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Révolution technologique, Etats et géants de la Tech : la première version d’Internet a 50 ans et voilà la leçon économique fondamentale que nous pouvons en tirer
©Reuters

50 ans d'Internet

Il y a 50 ans, le 4 février 1969, le réseau Arpanet, financé par le département de la défense des États-Unis était inauguré, et fournira la base de notre réseau internet.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico: Comment faire la part des choses entre le rôle du secteur public et celui du secteur privé dans la recherche et l'innovation ? 

Alexandre Delaigue: C'est une question compliquée, parce que nous sommes passés au travers de deux grands extrêmes. L'époque de l'Arpanet était celle des grands programmes gouvernementaux. Et à ce moment-là, une grande partie de l'innovation et de la recherche technologique était plutôt le fait des gouvernements. Ce que l'on peut noter par rapport à cette période des années 60, c'est que l'innovation fournie par les gouvernements semblaient atteindre un certain nombre de limites dont le caricature était l'Union Soviétique qui était pionnière pour des programmes du type nucléaires ou de conquête spatiale – tout en étant un compétiteur sérieux pour les Etats-Unis – mais qui dans le même temps était incapable de fournir des biens de consommation corrects à ses populations.

Puis, nous avons assisté à un renversement avec les années 70 et les débuts de la période néolibérale et dont l'idée était que ce qui comptait était l'invention non pas déterminée par des grandes structures – des grandes entreprises ou des grands États – mais plutôt l'âge de la start-up, l'âge de la finance qui était censée déterminée ce que sont les grands projets. Un monde dans lequel le rôle des États apparaissait plutôt comme un gêneur qui vient taxer les entrepreneurs de génie, un maladroit qui reste figé dans des techniques anciennes en étant incapable de développer la nouveauté. Cela s'accompagnait aussi de toute une période contestataire.

Nous avons basculé de l'un à l'autre mais nous avons sans doute perdu au passage cette idée qu'en réalité l'innovation est le plus souvent la combinaison du secteur public et du secteur privé. Et qu'une grande partie de l'innovation fournie aujourd'hui par le secteur privé s'appuie très largement sur toute une série de programmes qui sont venus du secteur public. C'est le moment ou nous devrions reconstituer cet accord entre le privé et le public.

Il y a donc cette question de l'articulation entre la recherche publique et une certaine dose de développement privé. La recherche publique peut aller dans des directions dans lesquelles le secteur privé ne va pas, mais il est nécessaire d'avoir une interaction avec le secteur privé qui garde sa qualité qui est d'identifier des manières d'utiliser des techniques existantes pour fabriquer de nouvelles choses. Les stabilisateurs qui sont aujourd'hui utilisés dans les drones ont été inventés pour des technologies militaires par le secteur public, mais il a quand même fallu des inventeurs privés pour en faire les drones miniaturisés. Mais cette interaction nécessite une coopération entre le privé et le public avec des allers-retours entre les deux, ou les relations entre, par exemple entre les grandes universités et le secteur privé, sont fluides. Mais ce que l'on constate, c'est qu'il n'existe qu'une Silicon Valley, même si le MIT, à côté de Boston, est aussi intéressant. Ce ne sont pas des choses qui sont faciles à reproduire. Nous avions réussi cela en France avec le corps des ingénieurs qui allaient travailler dans des grandes entreprises industrielles, mais cette alchimie est difficile à réussir.  

Ne peut-on pas voir, comme a pu le dénoncer l'économiste Mariana Mazzucato, une dérive sur cette question, laissant penser que le secteur privé serait plus performant que le secteur public dans ce domaine ? 

Mariana Mazzucato a présenté, aussi bien dans une conférence que dans son livre, quelque chose qui est assez frappant. Elle fait la liste des composants qui sont intégrés à l'IPhone, que cela soit l'écran tactile, les stabilisateurs, les appareils photo numérique, etc. Et elle montre ainsi qu'une énorme quantité des technologies qui sont présentes dans l'IPhone et qui ont été ensuite assemblées pour aboutir au produit final, sont en fait le résultat de la recherche publique américaine, de laboratoires de recherche universitaire qui ont fonctionné totalement en dehors des mécanismes du marché. Elle prend l'exemple de l'IPhone, mais quand on regarde bien il y a énormément de biens dont nous dépendons et qui ne sont pas issus du secteur privé.

Dans les innovations majeures du XXe siècle, on pourrait penser à la pénicilline pour laquelle Alexander Fleming a considéré que cela était tellement important que cela devait rester dans le domaine public. Il n'a jamais touché un centime pour son invention de la pénicilline, a eu son Prix Nobel, et son salaire de professeur d'Université.

On peut aussi constater qu'à la fin des années 80, en France, nous étions très avancés technologiquement dans toute une série de domaines. Que cela soit dans le domaine de l'énergie avec le nucléaire, dans les transports avec le TGV, dans les télécommunications avec le minitel, nous avions alors beaucoup d'avance et cela était quelque chose qui provenait de programmes publics. Il y a aussi eu énormément d'échecs, on peut penser ici au plan Calcul, mais il y a eu un certain nombre de succès. Et nous ne sommes pas parvenus à reproduire ces succès depuis les années 90 et de ce point de vue là le secteur privé n'a pas été capable, comme on aurait pu l'espérer, de prendre le relais de ce qu'ont été ces grands programmes publics.

Alors que les sociétés occidentales sont confrontées à un ralentissement de la productivité, pourtant base de la hausse des niveaux de vie, quelles seraient les mesures à prendre pour faire naître un nouveau cycle de l'innovation ? 

La réponse simple est qu'il faudrait faire progresser la part du PIB dans la recherche et le développement, que cela soit par le biais de la recherche publique ou de la recherche privée. Il y a une critique régulière qui est adressée qui est de dire que le secteur public fonctionne moins quand il s'agit d'inventer et de découvrir, et cela est vrai qu'il existe un processus de découverte qui est beaucoup moins facile à faire dans le public que dans le privé. Identifier ce que les consommateurs veulent, tout le processus d'essais-erreurs, sont des choses plus difficiles à mettre en place dans de grandes structures (grandes entreprises ou secteur public). Néanmoins, ce que l'on peut constater quand même, c'est qu'il faut des moyens avant de créer des structures. Parce que le premier problème est celui de l'investissement, on ne veut pas investir dans ces domaines là, dans des grands programmes d'infrastructures, dans des technologies, mais cela est plus un problème que l'on rencontre d'un refus de l'investissement public en général. On a construit le tunnel sous la Manche dans les années 80, mais s'il n'existait pas aujourd'hui, on peut facilement imaginer que jamais nous ne pourrions le construire aujourd'hui. Parce qu'il y a beaucoup trop d'intérêts à prendre en compte. On peut aussi évoquer la question du sketch permanent qu'est la construction du nouvel aéroport de Berlin qui a pris énormément de retard. Aux Etats-Unis, pour tout ce qui est programmes d'infrastructures, on constate à chaque fois que les surcoûts sont beaucoup plus élevés par rapport à ce que l'on pouvait faire autrefois. Il y a donc d'un côté une véritable question des moyens pour relancer la recherche publique, les technologies, et les besoins sont extraordinairement importants, par exemple et pour commencer sur la question du réchauffement climatique, pour trouver des techniques dans le domaine de la production d'énergie. Mais plus fondamentalement, nous devons aussi comprendre pourquoi nous ne parvenons plus à faire des grands programmes d'investissements qui réussissent comme on a pu le faire dans le passé. Et ici, cela n'est peut-être pas qu'une question de moyens mais une question d'identifier comment on pourrait recréer des structures à la fois innovantes et publiques que l'on pouvait avoir autrefois. 

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