouvernant et le gouverné, l’administrateur et l’administré, le savant et le profane. Il n’est pas question pour l’administrateur de discuter de ses compétences et du bien fondé de ses décisions avec ses administrés. Ceux-ci doivent se contenter de comprendre correctement les directives et de les appliquer, ce qui implique de communiquer en permanence. S’ils n’y arrivent pas, c’est que l’administration ou le politique-technocrate n’a pas clairement exposé les consignes ou, pour reprendre les éléments de langage du gouvernement, il « a manqué de pédagogie ». Ou alors c’est que l’administré est stupide ou de mauvaise foi.

Cette manière d’envisager le « débat public » s’est révélée tout au long de la crise des Gilets jaunes. Face à la protestation populaire, le gouvernement n’a jamais songé à débattre, seulement à répondre dans le registre de la communication politique. C’est aussi ce mélange d’entêtement et de condescendance, qui là encore témoigne plus de la culture bureaucratique que de celle démocratique, qui a conduit au durcissement du conflit.

Bertrand Vergely : Emmanuel Macron nous confronte à un double aspect de son action et de sa personne. D’un côté, c’est un président qui travaille, qui donne de sa personne, qui fait le job, qui mouille la chemise, comme on dit. Récemment, par exemple, il n’a pas hésité à aller discuter parfois jusqu’à sept heures de temps avec des élus locaux, des représentants d’associations et des gilets jaunes lors du grand débat national qu’il a proposé. D’un autre côté, cependant, c’est quelqu’un qui n’écoute pas. Ayant une vue très précise de ce qu’il a décidé de faire de ce qu’il entend faire et de ce qu’il désire faire, son attitude est la suivante. « Ma décision est prise et je ne changerai pas d’avis, maintenant je vous écoute ». 

     On parle de démocratie, mais que veut dire ce terme ? Certains disent, « cela consiste à faire ce que veut le peuple ». D’autres disent « c’est la liberté d’expression, » Les troisièmes disent « c’est une société de droits ». ou bien encore  « c’est la protection de la personne humaine » . En réalité, c’est tout cela et rien de tout cela parce que c’est tout cela à la fois, mais avec des limites.

      Faire ce que veut le peuple ? C’est impossible. Le peuple, actuellement, c’est les gilets jaunes et jamais le gouvernement ne fera ce que veulent les gilets jaunes, les gilets ha-jaunes ne sachant pas ce qu’ils veulent. La liberté d’expression totale ? Elle est impossible. Le Salafiste qui a insulté Alain Finkielkraut s’est exprimé totalement. On voit ce que donne la liberté d’expression totale. Les droits ? À force de multiplier les droits pour tout, on est dans la cacophonie des egos survoltés qui entendent par droit le fait de respecter ce qu’ils veulent, quand ils veulent. Enfin, la protection de la vie humaine. Soit, mais jusqu’où ? Si ion fait revenir les djihadistes français emprisonnés en Syrie, on protègera leur vie mais certainement pas la nôtre. Si nous protégeons notre vie en ne les faisant pas revenir, on ne protègera pas la leur. 

     La démocratie est comme la plus belle femme du monde : elle ne peut donner que ce qu’elle a et ce qu’elle a c’est un peu de tout. Un peu d’expression populaire, un peu de liberté d’expression, un peu de droits, un peu de protection de la vie humaine. Aussi est-elle frustrante et sans cesse critiquée par ceux qui trouvent que ce peu est trop peu et par ceux qui pensent que ce peu est encore trop. 

     On dit que nous vivons une crise de la démocratie. C’est vrai. On ne s’entend plus. Les medias et les réseaux sociaux s’étant emparés de la démocratie, aujourd’hui, être démocrate consiste à réagir à tout à tout bout de champ en critiquant tout, en commentant tout, en produisant des lois pour tout. Cela va dans tous les sens à toute vitesse et plus personne ne sait ni ne comprend ce qu’il dit. On n’est pas démocrate. On est survolté. 

     Au XVIIIème siècle, la morale européenne a changé du tout au tout en remplaçant la quiétude, qui était l’idéal du sage antique, par l’inquiétude. Dans Le neveu de Rameau Diderot fait un portrait de l’homme inquiet qui ressemble à un homme orchestre capable de tout faire. Diderot, à travers L’Encyclopédie, va devenir cet homme orchestre en étant l’homme capable de tout savoir. Lors de la révolution française, Saint Just assimile la quiétude à la tyrannie et l’inquiétude à la liberté. Aujourd’hui, nous voyons où conduit l’homme total et inquiet vanté par Diderot et Saint Just. C’est l’homme survolté des réseaux sociaux qui donne son avis à propos de tout en s’efforçant d’être celui qui va crier le plus fort. 

     C’est dans ce contexte qu’il convient de relire les récents  propos de Marlène Schiappa dans Valeurs actuelles. Lors de son interview, p. 20-21, elle dit trois choses : 1). L’homophobie et l’antisémitisme vont aujourd’hui de pair, l’homosexuel et le juif étant soupçonnés d’être riches. Il y a alliance entre extrémistes de droite et islamistes qui s’unissent dans ce combat. Il y a des slogans de La manif pour tous qui sont lancés dans les banlieues. 2) L’homophobie se nourrit des messages de haine proférés par La manif pour tous. 3) Je ne mets pas sur le même plan la « manif pour tous » et les terroristes islamistes mais je souligne une convergence idéologique. 

     Le discours de Marlène Schiappa est l’exemple même d’un discours qui veut pouvoir tout dire. Témoin la confusion qu’elle propose entre homophobie, antisémitisme, extrême droite, islamisme, banlieues, La manif pour tous, terrorisme et convergence idéologique entre La manif pour tous et le terrorisme. Dans cette confusion sidérante, Marlène Schiappa a manifestement envie de parler de l’antisémitisme dont a été victime Alain Finkielkraut. Mais elle brûle d’envie de parler également de l’homophobie, surtout après la volée de bois vert que la majorité s’est prise après son calamiteux projet de suppression du couple père-mère au profit de parent 1-parent 2. Elle brûle également d’envie d’expliquer que l’islamisme est en fait  un avatar de l’extrême droite, le musulman qui est le colonisé d’hier et donc la victime d’hier ne pouvant pas devenir le bourreau d’aujourd’hui.  Enfin, elle brûle d’envie de régler un vieux compte avec La manif pour tous dont le slogan (vous ne vous en étiez pas rendu compte) « Un papa, une maman, c’est mieux pour un enfant » est un slogan d’extrême droite chargé de haine, et faisant le lit du terrorisme islamiste. 

     On ne peut pas à la fois parler de l’antisémitisme, de l’homophobie, du terrorisme, de l’extrême droite et de La manif pour tous. Quand on le fait on aboutit à ce à quoi on assiste dans cette interview, à savoir du  n’importe quoi. Un n’importe quoi donnant à penser que Madame Schiappa qui est jeune a encore beaucoup de choses à apprendre. 

     Déjà, lors de l’attentat contre Charlie hebdo et de la manifestation qui s’en était suivie, tout avait été fait pour que cette manifestation devienne une manif anti-Marine Le Pen. Avec ce qui est arrivé à Alain-Finkielkraut, on retrouve le même phénomène. Vous ne vous en êtes peut-être pas aperçu, mais Alain Finkielkraut n’a pas été insulté par un islamiste antisémite. Il a été insulté par un représentant de La manif pour tous. 

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