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Crise diplomatique avec l’Italie : Paris a-t-il surréagi ?
©ANDREAS SOLARO / AFP

Rappel pour consultation

Ce jeudi, le ministère des Affaires étrangères a annoncé rappeler l'ambassadeur de France en Italie "pour consultation" et dénonce des "attaques sans fondement" et "sans précédent" de responsables italiens. Mardi, le vice-président du conseil italien Luigi Di Maio également chef de file du M5S a rencontré des membres des Gilets jaunes. La goutte d'eau qui a fait déborder le vase pour Paris.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Suite à la rencontre du leader du M5S, Luigi Di Maio, avec le Gilet Jaune Christophe Chalençon, la France a choisi de rappeler son ambassadeur à Rome pour consultation, en justifiant cette décision par un communiqué indiquant notamment "Les dernières ingérences constituent une provocation supplémentaire et inacceptable. Elles violent le respect dû au choix démocratique, fait par un peuple ami et allié. Elles violent le respect que se doivent entre eux les gouvernements démocratiquement et librement élus." Comment analyser l'escalade actuelle entre Paris et Rome ?

Christophe Bouillaud : Il faut d’abord souligner le degré extravaguant de contradiction dans lequel un européiste comme Emmanuel Macron se place ainsi lui-même en allant chercher noise, pour ce motif précis, aux dirigeants italiens actuels. En effet, si vous êtes européiste, par définition, vous êtes membre d’une coalition de partis semblables par leur idéologie d’un bout à l’autre de l’Union européenne : vous êtes conservateur, démocrate-chrétien, socialiste, écologiste ou libéral. Ces partis-frères sont par définition en droit de s’entraider. Ils sont « internationalistes », et d’ailleurs ils sont organisés sur une base fédérale au niveau européen.  Les visites de courtoisie préélectorale entre partis-frères d’une même famille sont d’ailleurs légions depuis les années 1970. Le même Emmanuel Macron avait d’ailleurs, dans cette filiation européiste, proposé lui-même des listes transnationales de partis européens aux élections européennes. Il s’agissait donc bien d’inciter ainsi les électeurs à « penser européen » et non plus « national » lorsqu’ils iraient voter aux prochaines élections européennes. Cette proposition, issue d’idée de la fondation fondée par Jacques Delors dans les années 1990, a été retoquée par ses partenaires, mais il n’empêche que son propre parti, LREM, s’est allié avec le parti espagnol, Ciudadanos, et que les élus LREM et Ciudadanos rejoindront sans doute le groupe parlementaire de l’ALDE (libéraux) après les élections de mai 2019. Or, là, que reproche-t-on au dirigeant italien, le vice-Premier Ministre, Luigi Di Maio ? D’aller chercher à soutenir la constitution en France d’un parti-frère ou un parti-cousin du M5S italien ? C’est pourtant à 100% dans la logique européenne la plus européiste. Les partis nationalistes eux-mêmes, comme le Rassemblement national, s’y sont ralliés depuis 2015, ayant bien compris qu’on ne peut peser en Europe que si l’on dispose d’alliés sûrs. Au contraire, Emmanuel Macron devrait donc se réjouir que le M5S italien ne veuille pas rester sans alliés au Parlement européen, après le départ des Britanniques de l’UKIP. Les citoyens de l’Union vont être appelés à voter en mai prochain pour un Parlement qui s’organise sur des bases idéologiques, partisanes, et cette structuration par idéologie des assemblées européennes, alors non élues directement, existe depuis les années 1950. Emmanuel Macron devrait réviser son histoire européenne.

Bref, c’est profondément contradictoire que de se plaindre de ce développement. E. Macron veut-il l’intégration européenne par les alliances entre partis semblables seulement quand cela l’arrange ? Et puis, à ce compte-là, il faudra aussi interdire à Laurent Wauquiez de fréquenter la CDU-CSU au sein du PPE, à Marine Le Pen la Ligue de Matteo Salvini au sein du MENL, à Jean-Luc Mélenchon de voir les dirigeants de Podemos, à Benoit Hamon de fricoter avec Yannick Varoufakis. Et je ne complète pas la liste. Tout parti, même le plus insignifiant, possède ses alliés européens.

C’est aussi un magnifique « effet Streisand ».  En effet, la liste des Gilets Jaunes qu’entend mener Christophe Chalençon n’a sans doute guère de poids dans la société française en général, et parmi le vaste univers des Gilets jaunes et de leurs soutiens en particulier. C’est une anecdote de notre vie politique. La visite de Luigi di Maio pouvait même apparaître comme une preuve de la méconnaissance par les responsables italiens de la situation française. Or, là, cela devient l’occasion d’une crise diplomatique, dont tout le monde va entendre parler du coup.

Enfin, pour en venir à votre question, on peut faire deux hypothèses. D’une part, il s’agit d’une vaste comédie franco-italienne, comme le cinéma en a connu quelques-unes, où chacun essaye d’apparaître comme le meilleur ennemi de l’autre. Cela arrange des deux côtés des Alpes pour des raisons de politique intérieure Macron de se présenter comme le rempart contre des dirigeants en odeur de « fascisme » par définition puisqu’ils sont italiens, et cela arrange Luigi di Maio et Matteo Salvini de critiquer l’éternelle « arrogance française » bien incarnée par le « Jupiter » Macron. D’autre part, il est possible que notre Président soit, face aux difficultés inattendues et inexplicables qu’il rencontre depuis novembre dernier, devenu lui-même complotiste, et qu’il croie vraiment que le mouvement des Gilets jaunes est manipulé par l’étranger, et donc entre autres en sous-main par l’Italie.  Mais, désolé de le dire, nous ne sommes plus dans les années 1930 quand le gouvernement Mussolini finançait effectivement des mouvements de droite à tendance fasciste dans notre pays. Ou alors, vraiment, le M5S cache très bien son jeu…   

Comment évaluer la stratégie d'Emmanuel Macron au regard du contexte européen actuel, des élections européennes au Brexit, mais également au regard du poids de l'Italie dans l'Union ?

Il me semble qu’Emmanuel Macron veut apparaître comme le « gardien du temple » européiste. Il se veut intransigeant avec les dirigeants britanniques. Et il veut apparaitre comme la victime d’un complot « jaune-brun » à son encontre, mené conjointement par le M5S de Luigi di Maio et par la Ligue de Matteo Salvini – convergence d’ailleurs qui pourrait bien renforcer l’actuel gouvernement italien dans une commune détestation de Macron. Il avait auparavant attaqué Viktor Orban. Cela devient vraiment une stratégie à usage électoral.

Cette manière de procéder, valable sans doute pour galvaniser l’électorat LREM et pour rassembler les européistes français autour d’un dernier rempart avant le retour aux « heures les plus sombres de notre histoire », vient cependant contrecarrer toute convergence avec l’Italie. Or les problèmes économiques et sociaux des deux côtés des Alpes sont plutôt similaires. Les deux pays souffrent de leur place subsidiaire dans la zone Euro, et ils auraient bien besoin de s’entraider pour changer la donne en Europe. Pour l’instant, la direction prise par Macron est exactement l’inverse.

Quels sont les conséquences prévisibles d'une telle escalade, aussi bien pour Paris, Rome, que pour les autres membres de l'UE ?

Du strict point de vue pratique, on devrait en rester aux mesures symboliques de part et d’autre des Alpes. Rappeler un ambassadeur en consultation, c’est surtout gâcher la vie de l’ambassadeur en question qui ne pourra plus profiter des fastes de notre Ambassade à Rome. Les deux pays sont très intégrés économiquement, et il serait absurde de commencer à se gêner vraiment dans ce qui compte au final, les flux de marchandises et de services. Les intérêts économiques devraient primer sur ces bisbilles de matamores cherchant à élargir leurs électorats respectifs.  Au pire, ce sont les migrants pris entre les deux pays qui seront victimes des rétorsions de part et d’autre, comme c’est d’ailleurs le cas depuis 2015.

Sur le plan plus général, il est bien possible que Paris finisse par se trouver isolé dans sa volonté d’imposer un Brexit douloureux aux Britanniques. En effet, il semble bien que les dirigeants allemands, en tout cas, la chancelière Merkel, veulent éviter à tout prix un « No Deal ». Les dirigeants italiens peuvent du coup se ranger du côté allemand, ne serait-ce que pour gêner Paris, même si un « No Deal » aurait aussi ses avantages pour la coalition au pouvoir à Rome en montrant les limites de l’Union européenne actuelle.

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